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John Carpenter, une mise en scène du menaçant

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par Julien Le Goff
Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle (ESRA) - D.E.S.R.A. 2005
  

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1.2- une hostilité progressive: l'espace déréglé et contaminé.

Les personnages carpentériens s'inscrivent donc viscéralement dans un espace propre: le pénitencier de New-York et l'enfer de Los-Angeles pour Plissken, à nouveau Los-Angeles pour John Nada, le "suburb" d'Haddonfield pour Laurie Strode, la base scientifique et l'immensité glaciale de The Thing, la ville maudite d'Antonio Bay dans The Fog, Midwich dans Le Village des Damnés, le commissariat d'Assaut...

Cet espace peut sembler tout d'abord pour le personnage carpentérien un espace-refuge en mesure de le protéger des agressions extérieures. Or ce sentiment peut se révéler illusoire; ainsi dans Assaut, les personnages, et Bishop en tête, se sentent dans un premier temps en confiance dans le commissariat où ils sont réfugiés, d'abord pour des raisons concrètes (les murs de l'enceinte) mais également pour une raison d'ordre symbolique: cet espace est une représentation physique d'une institution, celle de la police, donc un espace a priori sacralisé et inviolable. Le tabou va être pourtant brisé, car la menace qui se profile, en tant que représentation épurée du Mal, n'a pas (et ne peut pas avoir) de limites. Le commissariat, pris d'assaut, va donc perdre son statut de sanctuaire intouchable, et, pire encore, se voir progressivement "contaminé" par la masse assaillante pour finir par se refermer sur ses occupants. Comment va se construire cette contamination? D'abord par le message délivré par les assaillants, qui désigne "officiellement" le bâtiment comme cible. Puis par leurs balles, qui vont venir briser la frontière symbolique des vitres et détruire l'intérieur du commissariat (voir la succession irréelle d'inserts sur les balles qui viennent frapper et démolir les éléments du décor, donnant le sentiment d'un nombre illimité de munitions), transformant un espace ordonné et stable en un champ de ruines à l'image de la violence aveugle du gang. En détruisant cet espace ils le contaminent et le modifient à leur image. Puis ils vont le pénétrer, se l'appropriant petit à petit et reléguant Bishop et ses compagnons dans un environnement à l'inverse de plus en plus confiné: l'assaut final sera ainsi donné dans un couloir très étroit. C'est ainsi que l'espace d'abord refuge, du fait de la "contamination" dont nous avons parlé, se referme progressivement sur ses occupants. C'est d'ailleurs pour cette raison que s'extraire du commissariat deviendra un enjeu de plus pour Bishop, Wilson et les autres, Carpenter empruntant directement cette séquence à La Nuit des Morts-Vivants, où les survivants, terrés dans une maison éloignée, tentent de gagner une voiture postée à l'extérieure afin de fuir. Dans les deux cas, l'échec sera cinglant. Pour Carpenter, on ne déserte pas un espace aussi facilement qu'on l'investit, surtout lorsque celui-ci a laissé pénétrer le Mal. Car le Mal contamine l'espace et se l'approprie. Bertrand Rougier (2), s'il ne parle pas à proprement parler de "contamination", ne dit pas autre chose: "A l'instar de la majorité des films de Carpenter, Assaut est hanté par un malaise qui sourd à tous les coins de rue, chaque parcelle du cadre étant minée par la promesse d'un drame. Figure archétypale du Western, la "ville morte" d'Anderson est habitée par les forces destructrices. La lente désagrégation des murs a libéré les esprits maléfiques de la cité."

L' espace peut également sembler au départ rassurant parce que le personnage carpentérien y est parfaitement habitué, développant avec son environnement une relation quotidienne. Les habitants d'Antonio Bay (Adrienne Barbeau, Janet Leigh...) constituent un bon exemple de ces personnages carpentérien qui vont voir l'espace qu'ils maîtrisent (Janet Leigh est ainsi la maire, donc celle qui détient l'autorité sur la ville, Adrienne Barbeau est la gardienne du phare, celle qui domine physiquement la ville) se dérégler progressivement. Et de la même manière que dans Assaut, ce sont les forces maléfiques qui menacent la ville qui en l'infiltrant (encore une fois en la "contaminant" donc) vont provoquer son dérèglement: Hélène Frappat (3) relève que "dans le long générique en forme de prologue (il dure presque 10 minutes), l'irruption des fantômes fait dérailler l'électricité (lampes et télévisions qui s'éteignent ou s'allument), endommagent un supermarché et une station météorologique, renverse les voitures." Bref, note-t-elle, "les fantômes menacent l'Amérique à travers ses biens de consommation, c'est-à-dire ce qu'elle a de plus précieux". Là encore, la force menaçante modifie l'espace à son image, le brouillard supprimant les moyens de communication modernes et l'électricité, renvoyant littéralement la ville d'Antonio Bay dans le passé, et donc à son passé (coupable). A noter enfin que l'image du brouillard, masse sans matière qui s'infiltre, se faufile et se répand traduit bien cette idée de "contamination" que nous avons évoqué. On pourra rapidement relever ce même système de "contamination-dérèglement de l'espace" dans Prince des Ténèbres et Halloween : dans Prince des Ténèbres, Arnaud Bordas (4) remarque que "Carpenter enferme donc à nouveau ses personnages dans un lieu clos assiégé de l'extérieur et miné de l'intérieur." Développant l'idée de virus maléfique, Bordas constate également que "le Mal gangrène [l'église] de l'intérieur, par ses attaques répétées sur les protagonistes, mais aussi de l'extérieur, par les nombreux changements qu'il entraîne dans le comportement des humains (clochards menaçants) et des animaux (grouillement d'insectes) mais aussi par la modification des conditions climatiques ("il y a quelque chose dans l'air" dira le prêtre).". Dans Halloween, c'est le personnage de Myers qui va dérégler de sa présence fantomatique le cadre urbain d'Haddonfield, Carpenter pliant cet espace, par le simple fait de sa mise en scène, à la volonté du tueur. Par un savant jeu de montage, Carpenter lui donne ainsi la capacité d'apparaître et de disparaître à volonté, le rendant invisible aux yeux de Laurie pendant les trois-quarts du film (seuls les enfants pouvant apercevoir le "croquemitaine"). Myers imprègne même complètement l'espace (voir par exemple le plan où il observe la maison de Laurie: un plan large nous dévoile la maison, avec au premier plan Myers à côté d'un arbre. Plus tard, Carpenter réutilisera le même plan, avec exactement la même valeur et le même cadre, mais sans le tueur. Pourtant la mémoire visuelle du spectateur fait l'association entre les deux plans et "insère" malgré lui dans le deuxième plan un Myers pourtant physiquement absent.) pour finir par fusionner parfaitement avec lui comme en témoigne les derniers plans du film, des plans larges de la ville accompagnés de sa respiration caractéristique: plus qu'il n'est dans la ville, Michael Myers est la ville en tant qu'il la hante. Pour finir, on pourra relever dans The Thing un dernier exemple d'espace contaminé et modifié par ce qui le menace: lorsque Mac-Ready se rend à la base Norvégienne, il découvre un espace complètement déstructuré, corrompu, en ruines (Carpenter qualifie lui-même ce passage de "séquence maison hantée") mais ne comprend pas ce qui c'est passé. A la fin du film, après que Mac-Ready ait affronté la chose, un des derniers plans nous le dévoile errant dans les vestiges de sa propre base en ruine, cette destruction de l'espace constituant la marque caractéristique du passage de la chose. Notons enfin que l'idée de « contamination » et même de virus au sens large est présente à travers toute la filmographie de Carpenter : de l'Anti-Dieu qui projette sa matière verte sur les personnages pour les assujettir dans Le Prince des Ténèbres aux envahisseurs qui inséminent les habitants de Midwich dans Le Village des Damnés (cette idée d'infiltration étant déjà présente dans le livre dont s'est inspiré Carpenter comme il le révèle lui-même (5) : « The Midwich Coockoos écrit par John Wyndham. Le coucou du titre est une race d'oiseaux qui mettent leurs oeufs dans le nid d'autres oiseaux afin qu'ils élèvent ces créatures comme les leurs. Méthode que les extraterrestres appliquent chez les habitants du Village des Damnés. »), en passant par les ondes radios qui asservissent l'humanité dans Invasion Los-Angeles, le syndrome vampirique de Vampires ou les esprits de Mars qui voyagent de corps en corps dans Ghosts of Mars. Cette idée de virus trouve bien sûr son apogée dans The Thing où la créature absorbe les identités les uns après les autres par simple contact, ses cellules contaminant et détruisant celles du corps que la chose vient remplacer. En lisant un article avant même le tournage Carpenter s'étonnera d'ailleurs des similitudes entre le syndrome HIV qui vient de faire son apparition et sa propre créature.

Enfin, concluons ce chapitre en remarquant tout de même qu'il peut arriver que le héros Carpentérien n'assiste pas au dérèglement progressif de son espace, mais qu'il prenne simplement conscience qu'il a simplement toujours évolué dans un espace contaminé sans le savoir. Ainsi, dans Invasion Los-Angeles, John Nada découvre que tout l'espace dans lequel il évolue est régi par des extra-terrestres manipulant l'humanité. Le dérèglement, déjà opéré, a institué un nouvel ordre qui est désormais la norme. En voulant renverser cet ordre, Nada devient lui-même le virus qui dérègle l'espace, Carpenter retournant ici ses propres stéréotypes cinématographiques. Pourchassé par la police et l'armée, véritable système immunitaire de l'ordre instauré par les extraterrestres, le corps étranger John Nada (d'autant plus étranger qu'au début du film il débarque à Los-Angeles) va néanmoins réussir à poser les bases d'un renversement de la situation de nature à rétablir l'équilibre initial (c'est-à-dire avant que les envahisseurs ne prennent le pouvoir).

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