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La spécialisation fiscale, éléments de refondation de l'action publique locale: reflexion sur les concepts d'efficacité et de gouvernance territoriale


par Bajer Joma Amada
Université Aix-Marseille 3 -   2005
  

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Section 2. L'avenir de la fiscalité locale

Compte tenu du diagnostic que nous venons de poser, deux constats s'imposent. D'une part, tout le monde s'accorde à dire qu'il est urgent et nécessaire de réformer la fiscalité locale. Au passage, il nous semble important de s'accorder sur les mots que l'on emploi. En effet, s'agit-il de réformer la fiscalité locale ou bien les finances locales ? Selon que l'on parle de l'une ou de l'autre, on n'a ni le même diagnostic ni les mêmes réponses.

D'autre part, une fois que le consensus de réformer la fiscalité locale, on se rend compte que la question la plus cruciale au regard des contraintes actuelles qui s'imposent à l'action publique concerne les compétences fiscales des collectivités territoriales. Car s'il y a un consensus sur la nécessité de réformer, il existe de nombreuses divergences sur les pistes. C'est la raison pour laquelle, il nous a semblé judicieux de poser la question de la réforme sous l'angle qui fait le plus d'unanimité, celui des compétences locales.

§1. Consensus sur un diagnostic : reformer la fiscalité locale

Le thème de la réforme de la fiscalité locale est très ancien. Si aujourd'hui, la question se pose avec beaucoup d'acuité, c'est justement par ce que le temps est passé sans qu'une solution profonde et adaptée n'ait pu être trouvée. Déjà, dans les années trente, à la suite de la crise de 1929, de nombreuses propositions de réformes ont été proposées : Projet Piétri de 1931 qui proposait la suppression des centimes additionnels, projets Bonnet de 1937, Blum de 1938 ou Marchandeau en 1938. Le point commun à ces projets, c'est qu'ils partaient tous d'un même constat : inefficacité, archaïsme, inégalité, lourdeur de la pression fiscale.

Le rapport Brunel du Conseil Economique et Social pose la condition de la reforme des finances locales comme nécessaire à la réussite du processus de décentralisation. Ce rapport part d'un constat que l'on peut qualifier d'alarmant en ce sens que la situation actuelle des finances locales remet en cause le principe de l'autonomie financière des collectivités locales.

Ce constat est renforcé par le tableau général des finances décentralisées : mauvaises compensations des déséquilibres territoriaux, inexistante ou inadaptation des règles du jeu en matière de relations financières entre l'Etat et les institutions locales, complexité et instabilité des mécanismes d'évolution des concours de l'Etat. Par ailleurs, le rapport fait remarquer une certaine diversification et une multiplication de procédures contractuelles et de cofinancement et une faible lisibilité des dispositifs de péréquation.

L'apport essentiel du rapport est d'avoir posé le principe de l'autonomie financière non pas comme la simple autonomie de dépense mais comme le pendant d'une autonomie fiscale forte « qui constitue un fondement de la démocratie locale, traduit par le lien fiscal, facteur de responsabilisation qui permet la transparence et l'autonomie des choix ».5(*) Autrement dit, une bonne reforme fiscale doit entraîner plus de transparence et de lisibilité et doit mettre en place un mécanisme régulateur de la pression fiscale ainsi que des dispositifs efficaces de correction des inégalités. Toutes ces pistes de reforme peuvent se résumer comme suit :

Ø La création d'un nouvel équilibre entre l'Etat et les collectivités territoriales

Ø La confortation de l'autonomie fiscale locale

Ø La simplification et l'intensification de la péréquation financière et

Ø Le renforcement de l'autonomie financière des structures intercommunales et des régions.

S'agissant de ce dernier point, on ferra remarquer que le rapport prend en compte la nouvelle configuration de l'action publique locale en ce sens qu'il propose une fiscalité mieux adaptée à l'exercice des compétences locales. Ainsi, le rapport préconise le transfert d'une partie des compétences des communes aux structures intercommunales jugées seules capables d'assurer un traitement cohérent et à la bonne échelle des problèmes d'urbanisme, de logement, d'environnement et de développement économique.

On notera par ailleurs que le système fiscal local revêt quelques aspects paradoxaux en ce sens que le bénéfice de l'impôt ne correspond pas toujours à l'exercice réel des compétences locales. C'est ainsi que les régions exercent la compétence quasi-exclusive du développement économique et de la formation professionnelle alors qu'elles sont en même temps les collectivités qui ont le plus faible retour en matière de taxe professionnelle.

Comment donc comprendre ce fait qui veut que les régions développent des programmes d'investissement et de développement économique alors qu'en même temps, du fait de la taxe professionnelle, le retour de ces investissements bénéficient en priorité aux communes et aux départements. Du fait du caractère même de ces paradoxes, certains observateurs mettent l'accent sur les « dangers » en matière de démocratie locale liés à l'absence de lien citoyen entre la fiscalité et les compétences locales.

Si c'est tout le système fiscal qu'il faudrait rénover, il est nécessaire, pour mettre en oeuvre une reforme efficace, de prendre en compte les difficultés spécifiques à chaque type d'impôt. Ainsi, on peut se rendre compte que la grande partie des préoccupations des observateurs de la fiscalité locale se concentre autour de la problématique de la Taxe Professionnelle.

Au-delà des critiques techniques et théoriques que l'on peut apporter à cet impôt, on peut dire que si tous les regards se portent sur la Taxe Professionnelle, c'est tout simplement par ce que cet impôt est celui qui reflète le mieux l'activité et le dynamisme local. Aussi, le problème de la TP, c'est qu'elle ne s'est pas adaptée aux mutations structurelles locales.

Une fois le diagnostic posé, la question est de savoir comment moderniser la fiscalité locale car il s'agit bien de reformer la fiscalité en la modernisant. Moderniser la fiscalité locale, c'est bien sûr adapter celle-ci au nouveau cadre et aux nouvelles contraintes de l'action publique locale. Sur ce sujet, deux écoles s'affrontent. Une première est représentée par les partisans qui prônent une modernisation de la fiscalité locale tout en maintenant le cadre existant tandis que la seconde part du postulat qu'une véritable modernisation de la fiscalité locale exige nécessairement l'élaboration d'une nouvelle organisation fiscale territoriale.

Quelques soient les postures prises par les uns et les autres, il existe un certain nombre de points qui mettent tout le monde d'accord. Parmi ces points, il y a la rénovation des valeurs locatives ou la révision des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales. On notera que quelques pistes ont été esquissées notamment l'instauration d'une taxe locale sur le revenu, la prise en compte de la valeur ajoutée comme assiette de la taxe professionnelle, le remplacement de la valeur locative par la valeur vénale dans le calcul de la taxe foncière etc.

On peut penser que toutes ces pistes aussi intéressantes qu'elles soient, se limitent aux aspects techniques de la fiscalité locale et enferment celle-ci dans un cadre procédurier sans prendre toute la mesure des enjeux institutionnels et économiques d'une reforme en profondeur de la fiscalité locale.

Si l'on met à part l'ordonnance du 7 janvier 1959, on peut affirmer qu'aucun véritable projet de réforme de l'architecture de la fiscalité locale n'a été réellement engagé depuis cette date. Toutefois, il faut rappeler ici quelques dates de reformes qui ont marqué les finances locales. Nous reviendrons ultérieurement sur les différents aspects de chaque texte de reforme. En effet, chaque étape a marqué une certaine évolution pour un domaine particulier. On citera ainsi la loi du 31 décembre 1973 dont la principale innovation est la substitution de trois nouvelles taxes aux anciennes contributions foncières et mobilières : les deux taxes foncières et la taxe d'habitation.

Autre aspect de la loi de 1973, c'est la simplification et l'actualisation des bases à travers l'institution d'une nouvelle référence fiscale, la valeur locative. La loi du 18 juillet 1974 vient instaurer un mécanisme de mise à jour régulier des bases d'imposition. Il s'agit de procéder régulièrement à une révision générale des valeurs locatives. La loi du 29 juillet 1975 a modernisé l'ancienne patente et définit les conditions et les modalités de vote direct des taux par les assemblées locales.

Ainsi, la Taxe Professionnelle est venue remplacer la patente. Cette loi avait une véritable ambition modernisatrice dans la mesure où la nouvelle taxe professionnelle devait non seulement être plus conforme à la réalité économique mais elle devait également cherchait à réduire les inégalités entre communes.

Comme nous le suggérions ci-dessus, une réforme ambitieuse de la fiscalité locale ne peut se limiter aux seuls aspects techniques et procéduriers. Il apparaît que la reforme de l'architecture même de la fiscalité locale est doublement nécessaire. Tout d'abords, elle serait le moyen d'adapter les finances locales à l'environnement moderne des collectivités locales. Par ailleurs, elle permettrait une clarification administrative et institutionnelle dans le cadre du processus de décentralisation.

En effet, la complexité de l'organisation administrative locale française ne permet pas la pleine reconnaissance et la totale appropriation de celle-ci par le citoyen. Ainsi, les 36763 communes, la centaine de départements, les 22 régions et les quelques 20 000 établissements de coopération intercommunale semblent constituer plutôt un handicap pour l'affirmation du pouvoir des collectivités locales.

Un texte présente un aspect particulier et essentiel. Il mérite d'être mis en exergue comme étape majeure dans le processus de reforme de la fiscalité locale : la loi du 10 janvier 1980. Cette loi a introduit comme principales innovations le vote direct des taux d'imposition par les collectivités locales, des aménagements en matière de taxe d'habitation et de taxes foncières, des nouveautés concernant la taxe professionnelle.

Avec la reforme constitutionnelle de 2003, la question de l'organisation financière et fiscale locale s'est posée avec beaucoup plus d'acuité. C'est au même moment que la piste de la spécialisation fiscale locale a été le plus envisagée. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard en ce sens que des questions comme la simplification administrative, la prise en compte de la nouvelle gouvernance locale ou la montée en puissance de la démocratie participative locale ont accompagné la réflexion sur le deuxième acte de la décentralisation. C'est ainsi que M. P. DEVEDJIAN, alors Ministre délégué aux libertés locales envisageait la réforme fiscale comme un moyen de « simplifier notre fiscalité locale qui est particulièrement opaque en la spécialisant ».6(*)

La Note d'Orientation du 12 juillet 2001 sur la réforme des ressources fiscales et financières des collectivités évoque la question de la spécialisation fiscale comme piste éventuelle de reforme fiscale selon les propositions faites par le rapport Mauroy sur l'avenir de la décentralisation tout en mettant l'accent sur les nombreuses difficultés liées à sa mise en oeuvre pratique. Ainsi, on peut y lire que la spécialisation pose un problème de transfert entre collectivités locales et entre contribuables.

Par ailleurs, elle est susceptible d'engendrer des déséquilibres budgétaires et des transferts de charges insupportables entre contribuables. En outre, elle nécessiterait l'organisation d'un dispositif général de prélèvement et de compensation dont la gestion serait particulièrement lourde. Enfin, la spécialisation entraînerait des variations de taux qui risqueraient d'être difficilement acceptables. On peut remarquer que la crainte principale exprimée par ceux qui sont contre la spécialisation fiscale réside dans les inégalités qu'elle risque d'engendrer. Cette crainte semble quelque peu infondée dans la mesure où le système actuel n'est pas exempt de toute reproche en matière d'inégalités territoriales. Par ailleurs, comme nous le soulignerons ultérieurement, l'objectif de la spécialisation est de poser la question de l'impôt local comme instrument de concurrence territoriale tout en revoyant les modalités actuelles de résorption des inégalités engendrées par cette concurrence.

1. Le cas spécifique de la réforme de la Taxe Professionnelle

Dans le cadre de la commission Fouquet sur la réforme de la Taxe professionnelle, le Premier Ministre de l'époque, M. J-P. RAFFARIN a établit le cadre devant guider la réflexion générale sur la reforme de la fiscalité locale. En effet, celle-ci doit respecter quatre conditions majeures : la préservation de l'autonomie financière des collectivités territoriales, le maintien du lien avec l'activité économique des territoires, l'absence de transferts de charges supplémentaires vers les ménages et le renforcement de l'intercommunalité.

Il faut rappeler ici le poids particulier de la taxe professionnelle dans les finances des collectivités territoriales. En effet, celle-ci constitue, globalement, depuis sa création, un facteur d'accroissement des ressources pour les collectivités locales, son produit progressant plus vite que le Produit Intérieur Brut. Et cela, malgré la suppression de la part salariale. Hors compensations fiscales, le produit de la taxe professionnelle est une composante importante des ressources fiscales des collectivités locales : 35,2% pour les communes et leurs groupements, 31,4% pour les départements et 37,9% pour les régions.

Ce poids spécifique de la taxe professionnelle tient au fait que son assiette fiscale(équipements et biens mobiliers retenus sur la base de leur valeur initiale) est surtout constituée d'un stock, donc peu volatil. En d'autres termes, même lorsqu'une entreprise n'investit pas, et quels que soient ses résultats et sa situation financière, les bases restent identiques.

La thématique de la reforme de la TP est emblématique non pas de l'absence de pistes de reforme de la fiscalité locale mais du flou artistique qui entoure les volontés politiques quant au rôle que l'on veut accorder aux impôts locaux dans le nouveau contexte de l'action publique locale. Ainsi, le seul consensus autour de la reforme de la TP réside dans ce que la nouvelle imposition ne doit pas pénaliser l'investissement local sans que l'on sache s'il faut supprimer la TP, procéder à un simple aménagement de celle-ci ou bien la remplacer par un nouvel impôt local sur les entreprises.

La suppression pure et simple de la TP (sans remplacement) peut être mise en oeuvre selon les modalités suivantes : soit son remplacement par une dotation financière de l'Etat soit par le partage d'un ou de plusieurs impôts étatiques. La solution du simple aménagement de la TP part de l'idée que la reforme doit viser seulement à corriger les défauts de celle-ci, c'est-à-dire sa concentration sur une base étroite, la prise en compte des immobilisations à raison de leurs coûts d'acquisition ou le dépassement du plafond en fonction de la valeur ajoutée.

L'aménagement de la TP consisterait à un élargissement de sa base à d'autres facteurs de production ou l'instauration d'un nouveau plafonnement effectif en fonction de la valeur ajoutée. L'instauration d'un tel plafonnement a pour but de corriger certains effets pervers notamment le poids très important de la TP pour certaines entreprises malgré l'existence d'un plafonnement en fonction de la valeur ajoutée.7(*) Enfin, le remplacement de la TP par un nouvel impôt local serait l'instauration d'un impôt dont la base serait assise sur une assiette mixte composée de valeurs comptables et d'autres types de valeurs.

Dans le cadre de la Commission FOUQUET sur la réforme de la Taxe Professionnelle, plusieurs pistes ont été envisagées en matière d'assiettes, de modalités de fixation de taux et de niveaux de collectivités bénéficiaires du produit de l'impôt. Concernant l'assiette fiscale, le choix retenu en 1976 d'asseoir la TP sur des facteurs de production a été abandonné au profit d'une assiette constituée de soldes comptables. L'une des pistes les plus évoquées est celle d'asseoir la TP sur la valeur ajoutée. Certains auteurs ont même proposée que la taxe professionnelle soit remplacée par « une redevance territoriale d'activité » qui privilégierait la localisation de l'entreprise.

Ainsi, l'imposition des assiettes comptables présente un certain nombre d'avantages dans la mesure où celles-ci n'obligent pas les entreprises à tenir une comptabilité physique et qu'elles concernent l'entreprise et non de l'établissement. Les assiettes mixtes ont l'avantage d'instaurer un système d'imposition qui prendrait en comptes la diversité des situations des entreprises. On cite parmi elles, les valeurs locatives foncières, l'excédent brut d'exploitation ou le résultat net comptable.

L'un des aspects des propositions de reformes de la TP concerne la volonté d'introduire une « dose » de spécialisation » qui réduirait la superposition fiscale actuelle. Ainsi, le rapport de la commission Fouquet précise que la spécialisation fiscale présente un intérêt dans la mesure où elle correspond à la volonté du gouvernement de réduire la part de l'imposition locale des entreprises dans le total des ressources fiscales des collectivités locales. Par ailleurs, tout en rappelant que le mouvement de spécialisation est déjà engagé avec la Taxe Professionnelle Unique, le rapport pose le cadre d'une bonne mise en oeuvre de la spécialisation : la diminution du nombre de collectivités votant un taux d'imposition sur une même base, la possibilité pour les collectivités locales de disposer de plus d'une ressource fiscale, le lien entre fiscalité et territoire.

§2. La question des compétences fiscales des collectivités territoriales

L'un des aspects de la compétence fiscale des collectivités locales, c'est le vote direct par les assemblées délibérantes locales des taux d'imposition. Comme on l'a souligné précédemment, c'est la loi du 10 janvier 1980 qui instaure ce vote direct des taux. A ce titre, cette loi a constitué une évolution majeure vers l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. On peut donc dire que la question des compétences fiscales des collectivités locales est cruciale pour la problématique de l'autonomie.

Le rapport de la Commission Fouquet sur la réforme de la Taxe Professionnelle pose la question du vote des taux par les collectivités locales en de termes nouveaux qui prend en compte les nouvelles modalités d'exercice de l'action publique locale et la nécessité d'introduire une certaine spécialisation des impôts locaux. Ainsi, ce vote doit pouvoir concilier l'autonomie financière des collectivités locales tout en maintenant une certaine homogénéité de l'imposition des entreprises sur le territoire national.

Par ailleurs, la question de l'encadrement des taux devra être examinée sous trois aspects : la fixation d'un taux plancher et d'un taux plafond dans le but d'éviter des écarts de taux importants avec notamment l'instauration d'un système de taux pivot national que les collectivités locales pourraient moduler, le maintien d'un lien avec l'imposition des ménages et l'instauration d'un lien entre les politiques fiscales des collectivités locales de niveaux différents.

Il semble cependant que le vote des taux par les assemblées locales soit une liberté en trompe l'oeil dans la mesure où l'Etat continue d'encadrer et d'y jouer un rôle important. En effet, c'est la Direction Générale des Impôts qui calcule l'assiette des impôts directs locaux en fonction des données cadastrales. En outre, l'absence de spécialisation et l'enchevêtrement des niveaux d'imposition enlèvent aux collectivités locales tout pouvoir d'agir sur ses propres taux sans prendre en compte le niveau des taux des autres collectivités locales. En ce sens la spécialisation fiscale donnerait aux assemblées délibérantes locales une marge d'action très importante.

Pour bon nombre de spécialistes des finances locales, la véritable autonomie fiscale des collectivités locales passe par la reconnaissance d'un véritable pouvoir fiscal local. En d'autres termes, la véritable question que pose la réforme de la fiscalité locale n'est pas tant de savoir si les collectivités locales ont à leur disposition des ressources financières suffisantes que de savoir si elles ont la possibilité de maîtriser et de créer ces ressources.

Au-delà du principe de libre administration des collectivités territoriales, La Constitution ne reconnaît pas explicitement un pouvoir fiscal local. Cependant, depuis les années 90, il apparaît de plus en plus clairement que le Conseil Constitutionnel penche plutôt vers la préservation (à défaut de reconnaissance explicite) d'une forme de pouvoir fiscal aux collectivités locales. Ainsi, dans sa décision du 25 juillet 1990, il précise que « les règles posés par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités locales au point d'entraver leur libre administration ».8(*)

Cependant, les positions du Conseil Constitutionnel ne suffisent pas à consacrer totalement un véritable pouvoir fiscal local. C'est toute l'organisation des rapports entre l'Etat et les collectivités locales qu'il faudrait revoir non pas dans un sens qui effacerait la tutelle hiérarchique mais plutôt dans une redéfinition de cette tutelle au regard des nouveaux enjeux de l'action publique. C'est précisément l'esprit des demandes faites par les partisans d'une « Nouvelle République Territoriale ». Ce débat permet de faire la distinction entre compétences exclusives et compétences partagées pour mieux présenter les limites du système actuel d'organisation des compétences entre l'Etat et les collectivités locales mais également entre les collectivités locales mêmes.

En effet, le système actuel accorde une place très importante aux compétences partagées au détriment des compétences exclusives. Ce qui se traduit par une complexité et une inefficacité de l'ensemble de l'organisation sans oublier le manque de lisibilité. Sans remettre en cause les compétences partagées, il apparaît de plus en plus nécessaire de revoir le système de « distribution » des compétences pour renforcer l'importance des compétences exclusives dévolues à chaque niveau de collectivité.

Une telle révision entraînerait nécessairement une révision du système de « distribution » des compétences fiscales et financières. En d'autres termes, si la spécialisation fiscales est devenue une nécessité, c'est dans la mesure où elle est le corollaire de la reforme du système d'exercice des compétences locales.

Depuis quelques années, on assiste à un mouvement de transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales qui a connu son apogée avec le deuxième acte de la décentralisation. Ces transferts ont eu des conséquences importantes en matière financière et fiscale au niveau des collectivités locales. Ainsi, la loi du 27 juillet 1999 a crée la Couverture Maladie Universelle (CMU) et retiré de ce fait, aux départements, la gestion de l'aide médicale généralisée. Ce qui a eu pour conséquence un allégement de charges qui s'est manifesté par un prélèvement de 1.4Mds€ sur la Dotation de Décentralisation.

Cette même loi a simplifié le financement de la compétence d'aide sociale en supprimant les contingents communaux d'aide sociale versés aux départements et en les remplaçant par un abondement de la DGF d'un montant équivalent ( soit 1.7Mds€ ). En même temps, la DGF des communes a été amputée du même montant. Bien que ces mesures aient eu une conséquence financière neutre, elles ont engendré une modification des structures budgétaires des communes et des départements. En plus de ces mesures, on peut mentionner d'autres nouvelles compétences comme la gestion de l'Aide Personnalisée d'Autonomie (APA) par les départements et la généralisation des compétences en matière de transport ferroviaire pour les régions. Pour le financement de ces nouvelles dépenses, les départements bénéficient d'un concours géré par établissement public national, le fonds de financement de l'APA. Le tableau ci-dessous récapitule, pour information, les différents transferts de compétences vers les collectivités territoriales.

 
 


TABLEAU RÉCAPITULATIF DES TRANSFERTS DE COMPETENCES VERS LES COLLECTIVITES TERRITORIALES

Niveau de collectivitéCompétences transférées avant la loi du 13 août 2004Compétences transférées par la loi du 13 août 2004Commune et groupement de communesUrbanisme et transports-Élaboration des plans locaux d'urbanisme et des schémas de cohérence territoriale ;
-Délivrance de permis de construire ;
-Création, aménagement, exploitation des ports de plaisance.-Si elles le demandent avant le 1er janvier 2006, propriété, aménagement et gestion de tout port non autonome relevant de l'État situé sur son territoire ;
-Création, aménagement et exploitation des ports de commerce et de pêche qui leur sont transférés ;
-Peuvent se porter candidates jusqu'au 1er juillet 2006 pour l'aménagement, l'entretien et la gestion d'aérodromes civils.Enseignement-Propriété, construction, entretien et équipement des écoles publiques ;
-Intervention dans la définition de la carte scolaire.Possibilité de créer, à titre expérimental pour cinq ans, des établissements publics locaux d'enseignement primaire.Action économique-Participation possible au financement des aides directes aux entreprises dans le cadre d'une convention avec la région ;
-Attribution d'aides indirectes aux entreprises.-Possibilité de mettre en oeuvre leurs propres régimes d'aides après l'accord de la région ;
- Possibilité d'instituer un office de tourisme.LogementDéfinition d'un programme local de l'habitat pour les communes au sein d'un EPCI.- Délégation possible au maire ou au président d'un EPCI de la gestion du contingent préfectoral ;
- Possibilité de participer à la construction, l'entretien et l'équipement du logement des étudiants ;
- Lutte contre l'insalubrité à titre expérimental.Action sanitaire et socialeAction complémentaire à celle du département avec les centres communaux d'action sociale (CCAS).-Possibilité d'exercer des activités en matière de vaccination, de lutte contre la tuberculose, la lèpre, le sida et les infections sexuellement transmissibles ;
-Possibilité de gérer totalement ou partiellement le fonds d'aide aux jeunes (FAJ).CultureResponsabilité des bibliothèques de prêts, conservatoires et musées municipaux.-Organisation et financement de l'enseignement artistique initial ;
-Peuvent devenir propriétaire de monuments classés ou inscrits appartenant à l'État ou au Centre des monuments nationaux.DépartementAction sociale, solidarité, logement-Sauf exception, a la charge de l'ensemble des prestations d'aide sociale : aide sociale à l'enfance, aide aux handicapés, insertion sociale et professionnelle (gestion du RMI-RMA depuis le 1er janvier 2004), aide aux personnes âgées ;
-Protection sanitaire de la famille et de l'enfance.-Définit et met en oeuvre la politique d'action sociale ;
-Possibilité d'exercer des activités en matière de vaccination, de lutte contre la tuberculose, la lèpre, le sida et les infections sexuellement transmissibles ;
- Création dans chaque département, financement et gestion de nouveaux FAJ ;
- Expérimentation dans certains départements de compétences élargies en matière de protection judiciaire de la jeunesse ;
- Création dans chaque département, gestion et financement de nouveaux fonds de solidarité pour le logement.Aménagement de l'espace, équipement- Entretien et investissement concernant la voirie départementale ;
- Organisation des transports routiers non urbains de personnes et des transports scolaires hors du périmètre urbain ;
- Création, équipement et gestion des ports maritimes de commerce et de pêche ;
- Élaboration d'un programme d'aide à l'équipement rural ;
- Protection, gestion et ouverture au public des espaces naturels sensibles boisés ou non ;
- Donne son avis lors de l'élaboration du schéma régional d'aménagement et de développement du territoire (SRADT) par la région.- Gestion d'une partie (environ 15 000 km) des routes nationales ;
-Peuvent se porter candidats jusqu'au 1er juillet 2006 pour l'aménagement, l'entretien et la gestion d'aérodromes civils ;
-S'ils le demandent avant le 1er janvier 2006, propriété, aménagement et gestion de tout port non autonome relevant de l'État situé sur son territoire.Éducation, culture, patrimoine- Construction, entretien, équipement et financement des collèges ;
- Responsabilité des bibliothèques centrales de prêt ;
- Gestion et entretien des archives et des musées départementaux.- Propriété du patrimoine immobilier des collèges ;
- Définition des secteurs de recrutement des collèges après avis du conseil départemental de l'Éducation nationale ;
- Responsabilité du recrutement et de la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) des collèges ;
- Élaboration d'un schéma départemental de développement des enseignements artistiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique ;
- Gestion, à titre expérimental pour quatre ans , des crédits d'entretien et de restauration du patrimoine classé ou inscrit n'appartenant pas à l'État ou à ses établissements publics ;
- Peuvent devenir propriétaire de monuments classés ou inscrits appartenant à l'État ou au Centre des monuments nationaux.Action économique-Participation possible au financement des aides directes aux entreprises dans le cadre d'une convention avec la région ;
-Attribution d'aides indirectes aux entreprises.Possibilité de mettre en oeuvre leurs propres régimes d'aides après l'accord de la région.RégionDéveloppement économique
(domaine dans lequel la région joue un rôle de coordination)- Détermine le régime des aides directes et les attribue (primes régionales à l'emploi, à la création d'entreprise et prêts et avances à taux bonifiés) ;
-Mise en oeuvre et attribution des aides indirectes (garanties d'emprunt aux entreprises, exonération de la taxe professionnelle).-Suppression de la distinction entre aides directes et indirectes aux entreprises, remplacée par la distinction entre aides économiques et aides à l'immobilier ;
-Le conseil régional définit le régime des aides économiques aux entreprises et décide de leur octroi ;
- Élaboration d'un schéma régional de développement économique à titre expérimental pour cinq ans. Aménagement du territoire et planification- Participation à l'élaboration de la politique nationale d'aménagement et de développement durable ;
- Élaboration d'un schéma régional d'aménagement et de développement du territoire (SRADT) ;
- Signature de contrats de plan État-Région, notamment pour la mise en oeuvre du SRADT ;
- Élaboration d'un schéma régional de transport ;
- Organisation des services de transport routier non urbain des personnes et des transports ferroviaires de la région, sauf en Ile-de-France où le syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) remplit ces fonctions.- Élaboration d'un schéma régional des infrastructures et des transports (anciennement schéma régional de transport) ;
-Peuvent se porter candidates jusqu'au 1er juillet 2006 pour l'aménagement, l'entretien et la gestion d'aérodromes civils ;
-Si elles le demandent avant le 1er janvier 2006, propriété, aménagement et gestion de tout port non autonome relevant de l'État situé sur son territoire.Éducation, formation professionnelle- Construction, entretien, équipement et financement des lycées, établissements d'éducation spéciale et lycées professionnels maritimes ;
- Financement d'une part significative des établissements universitaires ;
-Élaboration du plan régional de développement des formations professionnelles ;
- Adoption d'un programme d'apprentissage et de formation professionnelle continue.- Propriété du patrimoine immobilier des lycées, établissements d'éducation spéciale et lycées professionnels maritimes ;
- Responsabilité du recrutement et de la gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) des lycées ;
- Définition et mise en oeuvre de la politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes ;
- Adoption d'un programme d'apprentissage et de formation professionnelle continue désormais dans le cadre du plan régional de développement des formations professionnelles.Culture-Organisation et financement des musées régionaux ;
-Conservation et mise en valeur des archives régionales.-Responsabilité de l'inventaire général du patrimoine culturel ;
-Possibilité de gérer, à titre expérimental pour quatre ans, les crédits d'entretien et de restauration du patrimoine classé ou inscrit n'appartenant pas à l'État ou à ses établissements publics ;
- Peuvent devenir propriétaire de monuments classés ou inscrits appartenant à l'État ou au Centre des monuments nationaux ;
- Organisation et financement du cycle d'enseignement artistique professionnel initial.Santé -Possibilité d'exercer des activités en matière de vaccination, de lutte contre la tuberculose, la lèpre, le sida et les infections sexuellement transmissibles ;
- Si elles en font la demande, participation, à titre expérimental pour quatre ans, au financement et à la réalisation d'équipements sanitaires.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Bien que la décentralisation ait confié un grand nombre de missions aux collectivités territoriales françaises, il semble qu'elle a surtout entraîné une forte augmentation des dépenses sans pour autant renforcer le degré d'autonomie locale. Or, les indicateurs quantitatifs de décentralisation constitués notamment des montants de recettes et de dépenses locales peuvent donner une idée erronée du degré de responsabilité dont jouissent les collectivités territoriales. En d'autres termes, la part des dépenses et des recettes n'est pas un bon indicateur d'autonomie locale.

Si le renforcement des compétences locales constitue un aspect de la nouvelle action publique locale, il faut dire que celles-ci apportent plus de questionnements que de réponses. En France, les débats actuels sur le deuxième acte de la décentralisation portent quasi-exclusivement sur l'exercice des compétences par les collectivités locales. Il s'agit toujours du même constat.

D'un côté, on observe que les collectivités locales deviennent de plus en plus des acteurs majeurs de la nouvelle action publique locale. Et de l'autre, on peut se rendre compte des carences en matière de moyens financiers. Cependant, il nous semble que la question financière ne se pose pas en termes de moyens mais plutôt en termes d'adaptation des principes fiscaux et financiers à la dépense publique. D'ailleurs, ce deuxième chapitre est centré sur cette notion de dépense publique locale. Une notion que l'on ne veut pas reconnaître explicitement et qui constitue pourtant, un aspect essentiel de la réflexion sur l'avenir de la décentralisation.

* 5 Rapport BRUNEL -Conseil Economique et Social

* 6 Interview de P. DEVEDJIAN dans La Gazette du 3 février 2003

* 7 Le dispositif actuel de plafonnement consiste à faire bénéficier aux entreprises, sur leur demande, d'un plafonnement de leur cotisation par rapport à la valeur ajoutée, dont le taux varie entre 3.5% et 4% selon le montant de chiffres réalisé. La cotisation éligible au plafonnement est une cotisation de référence calculée avec le taux de TP de 1995 (ou le taux de l'année s'il est inférieur). L'inconvénient majeur de ce dispositif est que les hausses de pressions fiscales intervenues depuis 1995 ne sont pas prises en compte dans le plafonnement et restent donc à la charge de l'entreprise.

* 8 CC, décision n°90-277DC du 25 juillet 1990.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite