A) Le principe de l'unicité pratique du peuple
La division du peuple ne saurait être que
théorique, dans le but de donner une certaine effectivité
à la distinction pouvoir constituant originaire - pouvoir constituant
dérivé. Mais au regard de l'évolution du droit
constitutionnel moderne, cette distinction est illusoire, car on ne peut
véritablement pas distinguer le peuple "entre générations
anciennes, présentes et futures." Le peuple de 1960 ne peut être
supérieur au peuple de 1996 ; il s'agit du même
peuple camerounais. L'unicité se justifie ainsi par une
ineffectivité constatée de la dualité organique du peuple
(1), et la confusion entre les titulaires du pouvoir constituant (2).
1- L'ineffectivité de la dualité
organique du peuple
Admettre la dualité organique du peuple c'est
reconnaître que "si le peuple est souverain (...) lorsqu'il intervient
comme pouvoir constituant originaire, il est en revanche soumis au droit
positif, donc à la Constitution, lorsqu'il agit en tant que pouvoir
constitué. "(24) Or tant les auteurs que la jurisprudence confirment que
l'acte de votation du peuple, à quelque moment qu'il intervienne, est la
manifestation d'un pouvoir suprême. L'impossibilité de diviser le
peuple sape donc le fondement de la dualité du pouvoir constituant et
explique, suivant en cela Thomas Meindl, que la formule "pouvoir constituant"
sans autre qualificatif soit utilisée pour identifier aussi bien le
pouvoir d'élaboration que celui de révision de la constitution.
Dans le respect de cette unicité du peuple, on peut comprendre que le
Président Paul Biya présente l'Assemblée nationale lors de
la procédure constituante de 1996 comme les "représentants
souverains du peuple"(25). Comme l'explique si bien Carré de
23 Carré de Malberg, cité par Dictionnaire
constitutionnel, p 753.
24 Th. Meindi, " Le Conseil constitutionnel aurait pu se
reconnaître compétent", in RDP n° 3, 2003, pp 743 et SS.
25 Cette confusion est relevée par le Pr. Luc
Sindjoun, car s'agissant de l'écriture d'une nouvelle Constitution, il
est conforme à la théorie démocratique que le nouveau
texte soit ratifié par le peuple. Certes une assemblée
constituante souveraine peut rédiger et adopter le texte, mais cette
assemblée doit être élue par le peuple. En l'espèce,
l'Assemblée nationale n'était composée que des
représentants "ordinaires" du peuple et par conséquent,
incompétente pour procéder à l'adoption de la Constitution
du 18 janvier 1996. Pour une grande partie de la doctrine camerounaise et
conformément à la science constitutionnelle, l'Assemblée
nationale n'est pas souveraine car aucune disposition de la Constitution de
1972 ne lui reconnaissait le pouvoir de se substituer au peuple dans
l'élaboration d'une nouvelle loi fondamentale. Pour une vue
complète sur la question lire M. Ondoa, "La Constitution duale :
recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun",
in Revue africaine de science juridique, vol 1 n° 2, 2000, pp 20 et SS ;
L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la révision
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", in S. Méloné,
A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La réforme constitutionnelle du
18 janvier 1996 au Cameroun, Aspects juridiques et politiques,
Yaoundé, Friedrich EBERT 1996, ppl6etSS;
Malberg parlant des implications de la souveraineté
nationale, "la volonté de la nation est identique à celle de ceux
qui sont habilités à parler en son nom." D'ailleurs que
l'élaboration d'une constitution par la seule assemblée
constituante est admise en droit constitutionnel comme un mode
démocratique. Mais dans le cas où la nouvelle Constitution serait
élaborée par le pouvoir de révision comme cela a
été le cas de la Constitution du 1er septembre 1961,
"il est logique et conforme à la théorie démocratique que
le nouveau texte soit adopté par le peuple."
2- La confusion entre titulaires du pouvoir
constituant
Elle est consacrée par la Constitution qui dispose que
"la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce
soit par l'intermédiaire (...) des membres du Parlement, soit par voie
de référendum". Cette confusion ne conteste cependant pas que "le
principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
Nation..." On y verrait plutôt une concurrence dans l'exercice de la
souveraineté en matière constitutionnelle. Il faut en effet
relever que le Parlement n'est pas souverain lorsqu'il exerce sa fonction
législative (26), alors que la jurisprudence du Conseil constitutionnel
français consacre le principe de l'incompétence en matière
d'adoption de la loi par la voie du référendum. Noiens
volens, la confusion entre titulaires du pouvoir constituant conduit
inévitablement à reconnaître aux membres du Parlement la
qualité de "représentants souverains" en matière de
révision constitutionnelle.
La dualité du pouvoir constituant ne peut être
utilement posée sans remettre en cause le principe de l'unité
pratique du peuple. Cette dualité ne pouvait véritablement pas
recevoir une application concrète au regard de l'indivisibilité
de la souveraineté.
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