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L'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

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par Etienne KENFACK TEMFACK
Université de Douala-Cameroun - D.E.A. de droit public 2005
  

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DEUXIEME PARTIE

LES GARANTIES DE L'AUTORITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

La suprématie des règles issues de la législation constitutionnelle est considérée comme un simple voeu pieux lorsque des mécanismes ne sont pas mis en oeuvre pour sanctionner les violations éventuelles des principes qu'elle pose par les pouvoirs institués. L'adhésion n'est plus aujourd'hui unanime à l'idée de protection qui prévalait en 1789. Pour les révolutionnaires, la protection de la Constitution doit être confiée "à la fidélité du corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de familles, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les français." Mais l'histoire a révélé l'utopie de cette pensée. Aussi est-il apparu nécessaire d'opérer un choix entre laisser aux pouvoirs constitués et surtout au Parlement le choix de respecter la Constitution ou alors les y contraindre. Après beaucoup de réticences, le constituant camerounais s'est enfin décidé à tirer toutes les implications de la suprématie constitutionnelle, en mettant en place des garanties juridictionnelle destinées à donner pleine effectivité au principe; ceci à travers le contrôle de constitutionnalité.

Le droit constitutionnel camerounais a rapidement comblé une "lacune" de la constitution du 04 mars 1960, qui n'avait pas cru indispensable de protéger la Constitution contre ce qui peut être appelé un "légicentrisme inhibitif. Mais l'idée que la loi est toujours l'expression de la volonté générale est remise en question par la Constitution de 1961 qui avance "timidement" que "la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution." Une idée qui sera reprise par le constituant de 1972 avant d'être véritablement concrétisée par la loi fondamentale du 18 janvier 1996. Au demeurant, l'effectivité du contrôle de constitutionnalité et l'affermissement de l'autorité de la norme constitutionnelle que l'on peut observer aujourd'hui (chapitre 2) ne doit pas occulter le fait que cette suprématie à été fortement éprouvée par la dynamique du contrôle de constitutionnalité en droit constitutionnel camerounais (chapitre 1); le Président de la République intervenant encore ici comme le juge de "dernier ressort" de la constitutionnalité des lois.

CHAPITRE I:

LA SUPREMATIE CONSTITUTIONNELLE A L'EPREUVE DE LA DYNAMIQUE DU CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE EN DROIT CAMEROUNAIS

Le postulat est posé par Charles Eisenmann qui le formule en termes précis et concis: "la suprématie de la Constitution dans l'Etat lui confère tout naturellement la qualité de mètre suprême de la régularité juridique"(l). L'observateur remarquera pourtant que cette qualité sans être explicitement affirmée en droit constitutionnel camerounais, était implicitement reniée. On a pu ainsi développer, par exemple en droit administratif, la théorie de l'écran législatif. L'adhésion rapide du droit camerounais à l'idée de contrôle de l'Exécutif dans sa manifestation d'administrateur s'est accompagnée corrélativement d'une hostilité à faire de même pour le législateur, sous le fondement que la loi est l'expression de la volonté générale. Pendant longtemps au Cameroun, il a été admis en fait sinon en droit que contrôler la volonté du Parlement c'était contrôler la volonté du souverain. La conséquence est inévitablement une suprématie discutée de la norme constitutionnelle (section 1). Mais l'adhésion du Cameroun au constitutionnalisme conçue comme "l'avènement du droit et de la justice au coeur du fonctionnement de la démocratie libérale et pluraliste à travers le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois "(2) allait restaurer une autorité bafouée (section 2).

SECTION 1: UNE SUPREMATIE DISCUTEE SOUS LE DROIT CONSTITUTIONNEL DE "L'ANCIENNE GENERATION"

La sauvegarde de la primauté de la règle constitutionnelle est très vite apparue comme une nécessité pour* le constituant camerounais. D'où l'organisation d'un contrôle de constitutionnalité dès la Constitution fédérale de 1961 qui venait corriger un oubli du constituant de 1960. Cette organisation sera reprise tel quel par la loi fondamentale du 02 juin 1972. Ce faisant le constituant camerounais affirmait son scepticisme quant à la fidélité des pouvoirs constitués à la norme supérieure. Pourtant comme le relève déjà L. Donfack Sokeng, l'espoir né de "l'instauration d'un gouvernement constitutionnellement limité" allait rapidement "céder le pas au désenchantement"(3). L'expérience ayant révélé que cette garantie était illusoire au regard d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'action inopérant (paragraphe 1) et un contrôle par voie d'exception inexistant (paragraphe 2).

1. Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, Economica, PUAM, 1923,p 13.

2. L. Donfaek Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui. Réflexions sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit camerounais", in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich EBERT, 1996, pp 362 et SS.

3. L. Donfack Sokeng, op. cit. p 363.

PARAGRAPHE 1: UN CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITE PAR VOIE D'ACTION INOPERANT

L'idée d'un contrôle de constitutionnalité des lois posée par la Constitution du 1" septembre 1961 est reprise par celle de 1972 qui dispose que "le Président de la République saisit la Cour suprême (...) lorsqu'il estime qu'une loi est contraire à la présente Constitution" (4). Ce contrôle va pourtant pécher par une ineffectivité criarde. L'inopérationnalité du contrôle de constitutionnalité sous le droit constitutionnel de l'ancienne génération pourrait reposer sur le blocage de la chambre constitutionnelle de la haute juridiction (I) qui aura pour conséquence de substituer au contrôle juridictionnel prévu par la Constitution un contrôle totalement politique (II).

I- LE BLOCAGE DE "LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE"DE LA COUR SUPREME

De la lecture de l'article 32 de la Constitution du 02 juin 1972, il ressort que "lorsque la Cour suprême est appelée à se prononcer dans les cas prévus aux alinéas 7, 10 et 27, elle est complétée à nombre égal par des personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur expérience pour une période d'un an par le Président de la République". L'analyse de cette disposition permet de relever que le contrôle de constitutionnalité est dévolu à une formation spéciale de la Cour suprême que L. Donfack Sokeng nommera la "chambre constitutionnelle". Cette tâche ne sera pourtant pas remplie, car la chambre constitutionnelle se retrouvera bloquée; un blocage qui reposerait sur deux facteurs: la nature de l'organe (A) et sa dépendance du politique (B).

A) Un blocage lié à la nature de l'organe

L'institution d'un contrôle de constitutionnalité en 1961 puis en 1972 laisse perplexe. Si l'on peut comprendre son opportunité sous le régime fédéral de 1961, sa confirmation par le constituant de 1972 semble répondre plus à une "folie des grandeurs" qu'à une réelle volonté de garantir l'autorité de la norme constitutionnelle (5). Alors que le Parlement est "une chambre d'enregistrement des volontés du Président de la République" et que la Constitution est souple l'idée d'un contrôle de constitutionnalité en 1972 va se heurter en pratique au blocage de l'organe chargé de sa mise en oeuvre. En effet, en subordonnant sa mise en place à l'existence d'un litige (1) le constituant en fait une sorte d'institution ad hoc (2).

4 Voir notamment l'article 14 de la Constitution du 1" septembre 1961 et l'article 10 de la Constitution du 02 juin 1972.

5 Le contrôle de constitutionnalité rempli en 1961 une véritable fonction de garantie de l'autorité de la Constitution, car celle-ci se distingue véritablement de la loi et affirme sa supériorité. Il n'en est pas de même en 1972 puisque, comme nous le démontrons, la Constitution n'affirmait pas vraiment sa supériorité sur la loi, ce qui aurait justifier un contrôle de cette suprématie. A moins de retrouver cène suprématie dans son adoption par référendum; mais en organisant une révision par la procédure législative, le constituant de 1972 a ouvert la voie à une contestation de cette suprématie par la loi ordinaire.

1- Sa mise en place est subordonnée à l'existence d'un litige sur la loi

La difficulté est alors de trouver un litige sur la loi. La discipline partisane et l'allégeance de gré ou de force au Président de la République sont si fortes, qu'on imagine mal un projet de loi faisant l'objet d'un litige. Par leur tradition du vote par applaudissement, les parlementaires du parti unique ont développé la pratique de "projet déposé égal projet adopté". Aussi, en subordonnant la mise en place de la chambre constitutionnelle à l'existence d'un litige sur la loi, le constituant rend-il illusoire toute idée de contrôle. On pourrait tout aussi croire qu'en disposant que "le Président de la République saisit la Cour suprême..." cela suppose que la chambre existe indépendamment de tout litige(6). Mais un tel raisonnement ne saurait prospérer outre mesure, car la Cour suprême dans sa formation initiale n'a aucune compétence pour connaître de la constitutionnalité des lois. En fait, elle apparaît comme la permanence de la chambre constitutionnelle.

2- Une sorte d'institution ad hoc

Une institution ad hoc est une institution créée par un texte pour une mission précise et qui a vocation à disparaître avec la fin de la mission. Mais le caractère ad hoc de la chambre constitutionnelle est un peu plus complexe. La Constitution ne crée pas en effet une chambre constitutionnelle au sein de la Cour suprême, mais envisage la formation d'un organe spécial pour résoudre un problème qui viendrait à naître. La chambre constitutionnelle est une institution qui n'existe pas tant qu'un litige sur la constitutionnalité des lois n'est pas né. Cette nature ad hoc ne signifie donc pas que l'institution est temporaire, car en disposant que "le mandat des personnalités ainsi désignées est prorogé de plein droit jusqu'à la nomination de «leurs successeurs", l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 affirmait incontestablement son caractère permanent. Une permanence qui ne pouvait cependant être envisagée qu'après la mise en place effective de l'organe. Celle-ci n'aura jamais lieu. Le blocage de l'institution peut également être posé sur le fondement de sa dépendance au politique.

B) Un blocage lié à sa dépendance politique

La chambre constitutionnelle de la Cour suprême n'a jamais fonctionné. Ce blocage serait lié à une forte dépendance politique de l'institution dans son existence (1) et de ses membres dans un éventuel office (2).

6 Le Pr. Donfack Sokeng défend la thèse de l'existence de la chambre constitutionnelle. Il soutient en effet qu'admettre l'idée selon laquelle la mise en place de ladite chambre était subordonnée à la naissance d'un litige "foule aux pieds l'idéal de justice en permettant au Président de la République, partie au procès d'en influencer grossièrement l'issue par la nomination des personnalités présumées acquises d'office à sa cause." Pourtant, rien ne garantit que cette nomination intervenant en dehors de ce cas aurait donné aux dites personnalités "les moyens de leur infidélité" à celui à qui ils doivent d'être là. Au demeurant, la rédaction ambiguë de l'article 33 de la Constitution ne permet pas une totale adhésion à cette position.

1- La dépendance politique de l'institution dans son existence

La chambre était mise en place à l'occasion d'un litige; mais l'existence d'un litige dépendait du Président de la République(7). De plus, c'est encore le Président de la République qui nommait, et cela de manière absolument discrétionnaire, les personnalités appelées à compléter la Cour siégeant en matière constitutionnelle. L'existence de la chambre constitutionnelle présente alors toutes les caractéristiques d'une institution dépendant du bon vouloir du Président de la République qui seul pouvait décider de sa mise en place.

2- La dépendance des membres de la chambre

II est assez difficile de postuler pour une indépendance des membres de la Cour suprême siégeant en matière constitutionnelle. Tant les membres permanents de la Cour que les personnalités désignées en sus pour régler la question de la constitutionnalité de la loi étaient nommés par le Président de la République. Certes la nomination de ces personnalités est faite sur la base de critères objectifs mais, et rejoignant en cela L. Donfack Sokeng, le Chef de l'Etat est "seul juge de leur compétence et de leur expérience."(8) Sous ce prisme se dessine la dépendance de ces personnalités qui ne disposent pas des "moyens de leur infidélité vis-à-vis du Président de la République." Plus encore dans un Cameroun où le culte de la gratitude est le credo repris par tous, on n'imaginerait pas ces membres dans un éventuel litige, désavouer le Président de la République à qui ils doivent forcément faire allégeance pour espérer une reconduction au terme de leur mandat. Malheureusement, la Chambre n'ayant jamais été mise en place, cette théorie est impossible à vérifier. Quoiqu'il en soit, l'autorité de la norme souffre cruellement de garantie, pour ne pas dire qu'elle n'est qu'un voeu pieux. Ce blocage de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême va consacrer l'exclusivité du contrôle politique de la loi et donc du respect de la Constitution.

II- LA SUBSTITUTION D'UN CONTROLE POLITIQUE A UN CONTROLE JURIDICTIONNEL

Toutes les Constitutions jouissent d'une protection politique. Ce contrôle est dévolu au Président de la République. Toutes les Constitutions camerounaises ont consacré ce contrôle en disposant que "le Président de la République veille au respect de la Constitution." (9) Bien

7 Artisan principal sinon unique des lois, le Président de la République s'est toujours vu reconnaître le droit d'initiative en matière législative, à l'exception de la Constitution du 4 mars 1960. Aussi, les lois ne sont que la mise en oeuvre de la politique présidentielle. La configuration du Parlement sous le parti unique permet difficilement d'envisager un litige sur la constitutionnalité de la loi et donc de trouver la pertinence du contrôle prévu à cet effet et en même temps fermé dans son activation.

8 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui Réflexions sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit camerounais", op. cit.

9 Ce rôle retrouve certainement une nouvelle vigueur avec l'institution d'un contrôle de constitutionnalité des lois tel qu'il est organisé par la loi fondamentale du 18 janvier 1996.

peu de Constitutions peuvent cependant se vanter d'avoir en plus de cette protection politique une protection juridictionnelle (10). C'est ce contrôle juridictionnel par une formation spéciale de la Cour Suprême qui sera remplacé par un contrôle exclusivement politique. Cette substitution qui trouve sa cause dans la vacuité des dispositions constitutionnelles relatives au dit contrôle juridictionnel (A), se traduit par l'érection du Président de la République au rang de juge constitutionnel (B).

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