A) La vacuité des
dispositions constitutionnelles relatives au contrôle juridictionnel
Les imperfections du contrôle de
constitutionnalité par la chambre constitutionnelle de la Cour
Suprême sont patentes au regard de la Constitution du 02 juin 1972. Nous
pouvons relever les ambiguïtés de rédaction de l'article 33
(1) et le silence de la Constitution quant à la portée d'une
décision d'inconstitutionnalité (2).
1- Les ambiguïtés de rédaction de
l'article 33.
Cet article subordonne l'existence de la chambre
constitutionnelle au bon vouloir du Président de la République.
En effet on ne saurait nier que ladite chambre « n'a à ce jour
jamais été réunie », et a fortiori
existé. A l'appui de cette affirmation, le fait que son existence
était conditionnée par celle d'un litige sur la
constitutionnalité de la loi et la saisine par le Président de la
République. Seule une interprétation trop extensive pourrait
aboutir à affirmer l'existence de cette chambre constitutionnelle au
même titre que la chambre judiciaire ou la chambre administrative. Il
apparaît vraisemblablement au regard de l'ordonnance n° 76/6 du 26
août 1972 que le constituant a entendu créer une institution
permanente, mais la rédaction de l'article 33 n'autorise pas à
parler d'une chambre constitutionnelle sans une action du Chef de l'Etat .
La permanence de la juridiction n'étant envisageable qu'une fois que les
premières personnalités en sus auraient été
nommées. Cela heurte certes l'idéal de justice comme s'en
inquiète le Pr. Donfack Sokeng, mais cela explique aussi pourquoi elle
n'a pas existé. De plus une telle institution aurait pesé sur le
budget de l'Etat dans un contexte où il était probablement
impossible qu'un litige naisse sur la constitutionnalité de la loi.
(11)
Le silence de la Constitution quant à la
décision d'inconstitutionnalité
Le constituant de 1972 est resté silencieux sur la
portée de la décision d'inconstitutionnalité. Pourrait-on
y voir un aveu de l'impossibilité d'un quelconque différend
10 Voir à ce sujet J. Gicquel, Droit constitutionnel et
institutions politiques, Montchrestien, Paris, 19ème
éd. P 176
11 Cf. supra
sur la loi comme nous l'évoquions plus haut? Nous
sommes tentés de répondre à cette question par
l'affirmative. Sinon comment expliquer que ni la Constitution, ni l'ordonnance
n°72/6, ni l'ordonnance n°75/16 fixant la procédure et le
fonctionnement de la Cour suprême ne traite de l'autorité des
décisions rendues par une institution qu'on veut permanente. Dans le
silence, on pourrait dire que les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance
n°72/6 seraient applicables aux décisions de la chambre
constitutionnelle (12). Mais loin de conforter la suprématie de la
Constitution, elle l'écorcherait car laissant le Président de la
République libre de promulguer une loi déclarée
inconstitutionnelle. Cette vacuité de la constitution va aboutir
à mettre l'institution "en veilleuse", laissant ainsi au Chef de l'Etat
le soin d'apprécier la constitutionnalité des lois.
B) L'élévation du Président de la
République au rang de juge constitutionnel
Le contrôle de constitutionnalité est normalement
fait par un juge constitutionnel. Son organisation par la Constitution de 1961
et par suite de 1972 ne pouvait qu'aboutir à un blocage de l'institution
dont l'émergence du Président de la République en tant que
"véritable juge de la constitutionnalité"(13) ne pouvait qu'en
être la conséquence logique. Seul il peut saisir la Cour
suprême d'une question d'inconstitutionnalité (1) et il peut
ensuite utiliser son pouvoir de nomination pour influencer la décision
du juge constitutionnel (2).
1- Seul il peut saisir la Cour suprême d'une
question d'inconstitutionnalité
La saisine de la Cour suprême d'un différend sur
une loi est, selon l'expression de L. Donfack Sokeng "marqué du sceau de
l'exclusion". Le Président de la République dispose seul du droit
de saisir la Cour sur la constitutionnalité de la loi. Initiateur de la
loi et dans un contexte de parti unique, on voit mal comment ce dernier aurait
saisi la Cour d'un texte qu'il a lui-même introduit au Parlement, et qui
n'a subi pratiquement aucune modification. C'aurait été se
prévaloir de sa propre turpitude, et cela nul ne le peut. Au demeurant,
la Constitution de 1972 étant souple, elle était révisable
par une simple loi parlementaire. La seule condition étant de mettre au
frontispice du texte "loi portant révision...". Un éventuel
contrôle n'aurait certainement pas été libre de toute
influence, l'institution étant pratiquement "rattachée" au
Président de la République qui disposait d'un pouvoir
d'instruction des décisions de la juridiction.
12 Au regard de cette disposition, les décisions de la
Cour suprême "s'imposent aux juridictions inférieures". La valeur
de la décision d'inconstitutionnalité demeure donc incertaine
selon que le Président décide ou non de promulguer la loi. Ce
silence des textes et surtout de la Constitution ouvre la porte à toutes
les interprétations, le plus souvent pas dans le sens de la
suprématie de la norme constitutionnelle.
13 Voir L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de
constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op. cit.
2- La possibilité d'influencer la
décision du juge constitutionnel
Appelée à se prononcer sur la
constitutionnalité d'une loi, la Cour suprême devait être
complétée par des personnalités nommées par le
Président de la République. Aussi regrettable que cela puisse
être, cette disposition offrait au Président la possibilité
d'orienter la décision de la chambre. Tout un flou entoure la
"compétence" et "l'expérience" des personnalités à
désigner pour compléter la Cour. Rien ne permet donc d'affirmer
qu'ils n'auraient pas eu pour seule compétence leur
fidélité au Président et pour expérience leur
militantisme vigoureux en faveur de ses idéaux. De fait, en reliant la
désignation de ces membres temporaires de la chambre constitutionnelle
à la saisine de la Cour, le constituant n'a-t-il pas entendu mettre
entre les mains du Président un "joker" dans une hypothétique
modification du projet de loi par un amendement jugé inopportun? La
pratique aurait permis de se faire une idée sur la question. Pour nous,
cela paraît envisageable au regard de la rédaction du texte
constitutionnel.
L'inopérationnalité du contrôle de
constitutionnalité par voie d'action aura pour conséquence de
laisser l'autorité de la norme constitutionnelle à la
"fidélité" des pouvoirs institués. Le résultat sera
l'introduction dans l'ordonnancement juridique des normes manifestement
inconstitutionnelles, que le juge constitutionnel ne pourra pas sanctionner et
que le juge judiciaire se refusera à contrôler.
PARAGRAPHE 2: UN CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ PAR
VOIE D'EXCEPTION INEXISTANT
La suprématie des règles constitutionnelles
déjà non garantie par le juge constitutionnel
était»aussi contestée par l'inexistence d'un contrôle
de constitutionnalité par voie d'exception. Il résultait en effet
des dispositions de la Constitution du 1" septembre 1961 et de 1972 que seul
était prévu c'est-à-dire organisé un contrôle
par voie d'action par la chambre constitutionnelle et sur saisine du
Président de la République. Le refus des tribunaux de
connaître des exceptions de constitutionnalité (I) va faire
l'objet d'une véritable jurisprudence tant du juge judiciaire que du
juge administratif. Une jurisprudence qui consacre le caractère
spécieux de la prééminence hiérarchique de la
constitution (II).
I- LE REFUS REITERE DES TRIBUNAUX DE CONNAITRE DES
QUESTIONS DE CONSTITUTIONNALITÉ
Le juge judiciaire et le juge administratif ont tous deux
affirmé leur incompétence en matière de contrôle de
constitutionnalité des lois. Cette incompétence qui peut
être relevé à deux niveaux (A) n'est cependant pas à
l'abri de toute critique (B).
A) L'irrecevabilité du moyen tiré de
l'inconstitutionnalité devant le juge
Le juge judiciaire et le juge administratif camerounais ont
fait de l'irrecevabilité du moyen tiré de
l'inconstitutionnalité une jurisprudence imprégnant le droit
judiciaire et le droit administratif 14). Cette irrecevabilité est
justifiée par le recours aux dispositions constitutionnelles (1) dont le
juge déduit son incompétence (2).
1- L'inorganisation d'un contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception
Le refus des juges de garantir la primauté des
règles constitutionnelles sur la loi est, au terme de la jurisprudence
judiciaire et administrative, justifiée par la non organisation d'un tel
contrôle par le constituant. A l'appui de cette position, l'article 14 de
la Constitution fédérale et l'article 10 de la Constitution de
l'Etat unitaire. Pour le juge camerounais, il apparaît au regard de ces
dispositions que seul est prévu au Cameroun un contrôle de
constitutionnalité par voie d'action, cette position est
magnifiée par le juge administratif dans une affaire SGTE.
Répondant au demandeur qui réclamait l'annulation d'un acte
administratif sur le fondement de l'inconstitutionnalité de la loi qui
lui servait de base, le juge pose "qu'à supposer même que le
principe de la non rétroactivité des lois soit une règle
constitutionnelle, et que la loi du 30 juin 1966 pour l'avoir méconnue
soit inconstitutionnelle, en l'absence d'un contrôle de
constitutionnalité des lois par voie d'exception.. ."(15) il ne saurait
garantir la suprématie de la règle constitutionnelle sur la loi.
Le juge affirme par-là son incompétence.
2- Une incompétence déduite des
textes
L'incompétence du juge en matière de
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception repose sur une
lente construction à la base duquel se trouve le texte constitutionnel.
Le juge estime en effet que le contrôle de constitutionnalité ne
ressortit pas de sa compétence, car seule la Cour suprême dans sa
chambre constitutionnelle en a l'exclusivité. Il s'agit donc d'une
incompétence à deux niveaux. Comme le souligne L. Donfack Sokeng,
"il s'agit d'une incompétence matérielle [et] d'une
incompétence personnelle. "(16) Aussi de la lecture combinée des
articles 10 et 33 de la Constitution du 02 juin 1972, le juge pose-t-il non
seulement qu'il n'est pas le juge compétent en matière de
contrôle de constitutionnalité des lois, mais aussi qu'un tel
contrôle ne peut être actionné que par le Président
de la République (17). Cette jurisprudence sera fortement
critiquée par la doctrine
14 voir notamment les arrêts CFJ-AP du 30/09/1969, SGTE,
CFJ-CAY du 29/03/1972, Eitel Mouelle,; arrêt n°9 du 05/05/1973,
ÇA Garoua,
15 Arrêt n° 68 CFJ-AP du 30/09/1969, SGTE.
16 Cf. infra
17 Tel est l'argumentaire du juge de la Cour d'appel de
Garoua dans l'affaire dite "des coffres-forts" du 05/05/1973.
B) Une incompétence critiquée et
critiquable
La position du juge camerounais relativement à la
question de l'exception d'inconstitutionnalité soulève l'ire de
la doctrine. L'idée avancée est que le juge peut exercer un tel
contrôle, tant il est vrai que cela ne lui est pas expressément
interdit (1). Au surplus sa position n'est pas conforme au droit car "il tire
une conséquence extrême et absolue d'une règle simplement
dévolutive dont on peut relativiser la portée."(18) II s'ensuit
une compétence que l'on peut fonder sur la théorie des
compétences implicites (2).
1- Un contrôle non interdit par les
textes
L'argumentaire reposant sur la non organisation d'un
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception par le
constituant se heurte à une réplique non moins pertinente: aucune
disposition constitutionnelle n'interdit au juge d'exercer un tel
contrôle. Il se trouve que "si l'on peut déduire que le
contrôle de constitutionnalité par voie d'action est
réservé en droit camerounais au seul Président de la
République, rien n'autorise à conclure à l'inexistence
dans notre droit de la possibilité d'un contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception" (19). La possibilité de
contrôler la constitutionnalité des lois ne lui ayant pas
été expressément refusé, l'attitude du juge
camerounais ne peut qu'être contestable car, conclut L. Donfack Sokeng,
il "refuse de faire usage du pouvoir d'interprétation que lui
reconnaît la loi"(20).
2- L'hypothèse d'un contrôle sur le
fondement des compétences implicites
Le juge camerounais aurait pu se reconnaître
compétent pour examiner la constitutionnalité d'une loi à
l'occasion d'un litige sans pour autant violer la constitution. Le juge est
investi du pouvoir d'interpréter la loi, c'est à dire d'en
déterminer la signification. En usant de ce pouvoir, il peut se
reconnaître une compétence qui, sans lui être
expressément attribuée, ne lui est pas clairement refusée.
Les compétences implicites sont une technique d'interprétation
qui consiste à combler les lacunes créées par le silence
du droit, en induisant des compétences expresses l'objectif visé
par le législateur pour en déduire les moyens nécessaires.
Le constituant a prévu que la loi sera inférieure à la
constitution. Sur le plan juridique, cela signifie qu'elle doit être
conforme à la constitution. Il suit de là que toute "loi
18 M. Kamto et P.G. Pougoué, cité par L.
Donfack Sokeng "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et
aujourd'hui". Pour ces Professeurs, la seule organisation d'un contrôle
de constitutionnalité par voie d'action ne peut aboutir à moins
d'une interprétation "par trop restrictive des textes" à la
négation d'un contrôle par voie d'exception. Cette position est
également celle qu'adopte le Pr. Donfack Sokeng dans son article. Une
position à tout point de vue défendable, puisque le
contrôle de constitutionnalité de la loi fait par le juge Marshall
dans la célèbre affaire Marbury vs Madison ne reposait par sur un
texte, mais sur le principe que la primauté de la Constitution oblige
les juges à la faire prévaloir sur les lois qui la
contredisent.
19 C'est par ce travail d'interprétation que le juge
Marshall va poser le principe du contrôle de constitutionnalité.
Son argumentation repose sur un postulat: "la Constitution prime sur tout acte
législatif qui lui est contraire". Et la question de
l'applicabilité d'une loi contraire à la Constitution
apparaît "infiniment moins complexe qu'importante", car il n'y a pas de
moyen terme dans cette alternative: la Constitution doit être
considérée devant les tribunaux comme la loi suprême.
émanant du pouvoir législatif et contraire
à la constitution doit par conséquent être
écartée"(20). Il revenait donc au juge de garantir la
suprématie de la Constitution. Son refus ne pouvait que relativiser
l'effectivité de cette autorité.
II- LE CARACTERE SPECIEUX DE LA PREEMINENCE
HIERARCHIQUE DE LA CONSTITUTION
L'effectivité de la suprématie constitutionnelle
ne peut être envisagée que de manière modérée
au regard des difficultés à mettre en oeuvre les garanties
juridictionnelles nécessaires. De l'attitude des tribunaux et donc des
juges, on relève une négation de la théorie des sources du
Droit (A) et un rejet de la théorie de la hiérarchie des normes
qui en est le corollaire (B).
A) La négation de la théorie de la
hiérarchie des sources du Droit
II est évident que le refus du juge camerounais de
connaître de l'exception d'inconstitutionnalité des lois est en
soi un refus d'adhérer au principe selon lequel il existe une
hiérarchie entre les différents pouvoirs normatifs (21). Cette
négation est traduite par la résurgence de la nature
législative de la Constitution (1) et la remise en cause de la
supériorité du pouvoir constituant sur le pouvoir
législatif (2).
1- La résurgence de la nature
législative de la Constitution
Le juge rappelle, de fort belle manière, que "il est
généralement admis que les principes contenus dans le
préambule de la Constitution (...) ont valeur de principes
généraux du droit, c'est-à-dire non pas supérieur
mais égale à celle de la loi ordinaire"(22). La discussion sur la
valeur du préambule est ainsi à l'origine du rappel "qu'il
n'existe aucune catégorie particulière *et identifiable d'actes
juridiques dénommés Constitution. Celle-ci se présentant
toujours sous la forme et la nature d'une loi"(23). Mais au-delà de
cette contestation de la valeur constitutionnelle du préambule, c'est
toute la Constitution qui est ramenée à sa nature
législative par le refus du juge d'exercer un contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception. Qu'il l'ait voulu ou non, le
juge affirme implicitement que le pouvoir constituant n'est pas
supérieur au pouvoir législatif.
20 Arrêt Marbury vs Madison, 1803.
21 Cf. infra.
22 Arrêt n° 68 CFJ-CAY du 30/09/1969, SGTE.
23 Voir M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple
Constitution rigide en droit constitutionnel français", in Annales de la
faculté des sciences juridiques et politiques. Université de
Douala, n° 1,2002, p 68.
2- La remise en question de la suprématie du
pouvoir constituant sur l'organe législatif
En conférant aux dispositions du préambule une
valeur législative, le juge en conclut que "le législateur peut y
déroger expressément". Cette remise en cause de la
supériorité de l'organe constituant est contraire aux principes
dégagés suivant les critères posés depuis la
philosophie politique des Lumières. Il résulte de cette
philosophie que la hiérarchie des sources du droit place au premier rang
les organes titulaires du pouvoir constituant, devant les organes
législatifs et les organes exécutifs. Cette hiérarchie
conditionne la hiérarchie des normes et la négation de la
première ne peut que conduire au rejet de la seconde.
B) Le rejet de la théorie de la
hiérarchie des normes
Le Droit conçu comme un système normatif est
pensé par le juriste autrichien Hans. Kelsen qui postule que "l'ordre
juridique n'est pas un système de normes juridiques placées au
même rang, mais un édifice à plusieurs étages
superposés, une pyramide ou une hiérarchie formée d'un
certain nombre d'étages ou couches de normes successives."(24) La
hiérarchie des normes dans son principe place la Constitution au sommet
de la pyramide. Mais cette place n'est pas reconnue à toute la loi
fondamentale car la valeur constitutionnelle de certaines de ses dispositions
est discutée (1). Cette discussion conduisant à la
création d'un ordre juridique dérogatoire et
généralement articulé autour de la loi (2).
1- La discussion de la valeur constitutionnelle de
certaines dispositions de la loi fondamentale
La jurisprudence camerounaise s'est montrée hostile
à la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de certaines
dispositions figurant pourtant dans le texte promulgué sous le titre de
"Constitution", en l'occurrence les principes contenus dans le préambule
(25). Il ne s'est pas agit pour le juge d'opérer au sein des
dispositions de valeur constitutionnelles celles qui étaient plus
applicables que d'autres, mais le juge camerounais a pratiquement dénier
à certaines règles la valeur qui était la leur du fait de
leur élaboration par le pouvoir constituant et dans les formes
exceptionnelles requises. Ce faisant, le juge a vidé la règle de
toute autorité puisque "le législateur peut y déroger
expressément"; celle-ci n'ayant qu'une valeur supra
décrétale et infra-constitutionnelle. Il s'ensuit
inévitablement la construction d'un ordre dérogatoire à la
Constitution
24 H. Kelsen, cité par P. Gélard et J. Meunier,
Institutions et politiques et droit constitutionnel, Paris, Montchrestien,
2im° éd. 1997. Il s'agit de l'exposé de ce que l'on appelle
le nonnativisme kelsénien qui postule qu'une norme ne doit sa
qualité que par rapport à sa conformité à une nonne
qui lui est supérieure.
25 La doctrine camerounaise avant l'avènement de la
Constitution de 1996 était divisée sur la question de la valeur
du Préambule. Contre la thèse de la valeur constitutionnelle
défendue notamment par MM. Minkoa She et F.X. Mbouyom, les professeurs
Pougoué et Kamto nient toute valeur juridique aux dites dispositions.
L'article 65 de la nouvelle Constitution a tranché.
2- La construction d'un désordre juridique
infra constitutionnel dérogatoire à la Constitution
L'ordre juridique camerounais est truffé de normes dont
l'inconstitutionnalité est clairement reconnue (26), mais quasiment
impossible à constater par le juge. Devant l'hostilité
réitérée du juge à l'égard d'un
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, l'idée
même d'un "ordre" est véritablement illusoire. On ne peut en effet
parler d'ordre que dans la perspective où "toute norme juridique est
application d'une norme supérieure et création d'une norme
inférieure". Mais la persistance de la théorie de l'écran
législatif magnifiée par le juge administratif et le refus du
juge judiciaire de reconnaître aux dispositions du préambule la
valeur constitutionnelle ont inévitablement conduit à la
construction d'un "désordre juridique" caractérisé par
l'existence de normes infra constitutionnelles dérogatoires aux
principes de valeur supérieure. L'adhésion au constitutionalisme
en 1996 a permis cependant de stopper cette déviance et de
rétablir la règle constitutionnelle dans sa primauté.
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