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Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe

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par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI
Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012
  

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§ 4. Communautés familiales et communautés villageoises

La mentalité collective(500(*)), interprétée du point de vue psychanalytique de Freud, étant un fait involontaire, est donc une contrainte, un asservissement contre lequel le moi ne peut rien. Quel est le rôle joué par la famille dans la constitution de la société ? Il est courant d'affirmer que la famille est la cellule de la société, mais d'autres auteurs observent que la famille est une entité indépendante du concept social et qu'elle en serait plutôt l'antagonisme. Des analogies ont été esquissées entre certaines formes de rapports sociaux, caractéristiques des populations africaines actuelles comme de groupes particuliers d'anciennes sociétés rurales françaises. Elles ne permettent cependant pas de conclure à une similitude globale des structures socio-économiques.

Des premiers, il ressort que le système d'organisation de la société à pour base des unités étroitement conditionnées par des liens de parenté et d'alliance. Ceux-ci sont déterminants à l'intérieur de la famille, sur tous les plans de la vie sociale ; ce n'est que dans la mesure où la tradition s'oppose à l'économie que les rapports formés à l'occasion du travail et de la production deviennent autonome. On peut parler ici d'une loi générale d'évolution501(*), alors que les faits du domaine français ne constituent que des témoignages très partiels, notamment en ce qui concerne les communautés de parents, qui n'ont jamais représenté l'ensemble de nos sociétés rurales. Celles-ci ont élaboré, depuis l'origine des techniques agro- pastorales, des formes d'organisation caractérisées par une vie collective qui transcende la vie sociale et fonctionnelle des unités familiales. Considérant leur aspect contraignant, on a pu parler de servitudes collectives auxquelles chaque famille, chaque foyer devait souscrire dans son propre intérêt. L'organisation communale de la propriété territoriale était le trait le plus significatif du système que l'on trouvait en France plus particulièrement dans les pays d'habitat groupé.

Le terroir cultivé était divisé en un certain nombre de quartiers (soles, contrées, saisons, selon les provinces) qui étaient périodiquement affectés à une culture ou laissés en jachère. Chaque foyer disposait de terres dans chacun de ces quartiers et devait obligatoirement suivre le rythme annuel de la communauté dans ses différentes opérations culturales et pastorales. Le bétail de chaque foyer était réuni sous la garde d'un pâtre ou d'un berger communal qui conduisait son troupeau sur les quartiers en jachère du terroir cultivé ou sur les fiches communales.

Si en Afrique Orientale - surtout dans le Ruanda-Urundi - on peut reconnaître une organisation comparable en ce qui concerne la garde des bêtes, confiées à un pâtre commun, appartenant à une ethnie spécialisée dans l'élevage, les Peul, on ne trouve que de rares traces de l'organisation collective des terres de culture. D'une manière générale, l'utilisation de celles-ci est laissée aux seuls soins du chef de famille : on peut constater que le lien de voisinage ne fournit qu'un principe secondaire de l'organisation sociale502(*). Telle était du moins la situation avant que les grands changements liés indirectement à l'introduction de l'économie de marché viennent la bouleverser. Dans la mesure où les structures socioéconomiques des villages africains vont se dégager peu à peu de la pression des rapports de parenté, les liens de voisinages s'affirmeront pour organiser le terroir cultivé selon des normes correspondant aux besoins nés de l'expansion démographique et du développement économique. Apparemment la famille étendue a conservé sa cohésion. Le chef de famille continue à payer les impôts des adultes qui vivent dans l'enclos (appelé concession ou carré) renfermant les cases de tous les membres du groupe. Cet ensemble de cases, habitations ou cuisines, ne varie que par la multiplication des greniers, mais ses limites restent immuables, maintenant le système d'organisation spatiale du village, au moins aussi longtemps que ses occupants sont assez nombreux pour les entretenir. Compte tenu des difficultés pour un jeune homme de fonder une nouvelle concession, il porte longtemps la trace de l'ancienne structure familiale.

En revanche, le dessin des champs cultivés traduit immédiatement les tendances à l'indépendance économique de chacun des membres de la famille : le parcellement qui remplace peu à peu les grands champs collectifs des groupes familiaux permet de mesurer cette évolution. Celle-ci est récente, mais si rapide que dans certaines régions du Niger des vues aériennes prises à une dizaine d'années d'intervalle mettent en évidence les changements du système socio-économique dans le sens de l'individualisation des champs. Cette tendance est si forte qu'elle s'étend à chacune des épouses de la famille polygame qui tient à cultiver et à produire pour son propre compte, au détriment de la production du ménage. Cette atomisation du terroir et de la production va à l'encontre des conceptions européennes de l'organisation du finage. La concentration des entreprises agricoles et le rassemblement en grandes pièces des parcelles naguère dispersées est la condition nécessaire de leur exploitation rationnelle.

Quelles sont les tendances actuelles du monde rural ? Dans quel sens évoluent ses structures socio-économiques ? En ce qui concerne l'Afrique, on peut confirmer le passage des sociétés qu'il a été commode d'appeler « tribale » parce que leur fonctionnement était dominé par les rapports de parenté et d'alliance au sein d'un groupe étendu, vers des types de sociétés paysannes. Sans que l'on puisse en déduire une similitude avec celle de la France, on peut constater que dans les deux cas, la propriété foncière individualisée devient en tant que structure une des préoccupations majeures de la société.

Déjà les paysans français disparaissent, non seulement numériquement, mais en tant que catégorie socioprofessionnelle(503(*)). Un monde rural sans paysans est une réalité dans plusieurs régions où la forme d'exploitation qu'ils avaient élaborée au long des siècles s'efface. Elle est remplacée par un système où, selon l'expression de H. Mendras, « des techniques agricoles et comptables tiennent lieu d'expérience et de savoir faire »(504(*)). La terre cesse d'être le secteur dominant des exploitations agricoles, au profit de l'équipement mécanique. L'ordre mécanique des champs a vécu ainsi que toute l'organisation familiale qui avait été élaborée pour en assurer la succession à travers les générations. Les prérogatives de l'entrepreneur, avec le pouvoir de décision qu'elles impliquent, sont battues en brèche par les lois du marché international. C'est là un des points communs aux sociétés qui ont fait l'objet de ce propos, et on peut se demander dans quelle mesure elles n'évolueront pas dans une direction commune.

Si cette hypothèse implique finalement une prédominance des rapports économiques, on peut tenir pour certain que, comme aujourd'hui encore en Europe, les formes évolutives de l'Afrique porteront pendant longtemps la traces directe des concepts et des valeurs issus de structures qui ont prévalu pendant des siècles.

* 500 FREUD, S., Introduction à la psychanalyse, p. 27. Il écrit : « Pourquoi l'homme à ce point contrarié réussit-il si rarement, malgré le désir qu'il en a, à diriger son attention sur le mot qu'il a, ainsi qu'il le dit lui-même, « sur le bout de la langue » et qu'il reconnaît dès qu'on le prononce devant lui ? Ou, encore, il y a des cas où les actes manqués se multiplient, s'enchaînent entre eux, se remplacent réciproquement. Une première fois, on oublie un rendez-vous ; la fois suivante, on est bien décidé à ne pas l'oublier, mais il se trouve qu'on a noté par erreur une autre heure. Pendant qu'on cherche par toutes sortes de détours à se rappeler un mot oublié, on laisse échapper de sa mémoire un deuxième mot qui aurait pu aider à retrouver le premier ; et pendant qu'on se met à la recherche de ce deuxième mot, on en oublie un troisième, et ainsi de suite. [...] »

* 501 Dans La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, Mutuza décrie cette dernière marque du darwinisme social, doctrine formulée à la fin du XIXe siècle, selon laquelle l'évolution des individus et des sociétés procède de la sélection naturelle, principe décrit par Charles Darwin dans sa théorie de l'évolution biologique. Les tenants du darwinisme social considèrent qu'à l'instar des animaux et des plantes, les hommes sont fondamentalement inégaux, physiquement et intellectuellement, et que leurs aptitudes sont strictement héréditaires. Ils sont donc destinés à la lutte pour leur survie et à la recherche de la réussite personnelle dans la société. Les individus qui deviennent riches et puissants sont les plus « aptes », alors que les membres des classes socioéconomiques les plus défavorisées sont les moins « adaptés ». Le darwinisme social en est ainsi venu à considérer que le progrès de l'humanité repose sur la rivalité. Cette doctrine servit de base philosophique aux idéologies de l'impérialisme, du racisme et de l'eugénisme. Au XXe siècle, elle tomba en discrédit lorsque de nouvelles découvertes scientifiques relativisèrent le rôle de la sélection naturelle dans l'étude de la société humaine, où les facteurs économiques et culturels ont éclipsé les facteurs physiologiques comme moteurs de l'évolution sociale. Herbert Spencer fut le principal représentant du darwinisme social. Pour la sociologie au XVIIIe siècle, David Hume, dans ses Essais moraux et politiques (1741-1742) et Adam Smith, qui fut par ailleurs le défenseur de la théorie économique du « laisser-faire », dans sa Théorie des sentiments moraux (1759), ont élaboré des systèmes de morale subjective similaires. Ils assimilaient tous deux le bien à tout ce qui suscitait des sentiments de satisfaction et le mal à tout ce qui suscitait des sentiments douloureux. Pour Hume et pour Smith, les idées relatives à la morale et à l'intérêt public proviennent des sentiments de sympathie que les hommes se portent mutuellement même en dehors de liens de parenté ou d'autres liens directs. En France, Jean-Jacques Rousseau adhéra, dans son oeuvre majeure intitulée Du contrat social (1762), à la théorie hobbienne. Cependant, dans Émile (1762) et dans d'autres ouvrages, il attribue le mal aux anomalies inhérentes à toute organisation sociale et juge les hommes bons par nature. L'anarchiste, philosophe, romancier et économiste politique britannique William Godwin a poussé cette idée à l'extrême dans son Enquête sur la justice politique (1793), où il rejette toutes les institutions sociales, y compris celle de l'État, considérant que par leur existence même, elles constituent une source du mal. Opérant une « révolution copernicienne » en philosophie, Emmanuel Kant apporta une contribution majeure à l'éthique avec le Fondement de la métaphysique des moeurs (1785). Pour Kant, aussi judicieusement que l'on agisse, les résultats des actions humaines sont exposés aux accidents et aux aléas. Par conséquent, il ne faut pas juger la moralité d'un acte par ses conséquences mais seulement par la motivation qui y a présidé. Seule est bonne l'intention parce qu'elle conduit l'Homme à agir non par inclination mais par devoir, lequel repose sur un principe général qui est juste en soi. Quant au principe moral de base, Kant reprend la règle d'or sous une forme logique : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle. » Cette règle est appelée impératif catégorique, parce qu'elle est inconditionnelle et qu'elle a la forme d'un commandement. Aussi, Kant insiste-t-il sur le fait que l'on doit traiter autrui « en toute circonstance comme une fin et jamais seulement comme un moyen ».

* 502 Les affaires proprement villageoises sont cependant du ressort d'un conseil formé par le chef de famille. Chaque village africain a son lieu de réunion.

* 503 MENDRAS, H., Sociétés paysannes, p. 83. Élargissant son champ d'étude à la société française puis aux sociétés européennes, Henri Mendras analyse leurs mutations, dans une approche comparative, à partir de travaux de terrain.

* 504 MENDRAS, H., La fin des paysans, p. 23.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle