VI - Point de vue personnel :
71% des chercheurs de l'IRCAM (5 sur 7) pensent qu'un jour, il
y aura une didactique propre de la langue amazighe. Un seul est septique et un
est sans avis. Mais quelles sont leurs justifications ? Là encore, nous
estimons qu'il convient de leur céder la parole :
1. "Cette didactique existe déjà et se
construit. Elle est particulière au statut de la langue qui est en phase
de standardisation et d'ouverture".
2. "Cette didactique est en train de se construire; elle est
la même que celle adoptée dans l'apprentissage des autres langues.
Sa spécificité réside dans la variété
(à comprendre les 3 variantes de l'amazighe), donc la gestion de cette
variété pour le moment avant la standardisation".
3. "Tout simplement parce que chaque langue diffère
d'une autre par les composantes linguistiques. Par la suite, la didactique ne
peut s'éloigner de ce particularisme du fond et de la forme de telle ou
telle langue".
4. "Parce que l'amazighe est une langue ouverte sur le monde
et toutes les civilisations; autrement dit, elle participe à (et
bénéficie de la didactique universelle des langues".
5. "A partir de l'expérience et de la recherche".
6. "C'est une nécessité; sans une didactique de
l'amazighe, il ne peut y avoir un enseignement de qualité. L'amazighe a
ses spécificités comme toutes les langues, seule une didactique
appropriée pourra en rendre compte".
Les justifications des chercheurs de l'IRCAM, du moins celles
des plus optimistes parmi eux en ce qui concerne l'existence future d'une
didactique propre à l'amazighe, vont de l'affirmation de l'existence
actuelle effective de cette didactique à la considération de
cette existence comme une nécessité pour assurer "un enseignement
de qualité", en passant par le fait que la langue amazighe mérite
sa didactique puisqu'elle est une langue vivante à part entière
avec "ses spécificités" et qu'elle peut ainsi "participer
à (et bénéficier de) la didactique universelle".
Nous aimerions souligner cette dernière justification
avant d'entreprendre nos conclusions partielles. Elle va dans la droite ligne
de notre hypothèse qui, rappelons-le, se fonde sur deux postulats
principaux :
1. L'amazighe, devenu langue nationale et
intégré à l'enseignement depuis maintenant trois
années scolaires, doit nécessairement se forger sa propre
didactique; celle qui va rendre compte de ses spécificités tant
linguistiques qu'heuristiques.
2. Du fait que l'amazighe se trouve dans un environnement
pédagogique où coexistent d'autres modes
d'enseignement/apprentissage, notamment ceux des autres langues, il serait vain
de vouloir réinventer la roue au lieu de puiser, ce qui pourrait
l'être, dans les didactiques déjà existantes telle
particulièrement la didactique du FLE/FLS qui a fait ses preuves depuis
longtemps.
CONCLUSIONS PARTIELLES ET PROPOSITIONS
I - AU NIVEAU DE L'APPROCHE METHODOLOGIQUE :
Nous l'avons signalé en introduction, notre travail de
dépouillement a révélé quelques insuffisances au
niveau méthodologique. En effet, notre pré-enquête aurait
pu être plus étoffée; les questionnaires auraient dû
être distribués à un plus grand nombre de personnes afin
d'en mesurer mieux la validité. Ce n'est que lors du
dépouillement que nous nous sommes rendu compte de certaines
réalités qu'on aurait pu prendre en considération dans la
version définitive des questionnaires. Nous avons ainsi constaté
que certains libellés n'ont pas été compris comme nous
l'escomptions; citons ces quelques exemples et tirons-en quelques conclusions
pour l'avenir :
Ø L'appellation "semi-urbain" ne semble pas avoir
été claire pour un bon nombre de questionnés, professeurs
et inspecteurs. Nous l'avons vérifié par les noms des
écoles dont nous connaissons la situation;
Ø Le sens donné à "méthode",
"méthodologie", "approche", "procédé", voire "didactique"
ne semble pas non plus avoir été perçu de la même
manière par tout le monde;
Ø Les items "pourquoi d'après vous" et "autres
à préciser s'il vous plaît" n'ont pas toujours
été très instructifs, au même titre d'ailleurs que
les questions ouvertes.
Ø Par ailleurs, un peu trop guidé par l'espoir
de confirmer notre hypothèse, nos questionnaires ont été
par moments visiblement orientés vers cette confirmation; ce qui, en
partie, expliquerait le refus de répondre de certains questionnés
jugeant certains items "tendancieux".
SUGGESTIONS :
Ø Vu le niveau en français de nos professeurs et
de certains inspecteurs - dont des arabophones - une version en langue arabe
des questionnaires (ou du moins des parties à risque
d'interprétation erronée) aurait aidé à pallier ses
insuffisances. Nous leur avons certes suggéré de répondre
aux questions ouvertes en arabe; mais il semblerait que cela n'a pas suffi.
Ø Pour ce qui est des questions ouvertes, nous avons
constaté chez les questionnés une certaine réticence
(paresse?) d'y répondre. Une catégorisation fine des
réponses attendues aurait aidé à minimiser cette carence.
A signaler que nous avons soumis la totalité des items aux inspecteurs
qui nous ont signalé quelques-unes des difficultés susceptibles
de biaiser l'interprétation attendue, mais apparemment cela n'a pas
suffi non plus.
Ø Nous avons revu plusieurs items à la suite des
remarques de notre encadreur qui, justement, les avaient jugés
sensiblement orientés; toutefois, lors du dépouillement nous
avons découvert que d'autres items auraient dû être revus et
reformulés. D'ailleurs, ce constat nous a conduit à relativiser
la quasi-certitude que notre hypothèse ne demandait qu'à
être validée par l'enquête tant elle était pour nous
assez bien fondée.
Ce sont là de précieuses leçons que nous
ne manquerons pas d'avoir présentes à l'esprit lors de tout autre
étude ultérieure fondée sur un travail d'investigation
mené sur terrain.
II - AU NIVEAU DES RESULTATS DE L'ENQUETE :
Etat des lieux :
1. Les ressources humaines :
Pour des raisons de commodité, le Ministère de
l'Education Nationale a décidé (voir note N°90 en annexe)
que ce sont les professeurs du primaire amazighophones qui se
chargent d'enseigner la langue amazighe dans ce cycle. Mais dans la pratique,
cet enseignement est assuré aussi par des arabophones. Néanmoins,
l'enquête a montré qu'en moyenne 32 sur 39 parmi les professeurs
chargés de l'amazighe (voir tableau N°25) parlent cette langue.
Leur nombre ainsi que celui des écoles accueillant cet enseignement sont
en nette croissance (voir note N°34 en page 39). On en déduit que,
sur le plan de la quantité (en ressources humaines et écoles), le
processus d'intégration de l'amazighe dans le système scolaire
marocain est plutôt sur la bonne voie. Reste à voir ce qu'il en
est sur le plan qualitatif.
2. La formation des différents
intervenants :
Aussi bien les professeurs, les inspecteurs que les chercheurs
de l'IRCAM ont affirmé avoir bénéficié de formation
initiale et continuée, notamment en ce qui concerne la didactique et la
pédagogie générales et pour ce qui est de la didactique de
l'arabe et du français.
En revanche, l'enquête a révélé un
manque criant en formation à la didactique de l'amazighe. Ce qui est
normal quand on sait qu'il n'existe aucune structure permettant ce type de
formation hormis les quelques initiatives de l'IRCAM, jugées du reste
insuffisantes par la plupart des questionnés, y compris les formateurs
de l'Institut Royal, animateurs par excellence desdites formations. Plus est,
même en linguistique, ces formations n'ont pas donné satisfaction
aux formés. Handicap qui, bien évidemment, influe sur la
formation en didactique.
Revenons à la didactique du français. Les
réponses recueillies sont éloquentes; certes la majorité
en a bénéficié. Toutefois, si on met en regard ces
réponses avec celles relatives à l'usage qu'ils en font en
pratique, nous sommes en droit de nous douter qu'un véritable transfert
s'opère dans les conditions voulues. Car, à l'analyse des
résultats de cette comparaison, on observe que les professeurs ont
également recours à leur savoir-faire didactique en arabe du fait
que la majorité des enseignants de l'amazighe (même les bilingues
parmi eux) ont en charge les petites classes où ils dispensent
parallèlement l'enseignement/apprentissage de et en arabe. En
conséquence, quel apport de la didactique du français à la
didactique de l'amazighe est-il, dans ces conditions, envisageable ?
II - LES TRANSFERTS POSSIBLES :
Si l'on se contente, d'une part, des réponses des trois
catégories du public ciblé, on pourra admette qu'un transfert
indéniable s'opère. La majorité des réponses au
dernier item, où ont été consultés les
questionnés sur l'éventualité de l'existence d'une
didactique propre à l'amazighe, incite, d'autre part, à croire
que la majorité des intervenants sont plutôt optimistes. Ce qui
nous réconforte un peu, tout en nous laissant perplexe quant aux moyens
d'y parvenir.
Bref, nous demeurons ferme sur le fait que la didactique de
l'amazighe, avant d'atteindre son autonomie, doit passer par une phase
d'emprunt aux didactiques déjà existantes, notamment à
celle du français comme nous l'a confirmé l'analyse des
résultats de cette consultation. Mais une relativisation de ces
résultats s'impose car, répétons-le, les autres langues,
l'arabe en premier, ne doivent pas être perdues de vue chaque fois qu'il
s'agit de parler de transfert de didactique à didactique dans le
contexte marocain.
|