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Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe

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par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI
Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012
  

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Chapitre deuxième : ITINERAIRE DE MUTUZA

De ce qui vient d'être dit, nous ne pouvons, en vérité, assez nous étonner qu'un Philosophe, après s'être fermement résolu à ne rien déduire que des principes connus d'eux-mêmes, et à ne rien affirmer qu'il ne le réévaluât culturellement et historiquement, après avoir si souvent reproché aux philosophes immatriculés de vouloir expliquer les choses obscures par des qualités occultes, admette une hypothèse plus occulte que toute qualité occulte dont l'itinéraire ressemble à une escalade vers les cimes embrumées d'une haute montagne.

Mutuza est né dans une période de turbulence. Il est marqué par une expérience inédite qui détermine son intelligence, refaçonne son regard sur la réalité environnementale, sur le mode de convivance entre les autochtones Lega d'une part et d'autre part ceux venus d'ailleurs, en l'occurrence les Tutsi du Rwanda. Le contexte historique de la vie de l'auteur de La Problématique du Mythe Hima-Tutsi va nous en éclairer.

Section 1. Contexte historique

§1. L'homme

Mutuza est un des noms de la philosophie afro-congolaise. On peut dire que, dans plusieurs domaines, il marque de son empreinte un moment décisif. C'est lui qui est le fondateur de la méthode de la réévaluation des concepts par ses recherches sur la culture lega et les sens des concepts anthropologiques colonialistes, par ses commentaires à la fois théologiques et philosophiques des deux cultures (euro-américaine et négro-africaine), c'est lui qui a tenté la première synthèse philosophique du moment et qui, de façon méthodique, s'efforce d'expliquer la condition congolaise(104(*)). Il est l'homme enfin qui a le premier décrit les voies de la lutte intellectuelle des professeurs contre la dictature et fondé ainsi la philosophie politique de la résistance(105(*)) dans sa publication, Quand les guerres tribales battent leur plein(106(*)), qui date des années 60.

Sans vouloir postuler a priori une symétrie entre les tendances innées de Mutuza et le choix de son domaine d'investigation, « l'on ne peut d'autre part s'empêcher de constater une continuité en particulier lorsqu'il ne s'agit pas apparemment d'une option fortuite, lorsqu'il en va d'un acte profondément motivé, revêtant au surplus les caractéristiques d'une vocation authentique »(107(*)).

Son influence s'annonce grande. Les années 60 et 70 sont jalonnées de ses articles. On cite La famille traditionnelle à la croisée des chemins(108(*)), article qui montre déjà son élan intellectuel. Dans cet article il parle de la rencontre entre le christianisme qui prêche la monogamie et la tradition africaine qui autorise la polygamie. Il y a L'Afrique écartelée(109(*)) qui est un discours panégyrique et provocateur dans lequel Mutuza traite du mouvement et du devenir de l'Afrique. Il démontre le conflit tribal et linguistique entre les populations.

Dès le début des années 199O les étudiants de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa entrent en contact avec la pensée révolutionnaire de Mutuza. Ceux de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines n'hésitent pas à traiter comme thèmes de mémoires sa pensée politique(110(*)), suite à son cours des Idées Politiques. Trois mémoires de Licence en Philosophie(111(*)). En 1991, Mutuza compte parmi les rares professeurs Commissaires d'Etat (Ministre) à tenir une conférence en la Salle de Promotion Mgr Luc Gillon de l'Université de Kinshasa. Il y traite de la décentralisation(112(*)). La question rebondit avec l'arrivée de l'AFDL à l'occasion d'opinions soutenues par les opposants radicaux qui ouvraient le chapitre sur la nationalité. Tshisekedi intervient personnellement dans le débat. Mutuza est alors suspecté. Ses idées sur le fédéralisme dérangent. Pourtant à cette période là le pays prend conscience d'une crise. L'est de la RD Congo est une banquise à problème. Tout ressortissant de l'Est est trop facilement assimilé à l'étranger à cause de l'assimilation des Hutu aux Banyarwanda, premier mythe hima-tutsi.

Que faut-il en penser ? Mutuza est le premier philosophe zaïrois qui s'est attelé de bonne heure à poser la question avec pertinence et profondeur, a tenté de pousser l'effort de son intelligence jusqu'à ses extrêmes limites dans l'investigation du fédéralisme et de la présence des étrangers sur le sol congolais(113(*)). Ces limites, il les a plusieurs fois dépassées, mais c'était peut-être nécessaire pour que l'on pût les fixer exactement avec l'idée de la décentralisation. A une époque où le glissement de la décentralisation au fédéralisme et de la confusion du fédéralisme à la balkanisation n'étaient pas encore déterminées, il a essayé de voir jusqu'où l'esprit des occidentaux pouvait aller. C'est ce qui fait l'extraordinaire grandeur de sa tentative(114(*)).

Ses oeuvres se repartissent en trois moments. Le premier est un ensemble d'articles qui traitent de la culture en général, particulièrement de la culture lega. Le deuxième renferme les ouvrages, critiques quant au rôle des occidentaux dans des conflits interafricains. Le troisième aborde les réflexions thématiques où transparait sa théorie d'appartenance.

L'authenticité de ses oeuvres ne pose aucun problème, elle n'est pas sujet à discussion. Elles sont toutes de ses mains. A part les fragments du catéchisme qui est une copie en traduction du grand catéchisme de l'Eglise latine d'avant Vatican II. Il existe aussi une somme de dissertations manuscrites, du Petit Séminaire de Lusaka, où son professeur, en outre du cycle de l'enseignement des enfants (ðñïò ôçí ô?þí åãêõêëßùí ðáéäåßá), se préoccupait, dès ses premières années, de l'exercer à l'art épistolaire.

Son oeuvre ne manquera point des contradicteurs plus au moins farouches à l'exemple de ses anciens étudiants tel que Ngoma Binda vers les années 90(115(*)). Elongo Vicky(116(*)), Ntumbwa Tshimpaka(117(*)) et Milala Barnabé(118(*)) dépendront de sa méthode. Le même Ngoma Binda combat les idées de Mutuza sur Le Civisme et Développement(119(*)) et sur la nature de la démocratie(120(*)).

A la fin du vingtième siècle, Ntumbwa Tshipamba dans son Le paradoxe de la libération par la chosification dans la conception welienne de l'Etat l'accuse d'avoir été un précurseur de l'identitarisme et du régionalisme classique et philosophique congolais(121(*)). Si au début Milala s'est montré son admirateur il décria plus tard son contra philosophiam societatem(122(*)).

L'itinéraire de Mutuza est translucide. Il est un des philosophes zaïro-congolais sur lequel il s'avère aisé d'être renseigné. Ses propres documents sur l'évolution de la société globale congolaise et de la culture lega en rapport avec le développement de son siècle en sont témoins.

Si l'on s'attèle à la personne de Mutuza on s'aperçoit que l'homme de Maniema vit en califourchon dans un siècle mouvementé dont il connait lui-même une existence mouvementée. Et cela encore en trois temps : historique, anthropologique et entropologique. Le premier temps le place dans un de-venir, dans la trame évolutive propre à l'individu et de sa société. Il en fait une étude ipso scientifique. Le deuxième temps constitue l'import esthète de l'art de son peuple dans ses dimensions et après s'être dépouillé de toute ressemblance avec la réalité environnante concrète. Le troisième est celui de l'identité que nous appelons le temps entropologique. Il y a entropie lorsque les éléments d'une entité se dé-voilent dans leur identité originaire, surtout en matière de langue. C'est de là que l'on parle d'appartenance d'un peuple à un moment donné de son histoire. Car il n'est pas impossible que telle langue se révèle être l'outil particulier bien adapté à l'acquisition d'une certaine forme de culture. Pour ce, rien ne permet d'affirmer que la langue d'un peuple détermine le type de civilisation qu'il devra se forger. Le primat de l'objet (la langue) faisant place au primat de la fonction (la culture), l'on ne découvrirait la différence que quand il y a entropie.

Conformément à ce trois temps, Mutuza accepte que ce siècle est nôtre, c'est un siècle qui nous entraîne vers des horizons inconnus et incertains. Mais comment alors le juger ? Fût-elle limitée au demi-siècle révolu, toute vue d'ensemble reste hasardeuse, d'autant plus que la décennie 1990-2000 ne parait pas, jusqu'ici, marquer un tournant significatif d'une démocratisation de l'Afrique. Toutefois, à mesure que l'esprit remonte du présent vers le passé la perspective devient plus nette, les grandes lignes se dégagent et les valeurs sûres s'affirment tandis que s'estompent les modes passagères qui viennent d'un dictat historique de la Deuxième République.

Avec la grande dictature du citoyen Mobutu, les principaux mouvements se dessinèrent assez nettement. Mais à partir des années 90 et 94 le critique doit procéder avec extrême prudence, tant apparaît fluctuante, d'une année à l'autre, l'entropologie tribale qui implique la problématique de l'appartenance et le faux fuyant mythe Hima-Tutsi tel qu'argumenté par le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) et la science coloniale(123(*)). Mutuza explicite cette question à partir de la question sur la nationalité(124(*)).

Ainsi la période antérieure à l'indépendance de la RD Congo (1960) peut être analysée avec quelque assurance.  Et les voisins Ruandais font de la sorte la sagesse du départ héritée des cultures des Bantu avec le Kinyarwanda comme outil de cette culture fragmentée et commuée en connaissance méfiante, commuée en savoir commutatif, commuée avec la vérité selon le pragmatisme américain: l'importance des colons qui la dominèrent ou se formèrent alors ne peut plus être contestée. C'est dans ce contexte que Mutuza va se présenter face aux mots ou aux définitions et précisera sa place parmi les autres philosophes. C'est là que se forment la génétique de sa pensée consciente et sa science philosophique.

* 104 Mutuza a vu soumettre son ouvrage intitulé Ethique et Développement  à la censure de la Commission Doctrine et Idéologie Institut Makanda Kabobi du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR). Ce livre fut connu sous le titre de Mal Zaïrois, mais il n'était pas encore publié quand Mutuza se heurta à Kangafu et Gambembo.

* 105 C'est à ce moment qu'il pensait à la publication de son Les fondements culturels du fédéralisme, qui n'a vu le jour qu'en 1991 aux Editions NORAF à Kinshasa.

* 106 Article paru dans Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, pp 49-58.

* 107 MUSEY, N. -E.., M., Claude Lévi-Strauss, Anthropologie et communication, p. 3.

* 108 L'article a paru dans « Présence Africaine », N° 10, Juillet 1962, pp. 6-15.

* 109 Cet article se trouve dans Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, pp 9-16.

* 110 Nous sommes aux lendemains du discours du Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendo Waza Banga, Président fondateur du MPR, Chef de l'Etat et Président de la République du Zaïre. Mutuza occupe la chaire de philosophie politique où il parle entre autre des paradigmes démocratie.

* 111 Il s'agit de MUSEME, Ethique et Développement : critique et reprise à Mutuza Kabe, Mémoire de Licence en Philosophie FCK, 1991. Cfr. aussi, NGONGO, Mutuza et le développement de l'Afrique, TFC Saint Augustin, site de Kintambo, 2001. Voir encore MBUYI, Tribalisme et nationalisme chez Mutuza, Mémoire de Licence en Philosophie, ISPL, 2003.

* 112 Pour les étudiants MUTUZA KABE a précédé l'histoire, la Revu NUMERACA reproduira dans une des ses A la Une marque la calvitie de Mutuza en caricature.

* 113 Il y a certes beaucoup d'autres Congolais qui ont traité de ce problème mais ils partaient des postulats occidentalistes et occidentaux, postulats qui sont taillés en vue de renforcer une idéologie, celle de convaincre les populations que sans la collaboration et l'intervention des occidentaux, il n'y aurait ni démocratie, ni liberté, ni paix, etc. dans les pays des Grands Lacs.

* 114 Ici Mutuza pense en terme des substantifs au génitif dans une proposition : il parle du respect des occidentaux. Cela peut-être compris soit du respect dont les occidentaux inspirent aux Noirs, soit du respect dont les Noirs inspirent aux occidentaux ; tout compte fait, c'est le respect de l'homme qui l'intéresse.

* 115 NGOMA BINDA admirait beaucoup Mutuza qui était d'ailleurs son professeur. Nous avons rencontré dans les tiroirs de Mutuza certains travaux pratiques de Ngoma Binda. En ce temps là, déjà, Mutuza mettait en garde son étudiant d'avoir copié un texte et de le lui avoir remis comme travail pratique. La même remarque va revenir dans l'appréciation de la thèse que Ngoma Binda a soutenue aux Facultés Catholiques de Kinshasa. Mutuza a reproché à son étudiant d'être éclectique. Cela n'a pas enchanté Ngoma Binda.

* 116 ELONGO, Pratiques journalistiques en situation de crise, thèse de doctorat en Information et Communication, Bruxelles, 2009-2010.

* 117 NTUMBWA, Le paradoxe de la liberté par la chosification dans la conception welienne de l'Etat, thèse de doctorat en Philosophie, Mexico, 2006.

* 118 MILALA, La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines, thèse de doctorat en Philosophie, 2008-2009.

* 119 Mutuza a un texte très précieux du cours de Civisme et Développement. Il est d'ailleurs sous presse. Mais tout ce que Ngoma Binda rapporte dans son article est bel et bien son intention à lui, cela n'a rien avoir avec le texte de Mutuza. Et le Mutuza que Ngoma Binda nous présente n'est surement pas le nôtre.

* 120 NGOMA BINDA, Formation civique et politique comme préalable à la démocratie. Réflexion à partir du cours de « Civisme et Développement » dans l'Enseignement Supérieur et Universitaire du Zaïre, in « La démocratie en Afrique, Colloque de A.P.P.M./ Zaïre- Académie des Professeurs pour la Pais Mondiale, 14-16 décembre 1990, Kinshasa-Zaïre, p. 105-127.

* 121 MUTUZA, Le Bwami, la superstructure de la société Lega frein ou moteur au développement, thèse (inédite) de doctorat en philosophie, Paris, 1971.

* 122 MILALA, B., Op. Cit. 58.

* 123 La science coloniale a du se défendre en argumentant en faveur de l'antériorité des Tutsi sur les territoires rwandais. J. Maquet est de ceux qui ont affirmé cette hypothèse. Mais l'on se demande pourquoi chercher à confirmer une hypothèse historique si l'arrivée est un fait ? Baumann et Westermann ont eu le privilège d'avoir travaillé sur les civilisations africaines. Ils se sont trompés quant ils affirmèrent que l'homme blanc était venu civiliser le nègre. Comment une civilisation peut-elle civiliser une autre ? Ca serait une jungle. Or, la jungle est la civilisation qui cherche à s'imposer. Donc la civilisation occidentale est une civilisation de la jungle. Ayant vu la jungle chez les Tutsi, les occidentaux ne purent que la prendre comme une civilisation soeur, celle des barbares entre eux.

* 124 MUTUZA, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 23.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon