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John Carpenter, une mise en scène du menaçant

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par Julien Le Goff
Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle (ESRA) - D.E.S.R.A. 2005
  

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2.2- une menace retardée car suggérée et incarnée.

Notons que si la menace peut être observée et étudiée par le personnage carpentérien, c'est qu'avant de se manifester frontalement, elle s'incarne d'abord dans un premier temps physiquement par des effets sur notre monde scientifiquement observables. Hélène Frappat (42) souligne que « l'oeuvre de Carpenter s'est [toujours] attachée à prouver l'existence du mal par les effets qu'il produit ». Ainsi, dans Fog, avant que les fantômes ne marchent sur la ville, un médecin pratique une autopsie sur le cadavre d'un des marins, celui-ci portant une marque physique (son corps est décomposé comme s'il avait séjourné extrêmement longtemps dans l'eau) surnaturelle mais scientifiquement observable qui lui a été léguée par le brouillard maléfique. Dans The Thing, Mac-Ready ramène du camp Norvégien une preuve de l'existence de la chose avec ce corps horriblement difforme fruit d'une mutation avortée. Ce corps, étudié par Blair, en plus d'incarner l'existence de la chose, livrera de précieuses informations sur son mode de fonctionnement, ce qui permettra de la combattre. Dans Halloween, le Dr Loomis prouve la présence de Michael Myers dans la ville grâce au cadavre de chien trouvé dans la maison abandonnée, cadavre qui lui permettra dans le même temps de prouver au policier la violence extrême et gratuite du personnage, qui comme il prendra bien soin de le préciser, « n'est pas humain » (« Ce n'est pas un être humain. C'est le mal en personne. Ce qui vit derrière ce regard n'est que le mal à l'état pur. » « A man wouldn't do that. This is not a man »). Enfin, dans Prince des Ténèbres, Arnaud Bordas (43) précise que la menace trouve son incarnation physique « dans une corruption de la chair qui envahit littéralement le film. Un personnage est complètement dévoré par une multitude de cafards carnivores, tandis que Calder s'égorge au moyen d'une écharde en bois et qu'un bleu étrange grossit sur le bras de Kelly. Cette progression virale du mal, cette contamination, est une marque de fabrique de Carpenter, et il s'emploie, dans Prince des Ténèbres, à en développer toute la richesse thématique. Le Mal, dans ses films en général, et dans Prince des Ténèbres en particulier, n'est pas une notion abstraite, c'est une réalité tangible qui s'imprime dans les chairs et suinte des murs. ». A côté de cette incarnation physique et concrète du Mal par les effets qu'il produit, Carpenter travaille à sa suggestion par l'intermédiaire de sa mise en scène : on ne reviendra pas sur la manière dont Carpenter gère sa représentation de l'espace pour imprégner la ville toute entière de la présence de Michael Myers, suggérant sa présence oppressante en permanence. On peut par contre citer l'utilisation qu'il fait de plans faussement subjectifs dans The Thing : lorsque Mac-Ready s'approche du camp Norvégien, la caméra, placée à l'intérieur du camp abandonné, derrière la fenêtre, à hauteur d'homme, effectue un léger mouvement de travelling accompagnant le mouvement du visiteur, donnant la sensation que quelqu'un (ou quelque chose) est là et observe Mac-Ready. En fait, il n'en est rien ; il s'agit juste d'une fausse piste employée pour faire ressentir au spectateur le poids de la menace qui pèse sur les personnages sans avoir besoin de la matérialiser physiquement. Enfin, on ne peut pas ne pas citer l'emploi particulier que fait Carpenter de la musique qu'il compose essentiellement par lui-même (dans la liste de films que nous avons retenu, seule la musique de The Thing n'a pas été composée par Carpenter ; elle est l'oeuvre de Ennio Morricone), utilisée pour suggérer la présence du Mal qui rôde près des personnages : que ce soit la rythmique musicale de Fog qui accompagne les avancées du brouillard ou bien encore la fameuse mélodie 5/4 (cinq temps dans une mesure) accompagnant le boogey man d'Halloween (et que Carpenter tient de son père), la musique chez Carpenter devient un palliatif suffisant à la représentation physique de la menace : autrement dit, même s'ils ne sont pas présents à l'image, le simple fait d'entendre la musique qui leur est liée suffit au spectateur pour ressentir physiquement la présence des fantômes de Fog ou celle de Michael Myers.

Cette utilisation ambivalente de la suggestion (qui désincarne et métaphorise la menace) et de l'incarnation physique (qui au contraire ne la rend plus abstraite mais bien physique) rapproche beaucoup la mise en scène de Carpenter de l'écriture de Lovecraft : cet écrivain né à Providence (Rhodes Island) en 1890 et mort en 1937, partage en effet cette même ambivalence dans sa représentation du mal, représentation qui est le coeur même de son écriture. D'un côté, il traite du Mal indicible et innommable qui ne peut irrémédiablement être que suggéré pour la simple et bonne raison qu'il dépasse les capacités d'appréhension intellectuelle de l'Homme. D'un autre, il cherche constamment à en exprimer les effets physiques, scientifiques sur notre monde. Comme le résume Michel Houellebecq dans son étude de Howard Phillips Lovecraft (44) : « Plus les évènements et les entités décrites seront monstrueuses et inconcevables, plus la description sera précise et clinique ». Carpenter, conscient de cette filiation formelle et thématique, aura plusieurs fois officieusement adapté l'univers de Lovecraft, notamment dans Prince des Ténèbres et surtout dans l'Antre de la Folie : à ce sujet, il reconnaît d'ailleurs (45) s'être « replongé dans l'univers de Lovecraft avant de faire le film. L'antre de la Folie est effectivement une histoire de Lovecraft sans Lovecraft. Il s'agit donc clairement d'un hommage à ce romancier. Je n'avais pas encore dix ans que je lisais déjà The Dunwich Horror dans mon lit. Et j'étais glacé de terreur jusqu'à l'os. J'ai d'ailleurs cité carrément Lovecraft texto. Quand Lynda Styles lit des passages du nouveau livre de Sutter Cane, passages que Trent va voir se matérialiser sous ses yeux, elle lit en fait des citations presque exactes de textes de Lovecraft, des Rats dans les Murs notamment. 

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