B) L'indivisibilité de la souveraineté
La souveraineté appartient au peuple. Il s'ensuit que
toute division du peuple entraîne une division de la souveraineté.
Cela est purement contradictoire. Aussi l'indivisibilité de la
souveraineté implique-t-elle que le Parlement ne soit
que le représentant du peuple (1) excluant ainsi toute
distinction entre la volonté du peuple et la sienne (2).
26 Le Parlement n'est pas souverain lorsqu'il exerce la
fonction législative. A l'appui de cette thèse, l'existence d'un
contrôle de constitutionnalité des lois. L'idée selon
laquelle la loi est l'expression de la volonté générale a
été reconsidérée en France notamment par ce que
certains auteurs n'ont pas hésité à qualifier de "seconde
révolution". Il s'agit de la Constitution du 4 octobre 1958 qui consacre
un Conseil constitutionnel garant du respect de la primauté de la
Constitution. Mais si le Parlement en tant que législateur n'est pas
= souverain, il n'en est pas de même lorsqu'il agit en tant
que pouvoir constituant. La jurisprudence constitutionnelle française
est pour la souveraineté. La souveraineté en matière
législative revient au peuple car le Conseil constitutionnel affirme
également son incompétence pour connaître d'une loi
adoptée par référendum. Il s'agit là d'un refus qui
pourrait contribuer davantage à politiser le recours au peuple.
1- la qualité de "représentant" des
membres du Parlement
Le Parlement a cette particularité d'être
composé de représentants du souverain. Alors que le
Président de la République est présenté comme le
"chef de l'Etat", le député dans l'exercice de son mandat
"représente l'ensemble de la Nation". La qualité de
représentant des membres du Parlement respecte ainsi le caractère
inaliénable et imprescriptible de la souveraineté. Celle-ci
demeure la propriété du peuple qui ne s'en trouve pas
dépossédé du fait de la délégation.
L'autorité de la norme constitutionnelle semble donc sauvegardée
par ce principe, car à quelque niveau que ce soit, la matière
constitutionnelle relèvera de la compétence exclusive du
souverain.
2- L'identité de la volonté du peuple et
de ses représentants
Le système de la représentation ne signifie pas
nécessairement une confusion entre la volonté du souverain et
celle de ses représentants. En fait le peuple s'engage par avance
à faire sienne les décisions que prendra le Parlement dans
l'exercice de ses attributions(27). Bien entendu et comme nous l'avons vu plus
haut, ce principe est absolu pour ce qui est de la fonction constituante du
Parlement. En attendant la position du juge constitutionnel camerounais sur la
question, force est de reconnaître que le refus du juge constitutionnel
français de contrôler les lois constitutionnelles étaye
cette thèse.
L'exclusivité du souverain en matière
constitutionnelle postule alors que tant l'élaboration que
la modification de la norme fondamentale soient effectuées par
le pouvoir constituant. Surtout que le pouvoir de
révision est le souverain.
II- LA COMPETENCE DU CONSTITUANT
ORIGINAIRE EN MATIERE DE REVISION CONSTITUTIONNELLE
La révision de la Constitution est l'occasion de la
mise en oeuvre d'un pouvoir constituant dérivé ou
institué. Or qui dit institution dit forcément limitation.
L'idée défendue notamment par M. Kamto est que le pouvoir de
révision n'est pas un pouvoir souverain. Pourtant et au regard notamment
de la jurisprudence française et des expériences camerounaises de
1961 et 1996, on peut réellement affirmer que le pouvoir constituant
institué est un pouvoir souverain (A). La conséquence est la
valeur suprême de la loi constitutionnelle (B)
27 La démocratie telle qu'elle est vécue
aujourd'hui est bien loi de la pensée de Carré de Malberg pour
qui "ce n'est pas la volonté du peuple qui détermine celle des
représentants, c'est au contraire le peuple qui fait siennes par avance
les volontés que ses représentants viendront à
énoncer". L'avènement de la justice constitutionnelle introduit
un rapport nouveau : la démocratie directe au sein de la
démocratie représentative. Désormais il faudra distinguer
entre les volontés des représentants ce qui est conforme à
la volonté du peuple et ce qui ne l'est pas. C'est à proprement
parler un renversement de la pensée de la pensée du
théoricien français. Pour des développements plus
importants, voir G. Burdeau et alii. Droit constitutionnel, op cit. pp
160 et SS.
A) La souveraineté du pouvoir de
révision
"La souveraineté nationale ne peut se donner aucune
chaîne (...) il est de son essence de pouvoir ce qu'elle voudra et de la
manière dont elle le voudra"(28). Cette proposition épuise la
thèse de la souveraineté du pouvoir de révision qui est le
souverain. Il est sous ce rapport un pouvoir inconditionné (1). Plus
encore avec la thèse de la "révision de la révision"(29)
développée par Léon Duguit, l'on admet que le pouvoir
constituant institué puisse réviser toute la Constitution (2).
1- Un pouvoir inconditionné
Il peut "tout faire" ; c'est en ces termes que le juge
constitutionnel français consacre la souveraineté du pouvoir de
révision, qu'il soit exercé par le peuple ou ses
représentants. En déclarant que "le pouvoir constituant est
souverain: qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter
les dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime
approprié"(30), le juge constitutionnel français admet qu'il n'y
a certes pas de "supra constitutionnalité", mais que le souverain est
au-dessus de la Constitution. Face à cette inconditionnalité, les
barrières posées par les pères de la constitution
initiale, tant dans la forme que dans le fond s'effondrent. Nous devons
toutefois tempérer nos propos car la valeur de ces limites dépend
de la compétence ou non du juge à garantir leur respect. Peut
être le juge constitutionnel camerounais s'inspirera-t-il de la
décision de son homologue français qui a le mérite de
respecter la souveraineté sans laquelle il serait impossible de traiter
la norme constitutionnelle comme une règle supérieure.
2- La possibilité de la révision totale
de la constitution
C'est une thèse défendue notamment par M. Ondoa.
Déjà que sous le strict respect de son appellation, la
Constitution actuelle est issue d'une révision totale de la constitution
du 02 juin 1972. Le risque est pourtant grand, et M. Kamto le relève
fort à propos, que la révision totale de la Constitution
aboutisse à l'écriture d'une nouvelle Constitution; que "changer
la constitution revient à changer de Constitution'^ 1). Il n'en demeure
pas moins qu'en
28 Frochot devant l'assemblée constituante le 03
septembre 1791, cité par D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la
Vè République, op cit.
29 Pour le maître de l'école de Bordeaux, la
révision des dispositions constitutionnelles est possible par
application de la "révision de la révision". Dans un premier
temps, l'on procède à une révision pour éliminer
l'interdiction de réviser. Cet obstacle étant enlevé, la
révision est alors possible. Cette thèse concevable
théoriquement se heurte à des commodités pratiques, car
elle exige une double procédure. Mais la mise en application de cette
théorie aboutirait à l'élaboration d'une nouvelle
Constitution par la procédure de révision. En effet, le pouvoir
de révision est certes souverain, mais il ne peut élaborer une
nouvelle Constitution; or changer la forme républicaine pourrait aboutir
à changer l'Etat puisque tous les Etats ne sont pas Républicains.
Aussi cette théorie ne réalise pas vraiment une adhésion
de la doctrine, surtout que la reconnaissance de la souveraineté du
pouvoir de révision lui fait perdre tout intérêt
théorique.
30 DC, 26 mars 2003
31 L'expression est empruntée à D. Rousseau,
Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 6*°"
éd. 2001, p 214.
admettant que la modification de la Constitution ressortit de
la compétence du constituant originaire, l'on pose que cette
modification puisse intéresser toutes les dispositions de la loi
fondamentale. Certes cela peut aboutir à une "fraude à la
Constitution"(32), mais ce serait proprement renier l'unicité du peuple
que de postuler que le pouvoir constituant institué soit
conditionné. De la souveraineté du pouvoir de révision, il
résulte une valeur supérieure de la loi constitutionnelle.
B) La valeur de la loi constitutionnelle
Le droit constitutionnel allemand et le droit constitutionnel
italien notamment opère une distinction entre la constitution et les
lois constitutionnelles, avec comme conséquence le contrôle par le
juge constitutionnel ces dernières (33). La loi constitutionnelle, c'est
à dire celle portant révision de la Constitution, a de ce fait
une valeur inférieure à la Constitution. Il n'en est pas de
même en droit français. La valeur suprême de la loi
constitutionnelle est établie (1). En droit constitutionnel camerounais
l'exemple de la "loi constitutionnelle" du 18 janvier 1996 ne permet pas
d'avoir une conviction totale (2).
1- Une valeur suprême en droit constitutionnel
français
La loi constitutionnelle a une valeur constitutionnelle en
droit français. Longtemps hésitante (34), la jurisprudence
constitutionnelle l'a finalement consacrée dans une décision du
26 mars 2003. Le juge français après avoir posé que
l'exercice du pouvoir constituant dérivé n'était pas sans
réserve, s'est finalement déclaré incompétent pour
apprécier la constitutionnalité d'une loi portant révision
de la Constitution, et cela quel que soit son auteur.
2- Une détermination difficile en droit
constitutionnel camerounais
Cette difficulté réside tout d'abord sur la
promulgation de la "loi constitutionnelle" du 18 janvier 1996, alors que le
Président de la République pouvait contester ses dispositions. En
effet la constitution de 1972 dont la loi de 1996 n'était que la
"révision" prévoyait un contrôle de
constitutionnalité des lois à la diligence du Président de
la République. En promulguant le
32 L'expression est de Liet-Veaux. La fraude signifie qu'une
nouvelle Constitution serait établie par la procédure de
révision. Lire sur la question M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du
Cameroun indépendant" RJA, 1995; F. Mbome "Constitution du 02 juin 1972
révisée ou nouvelle Constitution" , in S. Méloné,
A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La reforme constitutionnelle du
Î8 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op
cit. pp 16 et SS.
33 La Cour constitutionnelle italienne a affirmé dans
un arrêt n° 1146 du 15/12/1988 que "la Constitution italienne
comprend quelques principes suprêmes qui ne peuvent être
renversés ou modifiés dans leur contenu essentiel même pas
par une loi de révision constitutionnelle ou par d'autres lois
constitutionnelles" .Grandes décisions du Conseil
constitutionnel, p 821.
34 Le Conseil constitutionnel dans une décision
précédente Maastricht III s'était déclaré
incompétent pour contrôler la conformité d'une loi
constitutionnelle adoptée par le peuple, laissant ainsi entendre
implicitement qu'il contrôlerait celle qui serait adoptée par le
Congrès puisque ayant déjà posé que l'exercice du
pouvoir de revision n'était pas sans réserve. Mais depuis le 26
mars 2003, le juge constitutionnel a définitivement assis sa
jurisprudence en la matière: il n'y a pas de distinction entre le
pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant institué.
texte de 1996, le Président admet soit la
constitutionnalité des dispositions, soit l'impossibilité de
faire procéder à un contrôle des lois constitutionnelles.
L'autre difficulté réside sur le défaut d'une position
explicite du juge constitutionnel sur la question, puisque la justice
constitutionnelle est encore à ses balbutiements. Nous pensons
humblement au regard de la souveraineté du pouvoir constituant, que la
loi constitutionnelle devrait bénéficier d'une immunité
juridictionnelle.
La dualité du pouvoir constituant est acceptable du
moment qu'est préservée l'exclusivité du souverain dans
l'élaboration ou la révision du pouvoir constituant. C'est
surtout la confusion qu'il y a au niveau des titulaires qui introduit une
incidence fâcheuse dans la construction de la suprématie
constitutionnelle.
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