§3 La personnalité juridique des organisations
internationales
Pour examiner la personnalité juridique des
organisations internationales, d'emblée, il faut se poser la question
de savoir d'où vient qu'un groupement d'Etats - n'ayant ni territoire ni
population - soit considéré par les Etats ou par d'autres sujets
internationaux, comme un sujet de droit, et qu'ils aient des relations avec
elle, et ce indépendamment des Etats qui la composent ?
La définition proposée par la CDI (Cf. infra. p.
5) répond entièrement à cette question : l'organisation
internationale est dotée dès sa naissance de la
personnalité juridique et c'est une personne morale distincte des
membres qui la composent3 .
1 THIERRY (H.) et al., op. cit., p.
178
2 Ibid.
3 CHARPENTIER (J.), Institutions
internationales, Paris, Dalloz, 15ème éd., p.
50
20
Ceci dit, la seconde étape de notre analyse consistera
à dégager le fondement de cette personnalité avant
d'opérer une distinction entre la personnalité juridique
interne
et la personnalité juridique internationale.
A. Le fondement de la personnalité juridique des
organisations internationales
La personnalité juridique est parfois reconnue
expressément à travers l'acte
constitutif de l'organisation internationale. Cependant,
même si l'acte constitutif est muet, le doute au sujet de la
personnalité juridique n'est pas permis.
En effet, selon la doctrine, « la personnalité
juridique de l'organisation résulte implicitement mais
nécessairement des besoins exprimés par les Etats
fondateurs à l'établissement de l'organisation internationale.
»1
Ainsi, on comprendra que point n'est besoin d'une disposition
l'attribuant expressément mais qu'elle trouve son fondement dans la
convention constitutive dans son ensemble.
Toutefois, d'autres auteurs estiment que ce n'est pas le
traité constitutif qui attribue la personnalité juridique
à l'organisation mais le fait que les organes de celles-
ci soient aptes à exercer les fonctions leur
confiées.2
Enfin de compte, à travers le fondement de la
personnalité juridique, on est amené à constater que la
mission confiée à l'organisation en fait un acteur de la vie
internationale mais aussi qu'elle oblige à établir des
rapports juridiques tant avec d'autres sujets de droit international qu'avec
les ressortissants des Etats.
1 NGUYEN (Q. D.) et al, op. cit., p. 585
2 REUTER (P.), Droit international public,
Paris, Thémis, PUF, 1958, p. 222
21
B. La distinction entre la personnalité
juridique interne et la personnalité
juridique internationale
La personnalité juridique des organisations
internationales peut être envisagée
dans le cadre à la fois du droit interne des Etats et
celui du droit international.
1. La personnalité juridique interne
Déterminer la personnalité interne d'une personne
morale, c'est rechercher si, et
dans quelle mesure, à l'intérieur de l'Etat, elle a
le droit de contracter, d'acquérir et de vendre des biens mobiliers et
immobiliers et enfin d'ester en justice.1
La question semble bien adéquate pour les
organisations internationales qui, ne disposant pas de leur propre
territoire, sont réduits à exercer leurs missions, soit sur le
territoire de l'Etat dit du « siège », soit sur celui de
l'Etat auquel l'organisation apporte une assistance quelconque.
D'une manière générale, on constate que la
capacité d'agir dans l'ordre interne des Etats est souvent
conférée par l'acte constitutif de l'organisation.
Cependant, s'il est muet ou trop général, il sera
suppléé par des conventions sur les
privilèges et immunités.2
La personnalité interne de l'organisation telle
qu'elle est prévue, est opposable aux Etats membres mais pas aux
tiers sous réserve du cas où l'acte constitutif est valable erga
omnes.3
En outre, en ce qui concerne l'exercice par l'organisation de
sa capacité interne, notamment les contrats qu'elle peut
passer avec des personnes privées et les règlements
de différends éventuellement y relatifs, il faut souligner
que le droit applicable peut être, soit celui des Etats
hôtes, soit celui déterminé par l'instance
chargée de régler les différends
éventuels.4
Généralement, le mode de règlement de
différends sera l'arbitrage international.
1 NGUYEN (Q. D.) et al., op. cit., p. 587
2 En effet, en l'absence d'une disposition claire
dans la Charte de l'OUA, c'est la Convention sur les privilèges et
immunités de l'OUA du 25 octobre 1963 qui affirme dans son
art. 1er que « l'OUA possède la
personnalité
juridique »
3 DORMOY (D.), op. cit., p. 36
4 DUPUY (P. M.), op. cit., p. 16
22
Toutefois, il faut nuancer cette solution pour le cas des
contrats dont l'objet se rapporte directement à celui de
l'organisation tel que le recrutement des agents; ces contrats seront
soumis au droit international.1
En fin de compte, nous venons de constater qu'il n'est pas rare
que les Etats acceptent d'accorder la personnalité juridique interne sur
une base explicite ;
Quid de la personnalité juridique internationale ?
2. La personnalité juridique internationale
La personnalité juridique internationale repose,
en général, sur une base
subjective. En effet, l'existence légale de
l'organisation, aux yeux des Etats, dépend avant tout de sa
reconnaissance2 .
a. La reconnaissance d'une organisation internationale
A ce niveau, nous ferons remarquer que le problème
ne devrait pas se poser
pour les Etats membres de l'organisation.
En effet, cette reconnaissance résulte de leur
participation à l'acte constitutif.
Toutefois, le problème est réellement posé,
en ce qui concerne les Etats tiers (c'est-
à-dire non membres). Ils peuvent procéder
à la reconnaissance expresse, mais le plus souvent, cette reconnaissance
résulte de comportements qui manifestent l'acceptation implicite de
cette personnalité.
Ce problème de la subjectivité de la
personnalité juridique internationale, a été partiellement
résolu par la solution apportée par la CIJ, dans l'avis
consultatif rendu en
1949 sur la demande de l'Assemblée générale
des Nations Unies.
Cette dernière désirait savoir si l'ONU
justifiait de la capacité de présenter une
réclamation internationale contre un Etat pour le compte de ses agents,
en particulier le Comte Bernadotte, médiateur des Nations unies en
Palestine, assassiné dans l'exercice
de ses fonctions3.
1 NGUYEN (Q. D.) et al., op .cit., p. 588
2 THIERRY (H.) et al, op. cit., p.
739
3 DORMOY (D.), op. cit., p. 34-35
23
Dans son avis, la CIJ a souligné fortement la
personnalité juridique internationale de l'ONU allant même
jusqu'à la rendre opposable à tous les Etats, y compris les Etats
non membres, et indépendamment de toute reconnaissance de leur
part.1
Toutefois, il faut souligner que le raisonnement par analogie ne
sera valable que pour les organisations à vocation universelle, à
l'instar de l'ONU.
Cette opposabilité erga omnes ne saurait être
étendue au reste des organisations,
à caractère régional par exemple,
qui restent soumis à la technique de la reconnaissance,
pour rendre opposable leur personnalité juridique aux Etats tiers.
Bref, nous sommes amenés à constater que la
problématique de la personnalité juridique internationale est
sous tendue par le fait que les organisations, dès leur
création, viennent concurrencer la qualité de sujet de droit
international, dont les Etats avaient exclusivement le monopole.
Ainsi, faut-il examiner cette qualité de sujet de
droit.
b. L'organisation internationale est un sujet de droit
international
Quelle que soit sa forme, la reconnaissance de la
personnalité juridique
internationale aux organisations internationales a des
conséquences importantes.
En effet, consacrer la qualité de sujet de droit
international à l'organisation signifie
qu'elle peut être titulaire de droit et être soumis
à des obligations dans l'ordre juridique international.2
Ainsi, les organisations internationales se voient
attribuer des compétences internationales et jouissent au même
titre que les Etats des prérogatives de sujets de droit
international.
1 « La cour est d'avis que 50 Etats,
représentant une très large majorité des membres de
la communauté internationale [Et c'était vrai à
l'époque], avaient le pouvoir, conformément au droit
international, de créer une
entité possédant une personnalité
internationale objective et non pas seulement une personnalité reconnue
par eux seuls. » Recueil CIJ, 1949, p. 185 cité par NGUYEN (Q. D.)
et al., op. cit., p. 589
2 DORMOY (D.), op. cit., p. 37
24
Il s'agit notamment :
- du pouvoir d'entretenir des relations diplomatiques par
la représentation des
Etats ou d'autres entités auprès de l'organisation
;
- du pouvoir de conclure des traités : les
organisations concluent des traités et contribuent à la
conclusion de traités ;
- de la capacité de présenter une
réclamation internationale.1
Il convient, en outre, de souligner que
l'appréciation de l'étendue de la personnalité
internationale n'est pas la même pour toutes les organisations.
Elle dépend des buts et des fonctions qui lui sont attribués.
Ainsi, chaque organisation agit sur le plan international
dans le domaine qui lui est
assigné par son acte constitutif.
En somme, nous retiendrons que l'organisation
internationale doit avoir une personnalité juridique, ce qui
d'ailleurs constitue un élément important de sa
définition ; et de ce fait, elle est un sujet de droit, mais un sujet de
droit bien particulier comme nous allons le voir dans ce dernier point du
présent paragraphe.
C. Les caractéristiques de l'organisation
internationale en tant que sujet de droit
L'organisation internationale diffère de l'Etat en
tant qu'elle est un sujet de
droit dérivé et fonctionnel.
a) L'organisation internationale est un sujet
dérivé
En droit international, l'Etat est le sujet de droit originaire
ou initial tandis que
l'organisation internationale est un sujet de droit
dérivé.
Le caractère dérivé de ce sujet de droit
résulte du fait que l'organisation est un être institué
reposant sur la volonté de ses créateurs, les Etats.
1 DREYFUS (S.), Droit des relations
internationales, Paris, Cujas, 1978, p. 91
25
Et ces derniers déterminent, à travers
l'acte constitutif, « ses compétences - c'est-à- dire
la sphère d'action ouverte à chaque organisation - et ses
pouvoirs - c'est-à-dire les moyens qu'elle peut déployer à
l'intérieur ».1
En définitive, en attribuant des compétences et des
pouvoirs à une organisation,
les Etats acceptent de perdre leur exclusivité
sur la scène internationale. Aussi peuvent-ils se voir imposer,
le cas échéant, des obligations et des charges par les
organisations internationales.
b) L'organisation internationale est un sujet
fonctionnel
Ce caractère est lié de près avec le
premier. Le caractère fonctionnel des
organisations est sous-tendu par le principe de
spécialité auquel obéit toute organisation
internationale.
De ce fait, toute organisation ne peut exercer ses
compétences et pouvoirs que dans le
domaine de la mission qui lui a été
déterminé par l'acte constitutif.
Cependant, on considère que ce caractère
fonctionnel peut jouer sur le plan de l'interprétation des
dispositions de l'acte constitutif soit dans le sens de la restriction, soit
dans celui de l'extension.
Ce caractère joue en faveur de la restriction lorsque
l'interprète ne reconnaît que
les compétences et pouvoirs inscrits dans l'acte
constitutif et directement nécessaires à
la mission confiée à l'organisation.
Tandis qu'il évolue dans le sens de l'extension en cas
de silence de l'acte constitutif, certaines compétences et pouvoirs sont
réputés lui être dévolus pour l'accomplissement de
la mission de l'organisation : c'est la théorie des pouvoirs
implicites2.
En conclusion, on ne saurait terminer cette section, sans
rappeler l'importance
de son contenu sur les développements
ultérieurs.
Signalons enfin, un autre point qui s'annonce avec la même
pertinence : il s'agit de la structure des organisations internationales.
1 THIERRY (H.) et al., op. cit., p.
745
2 COMBACAU (J.) et SERGE (S.), op.
cit., p. 720
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