PARAGRAPHE 2: L'EFFECTIVITE DE LA DISTINCTION
CONSTITUTION-LOI A L'AUNE DE LA CONSTITUTION DE 1996
Le droit constitutionnel camerounais a certainement connu une
importante mutation avec la constitution du 18 janvier 1996. A la
lumière de la procédure qui est prévue pour son
éventuelle modification, on peut relever une totale rupture avec l'ordre
constitutionnel de la Constitution précédente. Le désaveu
de la souveraineté du Parlement (II) traduit alors la rupture avec
l'égalité entre constituant et législateur sous l'empire
de la Constitution du 02 juin 1972 (I).
I- L'EGALITE PREJUDICIABLE ENTRE CONSTITUANT ET
LEGISLATEUR SOUS L'EMPIRE DE LA CONSTITUTION DE 1972
La souveraineté de la Constitution sous l'empire de la
constitution du 02 juin 1972 était fortement contestée par la
reconnaissance au législateur ordinaire d'un pouvoir constituant. Ceci
à travers l'identité de la procédure législative et
de la procédure constituante (A) que corroborait un contrôle de
constitutionnalité "absurde" (B).
A) L'identité de la procédure
législative et de la procédure constituante
Dès lors qu'il n'y a pas matériellement une
définition de la Constitution, seul le critère formel permet
alors de distinguer la Constitution de la loi. C'est tout au moins à
cette conclusion qu'aboutit Charles Eisenmann qui affirme que "la
possibilité d'une définition juridique matérielle de la
Constitution tient en effet exclusivement au caractère particulier des
lois de procédure."(37) Pourtant, cette particularité des lois de
procédure n'est pas consacrée par la Constitution de 1972 qui
fait de l'Assemblée nationale l'organe de ratification (1) et cela sans
qu'il soit exigé une majorité qualifiée pour l'adoption
(2)
37 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute
Cour constitutionnelle d'Autriche, op. cit. p 6.
1- L'Assemblée nationale, organe chargé
de la ratification
Le pouvoir constituant dérivé est très
souvent partagé entre le peuple et ses représentants, mais l'on
admet que l'organe chargé d'approuver la révision soit
différent ou indépendant de l'Assemblée ordinaire. Aucune
de ces solutions ne retiendra la préférence du constituant de
1972, qui fera des représentants ordinaires du peuple et suivant la
procédure législative le pouvoir constituant. Certainement
l'existence d'un Parlement bicaméral (38) aurait permis de donner plus
d'effectivité à l'autorité de la norme constitutionnelle.
Mais par calcul politique ou par simple considération financière
tenant à la difficulté d'assurer le fonctionnement de deux
chambres qui, le cas échéant se seraient réunies en
Congrès pour voter une révision constitutionnelle, le constituant
de 1972 préféra confier à l'assemblée ordinaire le
pouvoir de remplacer le souverain et cela selon la procédure ordinaire
législative.
2- La non exigence d'une majorité
qualifiée pour l'adoption du texte
Le droit constitutionnel bâti sous l'égide de la
Constitution du 02 juin 1972 est un droit très éloigné des
grands principes constitutionnels relatifs à la suprématie de la
règle de droit fondamental. En confiant le pouvoir de réviser la
Constitution à l'assemblée ordinaire, le constituant aurait pu
lui imposer une majorité qualifiée pour l'adoption du texte. Mais
la tradition de rigidité constitutionnelle posée par la
Constitution du 04 mars 1960 et réaffirmée par celle de
1er septembre 1961 est totalement bafouée par la Constitution
de 1972. Le texte soumis à l'Assemblée nationale est
adopté comme la loi "à la majorité des membres composant
l'Assemblée nationale." A cette identité de procédure
s'ajoute un contrôle de constitutionnalité dont la logique est
difficile à saisir.
B) L'absurdité d'un contrôle de
constitutionnalité
Elle se justifie à deux points de vue: l'absence de
suprématie de la Constitution sur la loi (1) et la reconnaissance d'un
pouvoir constituant au législateur ordinaire (2).
1- L'absence de suprématie de la Constitution
sur la loi
La suprématie de la Constitution a obligatoirement
aujourd'hui la mise en place de garantie pour en assurer l'effectivité.
Or il est admis que lorsqu'une Constitution est souple,
38 Le bicamérisme est considéré comme
un élément de rigidification de la Constitution. L'image du
Sénat "chambre de censure" tel qu'il s'est construit en France peut
susciter quelques enthousiasmes relativement à sa capacité
à tempérer les effets du fait majoritaire. Les
représentants des collectivités locales, se présentent
ainsi comme les véritables "défenseurs" des intérêts
du peuple pris comme la masse populaire. Mais seule la pratique confortera ou
démentira la thèse selon laquelle le bicamérisme
camerounais est une garantie de la stabilité constitutionnelle.
elle n'est pas supérieure à la loi. D'où
le paradoxe d'instituer un contrôle de constitutionnalité qui
n'est que l'instrument de l'effectivité de la distinction Constitution -
loi et de la supériorité de la première sur la seconde.
Mais puisque la Constitution de 1972 affirmait sa souplesse, on se pose la
question de savoir que garantissait le dit contrôle. Certainement pas la
suprématie de la loi fondamentale, puisqu'on l'espèce elle
n'était pas posée en tant que principe.
2- La reconnaissance d'un pouvoir constituant au
législateur ordinaire
La science constitutionnelle envisage deux conséquences
de la rigidité. D'abord l'impossibilité pour le
législateur de modifier la Constitution interdit qu'il vote des lois qui
lui sont contraires. Il s'agirait alors d'une "révision
déguisée." Ensuite les pouvoirs constitués ne peuvent
renoncer à exercer les attributions que la Constitution leur confie; il
s'agit de "compétences" et non de "droits". Sous ce rapport, "abandonner
un pouvoir inscrit dans la Constitution équivaut à une
révision implicite de la Constitution." Tout ceci ne vaut que sous
condition de rigidité, car pour une Constitution souple comme celle de
1972, l'Assemblée nationale pouvait très bien adopter une loi
ordinaire dérogeant à un principe constitutionnel sans que cette
loi soit inconstitutionnelle. En prévoyant une procédure
constituante identique à la procédure législative, le
constituant reconnaissait explicitement au législateur le pouvoir de
porter atteinte régulièrement à l'autorité de la
norme constitutionnelle.
Une révolution s'opère cependant avec la
Constitution du 18 janvier 1996, qui revient au principe de la
suprématie constitutionnelle.
II- LE DESAVEU DE LA SOUVERAINETE DU PARLEMENT PAR
LE CONSTITUANT DE "LA NOUVELLE GCNERATION"
La suprématie constitutionnelle avec la loi
fondamentale du 18 janvier 1996 retrouve toute sa pertinence. Il faut dire que
son titre XI prévoit pour sa modification une procédure
spéciale et contraignante (A) marquée par l'apparition d'un
nouvel organe de ratification: le Congrès (B).
A) Une procédure de révision
spéciale et contraignante
De son caractère spécial on retient qu'elle est
différente de la procédure législative. C'est surtout son
aspect contraignant qui marque sa différence. Celui-ci tient à un
bicamérisme égalitaire (1) et au vote à une
majorité qualifiée (2).
1- Un bicamérisme égalitaire
L'égalité entre le Sénat et
l'Assemblée nationale lors de la révision de la constitution est
une caractéristique de la procédure de révision. En effet
le bicamérisme tel qu'il apparaît dans la procédure
législative est inégalitaire. La préférence est
accordée à l'Assemblée nationale qui statue
"définitivement" sur un texte de loi lorsqu'il s'est
révélé impossible pour les deux chambres de parvenir
à un compromis. Mais en matière constitutionnelle le Sénat
et l'Assemblée nationale sont au même pied
d'égalité. Cette égalité est cependant moins
marquée au Cameroun qu'en France, où le texte doit d'abord
être voté en termes identiques par les deux chambres prises
séparément, avant son éventuelle ratification par le
Congrès.
2- Le vote à une majorité
qualifiée
Le projet ou la proposition de révision n'est
adoptée que s'il a réuni la majorité requise. Selon la
Constitution, "le texte est adopté à la majorité absolue
des membres le composant. Le Président de la République peut
demander une seconde lecture. Dans ce cas, la révision est votée
à la majorité des deux tiers des membres composant le Parlement."
Faut-il le rappeler, l'Assemblée nationale tout comme le Sénat
adopte les lois "à la majorité simple" des députés
ou des sénateurs.
Cette ratification est faite par un organe tout aussi
spécial.
B) Une assemblée constituante ad hoc pour la
ratification: le Congrès
II succède à l'assemblée ordinaire de la
Constitution de 1972. D doit son existence à la création d'un
Parlement bicaméral (1) et c'est un organe souverain (2).
1- Un organe lié à la création
d'un Parlement bicaméral
L'exclusion du législateur ordinaire du domaine de la
Constitution fait émerger le Congrès en tant qu'organe
chargé de la ratification du projet ou de la proposition de
révision. Le Congrès qui est la réunion simultanée
des deux chambres du Parlement doit donc son existence à
l'avènement du bicamérisme dans le droit constitutionnel
camerounais de la "nouvelle génération". Sa compétence est
cependant concurrente à celle du peuple souverain car aux termes de
l'article 63 alinéa 4 "le Président de la République peut
décider de soumettre tout projet ou toute proposition de révision
de la Constitution au référendum."
2- Un organe souverain
Cette souveraineté n'est pas usurpée. Elle
s'intègre parfaitement aux principes constitutionnels relatifs à
la révision de la Constitution. Le constituant de 1996 contrairement
à celui de 1972 a opté pour une assemblée constituante
différente de l'assemblée ordinaire. La réunion du
Parlement en Congrès est en soi l'expression de ce symbolisme dont doit
se revêtir l'élaboration autant que la révision de la
Constitution. Surtout, elle fait renaître l'idée selon laquelle
"on ne touche à la Constitution qu'avec des mains tremblantes". Ces
mains sont celles du souverain.
Les règles de la législation constitutionnelles
au Cameroun, qu'elles président à l'élaboration d'une
constitution ou à la modification de celle existante ont
démontré la particularité d'un droit constitutionnel
construit sur des ambiguïtés et des principes trop vite remis en
question. Pourtant il demeure une certitude, celle d'une autorité
affirmée de la règle élaborée suivant la
procédure de la législation constitutionnelle. En la
matière, la science constitutionnelle du Cameroun affirme encore son
attachement aux grands principes qui gouvernent le droit constitutionnel
classique. Cependant cette autorité quoique posée peut
très bien être bafouée en pratique, et l'est même.
D'où la nécessité de lui donner pleine effectivité.
Jadis reposant sur un contrôle politique, la suprématie
constitutionnelle fait aujourd'hui l'objet d'une véritable protection.
L'étude de celle-ci fera l'objet de la deuxième partie de notre
travail.
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