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Le droit au logement a l'épreuve de l'expropriation pour cause d'utilité publique: étude du cas de la population de Ngueli/Tchad


par Abba TABOU
Université de Dschang - Master II 2021
  

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Paragraphe II : Les violations des conditions de délais

L'accomplissement de certains actes de procédure est soumis au respect des délais fixés par le législateur. Le respect de ces délais contribue à protéger les expropriés contre les abus de l'administration. Mais cette dernière n'éprouve aucune gêne à violer ces conditions.

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Nous présenterons d'une part, la violation par l'Etat du délai de recasement des victimes et de prise de possession (A) et d'autre part, la violation du délai de fixation de l'indemnité d'expropriation (B).

A- La violation du délai de recasement et de la prise de possession des immeubles

expropriés

La prise de possession du site de Nguéli et le recasement des victimes ont été effectués en violation des dispositions de la loi n° 25 du 22 juillet 1967 sur la limitation des droits fonciers et de son décret d'application, relatives aux délais fixés en la matière d'expropriation.

En effet, l'article 13 du décret n° 187 sur la limitation des droits foncier prévoit qu'un mois après paiement des indemnités, fourniture d'équivalence ou consignation des indemnités, l'administration peut prendre possession, au besoin par expulsion des occupants, sans nouvel avis85. Il ressort des dispositions de cet article que la fourniture d'équivalence, c'est-à-dire le recasement des victimes, doit intervenir trente jours plutôt avant l'expulsion de ces derniers. Ce délai de trente jours est laissé pour permettre aux expropriés de pouvoir construire de nouvelles habitations et de s'y installer confortablement avant la prise de possession par l'Etat de leur ancien local, objet de l'expropriation. Cette condition de délai est fixée par le législateur dans le but de protéger le droit au logement des expropriés, dans la mesure où ces derniers n'auront pas à squatter les rues en attendant d'être recasés ou indemnisés. Dans les faits, ces conditions de délais ont été violées de la façon la plus flagrante. Le recasement des victimes de Nguéli-sud eût lieu trois ans et cinq mois plus tard, après leur expulsion86. Pour ce qui est du cas des victimes de Nguéli-nord, ces dernières ont été recasées sept ans et six mois plus tard87.

En plus de cette violation du délai, l'on a remarqué un manque d'humanisme au moment de l'expulsion des occupants. La population fût expulsée au mois de juin, en plein saison pluvieuse, sans préavis ni relogement d'urgence. Selon le témoignage du Président du comité de crise de Nguéli-sud, le quartier fût envahi par la présence militaire et de celle des Caterpillars, poclains et bulldozers la matinée du 21 juin 2013. La démolition des habitations était immédiate. Les victimes n'ayant pas eu le temps de quitter les lieux et d'emporter tous

85 Art 13 du décret n° 187 supra.

86 Expulsées le 21 juin 2013 et recasées le 30 novembre 2016.

87 Expulsées le 13 décembre 2013 et recasées le 15 juin 2020.

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leurs biens mobiliers. Le respect de la dignité humaine ne représentait pour l'administration plus qu'une simple théorie mythique. Environ 37 000 âmes se retrouvèrent dans la rue et 12 000 habitations détruites88. Les victimes ayant les moyens ont louer des maisons pour se reloger, par contre, les plus vulnérables ont construit des hangars de fortune en matériaux locaux (de la paille) et en tôles de récupération89.

Selon l'avocat des victimes, Me KAGONBE Alain, le site de Nguéli, exproprié pour des raisons de sécurité nationale serait revendu à la société française Bolloré pour une exploitation. Les installations de ladite société sont à ce jour visibles sur le site. Une autre partie est utilisée pour abriter les réfugiés Camerounais ayant fui les conflits intercommunautaires en décembre 202190. La population de Nguéli est donc évincée de son droit d'occupation du sol au profit de la société Bolloré, sans être indemnisée préalablement.

Enfin, l'article 13 ci-haut mentionné souffre de deux insuffisances qui sont entre autres, la durée trop courte du délai fixé pour la prise de possession, car l'on estime qu'en seulement trente jours, il est difficile que les victimes puissent retrouver leur niveau de vie initial, c'est-à-dire s'offrir de nouveaux logements décents et de s'installer aisément. La seconde insuffisance tient au fait que le législateur ne prévoit aucune possibilité de prorogation de ce délai.

Photo 3 : Installations de la Société Bolloré sur le site de Nguéli

88 https://tchadinfos.com, consulté le 19 juin 2022 à 16h 22 min.

89 Témoignage des victimes.

90 Environ 772 ménages sont installés sur le site.

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Photo 4 : L'occupation du site de Nguéli par les réfugiés Camerounais.
B- La violation du délai de fixation de l'indemnité d'expropriation

La procédure de la fixation du montant de l'indemnité d'expropriation est régie par les articles 7 et 8 du décret n° 187 précédemment cité. Le montant de cette indemnité est en principe fixé par un accord amiable entre les parties dans un délai déterminé par l'arrêté d'expropriation. Dans le cas où la discussion se termine par un accord, il est entériné par échange de lettres, et l'administration paie les indemnités ou fournit l'équivalence. Aucune tentative d'accord amiable sur le montant de l'indemnité n'a eu lieu entre l'Etat tchadien et la population de Nguéli. L'article 7 du décret prévoit dans ce cas que la partie la plus diligente saisit par lettre recommandée avec avis de réception, le Tribunal compétent. Après sa saisine, le Président du Tribunal invite les parties à lui communiquer, dans un délai d'un mois, le nom des experts qui seront désignées par elles. Les experts désignés disposent d'un délai d'un mois pour déposer leur rapport au Tribunal. Enfin, le Tribunal statuera par ordonnance de son Président dans un délai d'un mois après la date de dépôt du rapport des experts91. A l'issue de cette procédure, l'ordonnance du juge fixant le montant de l'indemnité d'expropriation devrait intervenir au plus tard trois mois, à compter de la date de la saisine du Tribunal. Il n'en est rien pour le cas d'expropriation de Nguéli. Le juge étant saisi depuis 2013, n'a jusqu'à ce jour rendu son ordonnance, soit environ neuf ans de retard. Cette attitude traduit un manque de volonté de la part de l'administration d'indemniser les victimes. Ces dernières

91 Art. 8 du décret n° 187 supra.

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estiment que la violation de leur droit d'être indemnisées serait le résultat de la corruption du système judiciaire qui se détourne de sa mission de rendre justice à la population de Nguéli.

Les règles relatives à l'évaluation des biens et au paiement de l'indemnité ont elles aussi été violées par l'administration.

SECTION II : LES VIOLATIONS DES RÈGLES RELATIVES À L'ÉVALUATION
DES BIENS ET AU PAIEMENT DE L'INDEMNITÉ

L'expropriation de la population de Nguéli est marquée par une série de violations des droits des expropriés durant toutes les étapes de la procédure. En effets, les différentes règles de procédure établies par le législateur consistent à donner à l'expropriation une nature légale et en même temps à protéger les victimes. Les règles relatives à l'indemnisation, notamment l'évaluation des biens (PARAGRAPHE I) et le paiement de l'indemnité (PARAGRAPHE II) n'ont pas été appliquées avec effectivité.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius