II- LA CONFISCATION DU POUVOIR CONSTITUANT PAR LES
POUVOIRS CONSTITUES
Les commodités pratiques de l'exercice du pouvoir
constituant ont conduit à attribuer des rôles aux pouvoirs
institués dans la procédure de révision. Mais il est
loisible de constater qu'ils ont confisqué ce pouvoir. Cela se traduit
par l'emprise présidentielle sur le processus constitutionnel (A) et la
pleine souveraineté des représentants du peuple (B).
A) L'emprise présidentielle sur le processus
constitutionnel
L'élaboration des Constitutions autant que les
révisions constitutionnelles révèlent une présence
hégémonique du président de la République. Cette
emprise s'explique par un pouvoir discrétionnaire et exclusif de
l'opportunité (1) et de la gravité (2) de toute initiative en
matière constitutionnelle.
1- Juge de l'opportunité de
l'élaboration et de la révision de la constitution
Nouvelles ou révisées, l'histoire des
Constitutions camerounaises est celle des projets et des visions du chef de
l'Etat (49). En effet, en mettant de côté la constitution de 1960
qui rentre dans la logique juridique de la naissance d'un nouvel Etat, "la
dynamique constitutionnelle du Cameroun" porte l'estampille du
Président. L'illustration la plus forte et la plus remarquable demeure
cette phrase du président Ahmadou Ahidjo devant l'Assemblée
nationale fédérale le 9 mai 1972: "ma conviction, mesdames et
messieurs les députés, ma profonde conviction est que le moment
est venu de dépasser l'organisation fédérale de l'Etat".
Le même constat peut être fait pour la loi fondamentale du 18
janvier 1996, qui est selon l'auditoire du Président de la
République tantôt une "nouvelle Constitution", tantôt une
"révision" de la Constitution de 1972. A la fin, c'est un
Président convaincu que le temps était "enfin" venu de
concrétiser les choses qui fait déposer le 24 novembre 1995 un
projet de loi portant sur la "révision de la Constitution du 2 juin
1972."
2- Juge de la gravité de toute réforme
constitutionnelle
Cette gravité tient tant au nombre de dispositions qui
feront l'objet de modification que la terminologie même
de la réforme. Ainsi en 1961, alors que l'avènement de l'Etat
fédéral
49 Voir à ce propos V. Miafo Donfack, "Le
Président de la République et les Constitutions au
Cameroun", in La reforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op cit. pp 252 et
SS.
exigeait l'élaboration d'une nouvelle Constitution, le
président décide que ce sera une "loi (...) portant
révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution
actuelle aux nécessités du Cameroun unifié". Le constat
que nous pouvons faire ici est que la Constitution et les révisions
constitutionnelles au Cameroun servent les desseins du chef de l'Etat. Ainsi en
est-il par exemple de la révision du 18 novembre 1983 dont l'objectif,
précise le Pr. Kamto, était de "se donner une
légitimité populaire et républicaine et se
débarrasser de cette légitimité monarchique" que le
Président Biya avait hérité de son
prédécesseur. La Constitution a depuis longtemps cessé
d'être cet acte qu'on ne touche "qu'avec des mains tremblantes".
Tournée, détournée et retournée afin de
réaliser un voeu, le pouvoir absolu; servir une ambition, demeurer au
pouvoir; justifier une pratique, le patrimonialisme; servir de
"détergent" pour un régime contraint de démocratiser et de
libéraliser. Mais ici encore, ces impératifs doivent être
acclimatés afin que "l'équilibre de nos sociétés
n'en soit pas bouleversé". Un équilibre mieux un statu
quo qui rend l'ordre constitutionnel en servitude permanente.
B) La souveraineté des représentants du
peuple
Le peuple a été
évincé de sa place de souverain constituant par ses
représentants. Ceux-ci sont en effet souverains dans
l'élaboration (1) et la révision (2) de la Constitution.
1- La souveraineté dans
l'élaboration.
Elle résulte de leur substitution au souverain
constituant dans le processus constitutionnel de 1961 et de 1996. S'il est
reconnu que lors d'un changement de Constitution le pouvoir constituant
dérivé peut préparer le nouveau texte, le principe
démocratique voudrait que la ratification définitive soit faite
par le peuple souverain constituant. Mais érigée en
assemblée constituante souveraine, l'Assemblée nationale s'est
reconnue le droit de saisir toute la Constitution de 1972 et de
réécrire chacune de ses dispositions, affirmant ainsi sa
souveraineté dans l'élaboration de la Constitution, et cela en
dehors de toute habilitation.
2- La souveraineté dans la
révision
II est désormais établi que les règles de
limitation du pouvoir constituant dérivé ne sont pas des
barrières infranchissables. L'unité de la souveraineté et
la qualité de représentant du
Souverain confère au Parlement-constituant un pouvoir
inconditionné. Il peut modifier toute la Constitution, du moment qu'il
ne change pas l'esprit des institutions. Le cas échéant, il
s'agira de l'écriture d'une nouvelle Constitution par la
procédure de révision, ce qui est une "fraude à la
Constitution".
La question du souverain constituant ne peut être
traitée aujourd'hui en occultant les modalités de la
démocratie, particulièrement la représentation. "Le
gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple" est
irréalisable sur le plan pratique. Aussi faut-il recourir aux principes.
En l'espèce, il est que la souveraineté appartient au peuple,
seul il en est le détenteur. Mais seize millions de camerounais ne
peuvent pas s'asseoir pour réviser une constitution, plus encore pour
l'élaborer. Et puisque l'élaboration d'une Constitution peut
être faite, selon le principe démocratique, par une
assemblée qui rédige et adopte, on doit pouvoir admettre que le
recours au peuple souverain constituant n'est pas nécessairement une
"sanction obligatoire de la Constitution". Bien entendu toute manifestation du
pouvoir constituant doit procéder d'une délégation
populaire et être conduite selon une procédure qui marque le
caractère solennel du pacte fondamental. C'est l'élément
indispensable de l'exclusivité du constituant en matière
constitutionnelle, fondement de la suprématie de la norme
fondamentale.
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