PARAGRAPHE 2: LA CONSECRATION DU CARACTERE OBLIGATOIRE DES
REGLES CONSTITUTIONNELLES
Droit et sanction sont-ils indissociables? Rapportée
à la Constitution, la réponse a été affirmative
pendant longtemps. Mais l'émergence d'une justice constitutionnelle
autorise bien
40 Article 9 loi fixant le statut des membres du Conseil
constitutionnel
41 Idem.
42 Article 12 loi fixant le statut des membres du Conseil
constitutionnel
à penser que la Constitution ne peut
véritablement imposer qu'autant qu'un oeil veille et est capable de
"reprendre" celui qui s'écarte de la voie constitutionnelle. La justice
constitutionnelle peut ainsi se décliner comme moyen de
réalisation du Droit par l'oeuvre de soumission des pouvoirs publics (I)
et moyen d'assurer la primauté de la Constitution par le contrôle
de constitutionnalité (II).
I- LA REALISATION DU DROIT PAR L'OEUVRE DE SOUMISSION
DES POUVOIRS PUBLICS
Le postulat est posé par l'abbé Sieyès
lorsqu'il affirme que "la Constitution est un corps de règles
obligatoires". Mais cette obligation ne s'est pas toujours imposée aux
organes de l'Etat. La justice constitutionnelle impose donc une
définition identique de la Constitution aux pouvoirs constitués:
l'ensemble des règles qui déterminent le champ de leur
compétence. Ceci au moyen de sa compétence de régulateur
du fonctionnement des institutions (A). Cette régulation vient
compléter le contrôle déjà effectif de
l'Exécutif en son bras séculier l'administration (B).
A) Le respect de l'organisation du pouvoir par la
régulation du Conseil constitutionnel
La Constitution est organisation du pouvoir (43) entre les
différents organes de l'Etat. La régulation du Conseil devrait
donc consister à veiller au respect de la séparation des pouvoirs
(1) et au règlement des différends entre les pouvoirs publics
(2).
1- La distribution du pouvoir entre les institutions
de l'Etat
Les principes constitutionnels consacrent la séparation
des pouvoirs, définissant les compétences de chaque organe. Le
respect de la constitution est ici qu'aucun organe n'empiète pas dans le
domaine réservé à un autre pouvoir. On s'attendrait
surtout à ce que le juge constitutionnel s'investisse dans la garantie
de l'indépendance du pouvoir judiciaire. D'autant plus qu'il ressort des
dispositions de la constitution nouvelle que le pouvoir judiciaire "est
indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir
législatif'(44). Une innovation dont il faut relever toute la
pertinence, et qui vérifie encore que le Cameroun est sur le chemin
laborieux de l'Etat de droit.
43 L'article 16 de la déclaration de 1789 dispose
à cet effet que "toute société dans laquelle 1a garantie
des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée n'a point de Constitution". D'ailleurs, constatera le
Pr. Rousseau, "pendant longtemps la Constitution a été
définie seulement à partir de la deuxième partie de
l'article 16 de la DDHC". Ceci a conduit à une négation des
droits et à une prééminence de l'Etat qui conduit
généralement en Afrique à une soumission du Droit au
pouvoir. Or, le constitutionnalisme c'est d'abord la Constitution comme
énoncé des droits intangibles par le fait même de leur
formulation dans un document opposable à tous. D'où l'exaltation
de l'action du juge constitutionnel qui permet aujourd'hui de revenir à
cette conception révolutionnaire de la Constitution: d'abord la garantie
des droits.
44 Article 37 alinéa 2 in fine Constitution de
1996.
2- Le règlement des différends entre
l'Etat et les Régions
La Constitution du 18 janvier 1996 change l'organisation
territoriale en instituant les Régions. Ce sont des collectivités
territoriales décentralisées disposant d'une certaine autonomie
politique et économique. L'Etat assure la tutelle sur les
Régions. Parce qu'il s'agit d'une organisation trop proche du
fédéralisme, on peut craindre que l'Etat, au moyen de cette
tutelle ne se substitue aux organes de la Région pour retrouver un
pouvoir qu'il a été contraint de partager. La Constitution offre
à cet effet la possibilité aux Présidents des
Exécutifs régionaux de saisir le Conseil lorsque les
intérêts de leur Régions sont en cause. Le Conseil sera
certainement beaucoup interpellé sur cette question car la mise en place
des Régions affectera des automatismes qu'il ne sera pas aisé
d'abandonner. Cette régulation complète le contrôle
déjà exercé sur l'activité administrative de
l'Etat.
B) Le contrôle détaché des
Règlements
Le contrôle de constitutionnalité fait
abstraction de la soumission de l'exécutif au droit. Certes dans un
système comme le nôtre où l'initiative législative
est un apanage du Gouvernement, on peut conclure que le contrôle de
constitutionnalité intéresse par ce fait l'exécutif. Mais
ce serait oublier que la quasi-totalité de l'activité de
l'exécutif est d'ordre administratif. D'où l'intérêt
de s'appesantir sur le contrôle qui y est fait. Il s'agit d'un
contrôle de constitutionnalité (1) qui est fortement
relativisé par la théorie de l'écran législatif
(2).
1- Un contrôle de
constitutionnalité
Le contrôle des règlements administratifs est un
authentique contrôle de constitutionnalité effectué par le
juge administratif. Il s'agit d'un contrôle qui existe depuis l'accession
du Cameroun à l'indépendance et depuis la Constitution du 04 mars
1960. Le contrôle de constitutionnalité des règlements
résulte du principe de juridicité posé par Charles
Eisenmann qui pense que l'administration dans son action doit respecter un
faisceau de normes au premier rang desquelles la Constitution. Aussi le juge
administratif se reconnaît-il compétent pour vérifier la
constitutionnalité d'un règlement administratif à la
règle supérieure. Encore faut-il qu'une loi ne s'interpose
pas.
2- Un contrôle relativisé par la
théorie de l'écran législatif
Le contrôle des règlements administratif se
heurte souvent en pratique à l'écran législatif. C'est le
cas où le règlement affirme sa régularité par
rapport à la loi, mais est irrégulier par rapport à la
constitution. Dans cette situation et faisant application de la
théorie
de l'écran législatif développée
par Raymond Odent, le juge administratif s'est toujours refusé à
apprécier la constitutionnalité du règlement, motif pris
de ce que l'exercice d'un contrôle de constitutionnalité sur le
règlement induirait un contrôle de la constitutionnalité de
la loi. Or il se défend d'être au Cameroun le juge de la
constitutionnalité des lois. Aussi le contrôle en amont de la
constitutionnalité des lois par le juge constitutionnel ne peut qu'aider
le juge administratif à mieux remplir son office.
II- LA PRIMAUTE DE LA CONSTITUTION PAR LE CONTROLE
DE CONSTITUTIONNALITÉ
Compétente en matière constitutionnelle,
"Le Conseil constitutionnel statue souverainement sur la
constitutionnalité des lois, traités et accords
internationaux;
Les règlements intérieurs de l'Assemblée
nationale et du Sénat, avant leur mise en application quant à
leur conformité à la Constitution.»(45)
De l'analyse de cette disposition, il ressort que la
primauté de la constitution est assurée au moyen d'un
contrôle de constitutionnalité qui à trois
démembrements (A). Ce contrôle est aussi soit facultatif soit
obligatoire (B).
A) Un contrôle de constitutionnalité
à trois démembrements
II s'agit d'un contrôle de constitutionnalité des
lois (1), d'un contrôle de conformité (2) et d'un contrôle
de contrariété (3).
1- Le contrôle de constitutionnalité des
lois
Le contrôle de constitutionnalité traduit le
passage de la loi d'un acte général à un acte
délimité. Désormais en effet la loi sera "l'acte pris par
le Parlement pris dans la forme de la loi
et dans le domaine de la loi". La Constitution ayant depuis
longtemps déterminé les matières qui ressortissent
à la compétence du législateur, il reviendra au juge
constitutionnel de s'assurer qu'il respecte ces limites. Certes la loi est
aussi l'expression de la volonté générale, mais le
constituant a prévu qu'elle sera cependant inférieure à la
Constitution. En l'absence d'un contrôle de constitutionnalité, la
suprématie constitutionnelle est "platonique" et la loi demeure en fait
sinon en droit la norme suprême. Le contrôle de
constitutionnalité tel qu'il est prévu et organisé en
droit constitutionnel camerounais déclare la fin du
légicentrisme, car "la loi n'exprime la volonté
générale que dans le respect de la Constitution"
.45 Article 47 alinéa 1 Constitution de 1996
2- Le contrôle de conformité
La terminologie "contrôle de conformité" peut
être utilisée pour qualifier le contrôle de
constitutionnalité des règlements intérieurs des
Assemblées politiques délibérantes. L'organisation
interne des assemblées n'échappe plus au contrôle par le
juge constitutionnel depuis la Constitution de 1996. La
légitimité et la nécessité d'un tel contrôle
reposerait sur l'idée que "modifier son règlement est toujours
pour une assemblée tenté d'accroître un pouvoir
d'intervention limité par la constitution"(46). L'avènement de la
nouvelle Constitution camerounaise a ainsi motivé un changement profond
du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (47) dont
le juge constitutionnel a eu à connaître. Cet office du juge
constitutionnel, saisi par le Président de l'Assemblée nationale,
a abouti à une déclaration de non conformité de certains
articles du règlement intérieur de la chambre.
3- Le contrôle de
contrariété
II intéresse le contrôle de
constitutionnalité des traités et accords internationaux. Le
contrôle de contrariété ne figurait n'était
prévu par aucune Constitution camerounaise jusqu'à
l'avènement de la loi fondamentale du 18 janvier 1996. Tout au plus la
Constitution du 04 mars 1960 disposait-elle que "il [le Président de la
République] soumet avant ratification les traités à
l'approbation de l'Assemblée nationale"(48). L'innovation de la
Constitution nouvelle va bien au-delà de la ratification et de
l'approbation pour soumettre ces formalités d'intégration des
normes internationales dans l'ordre juridique interne à un
éventuel contrôle du Conseil constitutionnel. La
particularité de ce contrôle réside en ce qu'il n'aboutit
pas au rejet de la norme internationale, mais à la modification de la
Constitution préalablement à la ratification ou l'approbation.
Certains y ont vu une supra constitutionnalité du droit international
sur le droit interne. Certes l'option moniste avec supériorité du
droit international est manifeste au regard de la Constitution de 1996(49),
mais il faudrait aussi admettre que l'ordre juridique international
régulièrement approuvé ou ratifié n'a qu'une valeur
supra législative, d'autant plus que la science constitutionnelle
referme l'ordre juridique interne sur la Constitution. Ainsi toute règle
à laquelle on voudrait conférer la valeur suprême sera
moulée en la forme constitutionnelle. Au demeurant, le traité ou
accord international ne sera ratifié ou approuvé qu'autant qu'il
n'est pas contraire à la Constitution. Selon la matière sur
laquelle il porte, le contrôle sera soit facultatif, soit obligatoire.
46 D. Rousseau, "Chronique de jurisprudence
constitutionnelle", in RDP 2000, pp 17 et SS.
47 Cf. supra.
48 Article 39
49 Voir les développements faits par N. Mouelle Kombi,
"La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 et le droit international", in S.
Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.). La réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et
politiques, op. cit. pp 126 et SS.
B) Un contrôle facultatif ou
obligatoire
Le contrôle de constitutionnalité est facultatif
pour les lois, traités et accords internationaux (1) et obligatoire pour
les règlements des Assemblées (2).
1- Le contrôle facultatif des lois,
traités et accords internationaux
Le contrôle de constitutionnalité des lois,
traités et accords internationaux n'est possible que s'il y a saisine du
juge constitutionnel. C'est donc un contrôle facultatif, car il n'y a pas
obligation de saisine. Le contrôle facultatif rapporté à la
loi semble ne pas vraiment militer en faveur de la garantie de la
suprématie constitutionnelle, car le juge pourrait très bien ne
pas être saisi d'une loi pourtant inconstitutionnelle. Mais en même
temps, faire du contrôle de constitutionnalité des lois un
contrôle obligatoire serait faire du Conseil une "troisième
chambre". Ce qui n'a jamais été l'intention du constituant, car
plusieurs mécanismes existent déjà pour élaguer la
loi de toute trace d'inconstitutionnalité avant sa promulgation (50). La
justice constitutionnelle se révélera cependant très
utile en démocratie majoritaire car ultimum remedies contre la
tendance à "la tyrannie de la majorité". Ce contrôle
facultatif des lois se justifierait aussi au regard du contrôle
obligatoire des règlements des assemblées qui est fait en
amont.
2- Le contrôle obligatoire des règlements
intérieurs des assemblées
Rompant avec la traditionnelle autonomie des assemblées
magnifiée par les précédentes Constitutions camerounaises,
la loi fondamentale du 18 janvier 1996 institue un contrôle obligatoire
des règlements intérieurs de l'Assemblée nationale et du
Sénat. Ceux-ci doivent "avant leur mise en application" être
contrôlés pour s'assurer de "leur conformité à la
Constitution". Ce contrôle est effectué sur saisine "obligatoire"
par le Président de la chambre concerné tant il est vrai que la
mise en application est subordonnée à la décision de
conformité rendue par le juge constitutionnel. Ainsi le Président
de l'Assemblée nationale a-t- il saisi la Cour suprême
siégeant comme Conseil constitutionnel en novembre 2002 du
règlement intérieur de la chambre afin que la Cour exerce sa
sanction.
50 La Constitution de 1996 comme les
précédentes prévoit déjà un contrôle
de la constitutionnalité des propositions et projets de lois au niveau
de la conférence des présidents. Certains auteurs ont même
assimilé ce contrôle à un contrôle de
constitutionnalité des lois. Mais cette thèse ne peut être
utilement reçue. Comme le relève déjà M. Donfack
Sokeng, le contrôle de constitutionnalité des lois suppose une
loi, c'est-à-dire un acte projet ou une proposition de loi qui a fait
l'objet d'adoption par le Parlement. Dans le cas contraire, il serait abusif de
parler d'un contrôle de constitutionnalité des lois, car la loi
n'existe pas encore.
L'évolution de la garantie juridictionnelle de
l'autorité de la norme constitutionnelle démontre les
difficultés du principe de la suprématie de la loi fondamentale
à se réaliser. Comme le précise Georges Burdeau, "la
suprématie des lois constitutionnelles serait un vain mot si elles
pouvaient être impunément violées par les organes de
l'Etat". Pendant longtemps, cette suprématie a été
discutée et même contestée par la reconnaissance en fait et
en droit de la supériorité de la loi. Car en l'absence d'un
contrôle de constitutionnalité, la garantie politique de la
Constitution apparaissait chimérique. En effet si on peut violer
impunément la Constitution, on le peut légitimement.
L'adhésion du Cameroun au constitutionnalisme révolutionne
certainement tout le droit constitutionnel camerounais; du moins
crée-t-elle un réel enthousiasme quant à
l'avènement d'un "gouvernement constitutionnellement limité". La
pertinence d'un tel raisonnement mérite cependant une analyse de
l'emprise de la justice constitutionnelle sur le système politique et
juridique du Cameroun.
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