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John Carpenter, une mise en scène du menaçant

( Télécharger le fichier original )
par Julien Le Goff
Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle (ESRA) - D.E.S.R.A. 2005
  

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2- un espace qui oblige à la confrontation avec l'ennemi.

2.1- une logique d'affrontements et de domination avec

un seul enjeu: la survie.

Dire que la survie est le seul enjeu de l'univers carpentérien est probablement exagéré... Comme nous le verrons ultérieurement, d'autres enjeux (narratifs, thématiques, métaphysiques même) viennent structurer le film en se succédant et se répondant les uns les autres. Il serait probablement plus juste de dire que cette "survie" en est l'enjeu principal, celui qui est le coeur même du film et dont découlent tous les autres. Penchons nous précisément sur les films de Carpenter afin de vérifier cette logique de la survie comme enjeu central: dans Assaut, Bishop et les occupants d'un commissariat doivent survivre aux assauts d'un gang venu récupérer un père de famille coupable d'avoir exercé sa vengeance sur l'un des leurs; dans Halloween, afin d'assurer sa survie Laurie Strode tente d'échapper à un tueur masqué et sans mobile apparent; dans The Thing, Mac-Ready et un groupe de scientifiques américains cherchent à repousser une créature protéiforme venue de l'espace qui les absorbe les uns après les autres; dans Prince des Ténèbres, le professeur Birak (Victor Wong) et le prêtre Loomis (Donald Pleasence, ainsi nommé en référence à son rôle de docteur dans Halloween) entament une lutte à mort contre l'Anti-Dieu et ses serviteur afin d'empêcher son avènement; dans Invasion Los-Angeles, John Nada (Roddy Pipper) un ouvrier pauvre fraîchement débarqué à Los-Angeles découvre que la réalité n'est pas ce qu'elle semble être et que le monde est en fait contrôlé par des extra-terrestres ayant réduit l'humanité à l'asservissement, ce qui provoque son engagement du côté de la résistance; dans le Village des Damnés, des envahisseurs fécondent les femmes du petit village de Midwich afin que les enfants ainsi créés prennent le contrôle de la planète; dans Vampires, Jack Crow cherche à éliminer Valek avant qu'il ne récupère un artefact qui le rendrait quasi-invincible et condamnerait l'humanité à disparaître; dans Ghosts of Mars, Mélanie Ballard et son équipe doivent survivre à l'attaque des esprits de Mars, bien décidés à récupérer leur terre... Survivre, voilà bien le maître mot de la dramaturgie carpentérienne. Et cette survie s'exprime tout d'abord de la manière la plus concrète, la plus physique, la plus organique qui soit: le héros carpentérien et la force qui le menace ne peuvent coexister, la victoire de l'un passant nécessairement par l'élimination physique de l'autre, tout du moins dans l'espace / temps pur du métrage (en effet nous verrons plus tard que chez Carpenter rien n'est jamais vraiment terminé, chaque victoire de l'un ou l'autre camp n'étant qu'une simple bataille dans l'immense -et éternelle?- guerre que se livrent le Bien et le Mal), l'exemple le plus probant étant sûrement celui de la chose dans The Thing, qui pour éliminer sa proie prend strictement sa place. Ainsi lorsque le héros carpentérien échoue à éliminer physiquement ce qui le menace, la victoire lui échappe, car une menace simplement repoussée est une menace destinée à revenir "hanter" le personnage : ainsi en est-il de Michael Myers dans Halloween, dont le final suggère que le tueur masqué, parce qu'il n'a pas été, encore une fois, physiquement éliminé (mais peut-il réellement l'être?), reviendra encore et encore tourmenter sa proie, Myers devenant même le héros d'une franchise ultra-rentable et mondialement connue (une dizaine de suites, dont un nouveau projet qui vient tout juste d'entrer en pré-production!) même si elle n'entretient plus de rapport direct avec John Carpenter. De même, dans Le Village des Damnés, la survie du petit David, envahisseur humanisé mais envahisseur tout de même, annonce probablement une nouvelle lutte à mort à venir...

Mais la menace qui pèse sur le héros carpentérien peut-elle être d'ailleurs éradiquée? En étudiant de près la filmographie de Carpenter, on peut en douter: dans Prince des Ténèbres, le sacrifice de Catherine semble condamner l'avènement de l'Anti-Dieu, pourtant un dernier plan final terrible montre l'inutilité de son acte, qui n'aura finalement servi qu'à gagner un peu de temps. On ne lutte pas contre une force supérieure semble nous dire Carpenter dans un constat froidement pessimiste. Allons même plus loin en prenant l'exemple d'Assaut, un des rares films de Carpenter où le héros carpentérien semble anéantir complètement la menace qui pèse sur lui, en l'occurrence un gang déterminé à aller au bout de son action meurtrière, quel qu'en soit le prix à payer: en effet, Bishop et Napoléon Wilson, retranchés dans la cave du commissariat finissent par prendre tous les risques en "dynamitant" purement et simplement leurs assaillants. La victoire semble alors totale. Mais Bishop, qui a grandi dans ces quartiers et les a vus progressivement gangrenés par la corruption et la délinquance, peut-il réellement croire que cette victoire anecdotique suffira à mettre fin à la violence qui embrase les rues? Bien évidemment non. Même constat amer de Carpenter, qui avoue s'être entretenu de ce sujet avec l'acteur et ex-chanteur de hip-hop Ice Cube (du groupe NWA, Niggas With Attitude, issu des ghettos les plus durs de Los-Angeles), à l'occasion du tournage de son dernier film Ghosts of Mars (6): "la situation aujourd'hui n'est pas reluisante, regardez ce qu'ils ont fait au commissariat ici à Los-Angeles. Il y a eu un article dans Rolling Stone Magazine qui affirmait que les gangs de L.A. avaient infiltré la police. Pourquoi se battent-ils? Ice Cube a tenté de m'expliquer la situation, il m'a dit: "imagine que tu vives pépère dans ton quartier. Seulement à côté de chez toi il y a des gars qui ont des gros calibres. Ben t'es obligé de choper l'équivalent pour être prêt lorsqu'ils viendront faire chier. C'est la guerre mec!". Le pire c'est qu'ils n'ont que faire des victimes, ils arrosent les rues un point c'est tout. Les gamins apprennent à se jeter par terre lorsqu'ils entendent des coups de feu. Je ne pense pas que mon film (Assaut) était si terrible quand je vois les rues de L.A. aujourd'hui."

Un personnage dans l'oeuvre de Carpenter est particulièrement représentatif de cette idée de survie comme enjeu majeur voire unique: c'est le personnage de Snake Plissken. Que ce soit dans New-York 1997 ou bien dans Los-Angeles 2013, Plissken est un être dont toute l'énergie est dirigée vers un seul but, assurer sa survie coûte que coûte. Une scène, qui a fait couler beaucoup d'encre, illustre parfaitement cet instinct de survie prioritaire: lorsqu'au début du film, alors qu'il vient d'entrer dans New-York, on le voit passer à côté d'une femme en train de se faire violer sans qu'il daigne intervenir. Surprenant de la part d'un "héros"? Pas si l'on considère que Plissken n'est absolument rien d'autre qu'un survivant, et que donc tout ce qui peut le détourner des conditions de sa survie n'existe pour ainsi dire pas. Plissken n'est pas au-dessus des notions de bien ou de mal, il est ailleurs: un personnage plus amoral qu'immoral. Ou plus précisément, la seule morale qui tienne, c'est celle qui lui permettra de s'en tirer. Comme l'explique Carpenter (7) : « je crois que ce détail fait froid dans le dos, parce qu'il montre que Plissken est un homme renfermé, même cynique, et qui place sa mission au-dessus de tout. La seule chose qui l'intéresse, c'est de retrouver le président des Etats-Unis pour sauver sa peau.". Pour résumer, Carpenter (8) définit d'ailleurs ainsi le personnage: "Snake Plissken symbolise surtout la liberté totale sans entrave, sans la moindre contrainte sociale. Il se fiche de tuer, de secourir des gens. Il est terriblement mauvais, terriblement innocent. Rien ne peut le changer, c'est un incorruptible. Tout ce qu'il désire c'est vivre 60 secondes de plus." Et effectivement, Snake est parfaitement réductible à son instinct de survie. Ce n'est pas par hasard qu'il est choisi par deux fois pour mener à bien les missions périlleuses, pour ainsi dire même impossibles, de traverser des espaces mortifères (traduisons: où la mort rôde à chaque coin de rue): en lui injectant un poison (ou en le lui faisant croire, l'effet placebo se révélant tout aussi efficace) qui le ronge lentement, c'est-à-dire en mettant en balance sa vie contre la réussite de la mission qui lui est assignée (ramener le président ou une étrange boite noire: missions que Hélène Frappat qualifie de "mac guffin" (9) vivre constituant bien sa seule et unique quête), ses employeurs profitent son instinct de survie, qui, concentrant toute ses ressources vers ce seul but, lui permettent de littéralement déplacer des montagnes. Ainsi, Carpenter sème les pires embûches sur le chemin de son personnage, lui dressant un parcours initiatique que l'on peut qualifier de véritable chemin de croix sans qu'à aucun moment Plissken ne semble même songer à renoncer: trahi, kidnappé, roué de coups, humilié, s'éloignant de son objectif à chaque fois même qu'il semble s'en approcher, le "snake" ne cesse jamais de reprendre sa marche en avant, sur une jambe s'il le faut, inéluctablement, en un étrange reflet du personnage de Michael Myers. Si ce dernier est conduit par un besoin de tuer qui transcende son statut de mortel, c'est la volonté de vivre qui donne à Plissken un caractère surnaturel, quasi-miraculeux; on peut citer la séquence de l'épreuve de basket dans Los-Angeles 2013, où Cuervo Jones qui vient de le capturer lui lance un défi insurmontable: effectuer des allers-retours sur un terrain de basket en mettant un certain nombre de paniers en un temps limité, ce que personne n'a jamais réussi. Tâche d'autant plus difficile pour un Plissken affaibli, qui pourtant n'a qu'un panier de retard à la dernière seconde: un dernier panier à marquer... du milieu de terrain! En un plan large magistral, Carpenter nous montre Plissken prendre le ballon, le lancer de manière peu orthodoxe, presque à l'aveuglette et réussir l'impossible (le gang de Cuervo Jones en reste sans voix pendant de longues secondes, dans un silence assourdissant, avant de se mettre à scander son nom, validant son statut de figure "mythique"), mais finalement de manière parfaitement prévisible. Echouer signifie mourir: et pour Plissken, voilà l'impossible. En effet, ce personnage est le seul "héros" carpentérien à être ainsi virtuellement immortel: pourquoi? Peut-être parce qu'il est déjà d'une certaine manière, toujours à l'instar d'un Michael Myers, déjà mort. Hélène Frappat relève ainsi (10) que dans New-York 1997 "'à chaque nouvelle rencontre s'engage le même dialogue: "t'es Snake Plissken, je te connais. Je te croyais mort." "- toi t'es un flic? - Non moi je suis un con. - Je te connais, j'avais entendu dire que t'étais mort. - Je le suis.". Ce dialogue en forme de running gag se poursuivra évidemment dans Los-Angeles 2013 (...): "Plissken est mort tellement de fois qu'on ne peut pas toutes les compter." A l'un des ennemis qui le menace: "s'il m'arrive quelque chose tu es mort" Plissken, en toute logique, répond: "je suis déjà mort"." Allant plus loin encore, Hélène Frappat (11) dresse une association entre le final de Los-Angeles 2013 et le statut fantomatique du héros: "Snake est le fantôme du héros, et sa nature fantomatique surgit d'ailleurs "en pleine lumière" à la fin de Los-Angeles 2013, quand il envoie à ses adversaires un hologramme, autrement dit un leurre de lui-même". Personnage donc particulièrement paradoxal, et donc d'autant plus intéressant, qui ne cherche rien tant qu'à assurer sa survie par tous les moyens alors qu'il a peut-être déjà quitté le monde des vivants.

Enfin , notons succinctement que le combat pour la survie du héros carpentérien engage presque systématiquement la survie de l'humanité entière, faisant de ce héros, plus qu'un dernier rempart de l'humanité, un représentant symbolique de celle-ci. Le combat du héros carpentérien, c'est le combat de l'humanité pour sa survie et celle de ses valeurs contre la menace du Mal, que ce soit le Dr Allan Chaffee qui s'oppose aux enfants envahisseurs et à leur volonté d'uniformisation, Mac-Ready contre "la chose" et la menace qu'elle fait peser sur l'identité humaine ou John Nada résistant à la volonté d'asservissement intellectuel et mental des extra-terrestres... Comme le prouve le final de l'Antre de la Folie, l'échec de Trent, notamment à saisir ce qui fait les limites de notre perception de la réalité, entraîne la disparition de l'humanité entière contaminée par la réalité terrifiante proposée comme nouveau modèle par Sutter Cane. Au contraire dans Assaut, la victoire de Bishop, c'est celle (temporaire) des valeurs d'entraide, de loyauté et de confiance sur la violence aveugle...

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille