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L'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

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par Etienne KENFACK TEMFACK
Université de Douala-Cameroun - D.E.A. de droit public 2005
  

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SECTION 2: L'INSTABILITE DE LA REGLE CONSTITUTIONNELLE SOUS L'EFFET DE LA VARIATION DU POUVOIR CONSTITUANT

La norme constitutionnelle doit être stable. Elle ne doit pas pouvoir être modifiable facilement, au gré des majorités et des caprices des pouvoirs institués. Aussi était-il nécessaire d'élever le référendum constituant au rang de "sanction obligatoire de la Constitution." Mais cette possibilité se heurte à des difficultés d'ordre pratique, car il n'est pas vraiment aisé pour un pays comme le nôtre, confronté à de sérieuses difficultés économiques, d'organiser une consultation populaire chaque fois qu'il faille modifier la règle suprême. L'exercice concurrent de la souveraineté par le peuple et ses représentants aura donc pour effet de rendre la norme constitutionnelle instable. Elle apparaît ainsi à la fois comme une norme modifiable par les pouvoirs constitués (paragraphe 1) et surtout modifiable sans l'intervention du peuple souverain (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1: UNE NORME MODIFIABLE PAR LES POUVOIRS CONSTITUES

L'exclusivité du pouvoir constituant en matière constitutionnelle induit que les pouvoirs institués, c'est à dire les organes de l'Etat ne puissent modifier la constitution. Cette interdiction est la garantie de la stabilité et de la longévité du pacte commun. On ne peut pourtant pas affirmer que ce principe est affirmé en droit constitutionnel camerounais. L'analyse des révisions constitutionnelles, surtout celles qui ont été faites entre 1983 et 1996, rend compte d'une stabilité qui dépend de la conjoncture politique (I) rendant problématique la viabilité de la Constitution (II).

I- UNE STABILITE DEPENDANTE DE LA CONJONCTURE POLITIQUE

La Constitution doit être garantie dans sa stabilité. Cette garantie aurait pu résider dans une totale exclusion des pouvoirs constitués du champ de la Constitution. Mais des commodités pratiques ont justifié que des rôles leur soient attribués dans la procédure constituante. Les incidences sont néfastes, car la stabilité de la Constitution est désormais soumise aux aléas des variations de la température politique. Illustratrices sont à ce sujet les révisions constitutionnelles du 18 novembre 1983 et du 17 mars 1988(35). Le moins qu'on puisse dire est qu'elles induisent une destination idéologique de la Constitution (A) en même temps qu'elles en font un objet de propagande (B).

A) La destination idéologique de la Constitution

La valeur suprême de la Constitution est fortement contestée par l'objectif qui précède à sa rédaction ou à sa révision. Elle se présente d'abord comme un texte au service d'une idéologie. Il ne s'agit donc pas d'un "pacte social", mais la mise en oeuvre d'une politique. Aussi M. Kamto affirme-t-il que le fédéralisme institué par la Constitution de 1961 n'était pour le président Ahidjo qu'une "transition". Cet indice est révélateur de ce qu'avant 1996, la loi fondamentale est au service de "l'idéologie de la construction nationale" qui prône la primauté de l'Etat (1) et la subsidiarité du droit (2).

1- La primauté de l'Etat

Les révisions constitutionnelles sont guidées par une seule volonté: consolider le pouvoir entre les mains de son détenteur. Ces révisions sont adoptées par une Assemblée nationale alors "chambre d'enregistrement" des desirata du Président de la République. La distribution des compétences est faite de telle sorte que l'Exécutif apparaît comme le pouvoir -^ et les autres organes de l'Etat de simples contre-pouvoirs, voire des pouvoirs subordonnés. Telle se présente la constitution du 2 juin 1972 qui institue, selon l'expression de M. Kamto "un régime de monocentrisme présidentiel". Il faudrait aussi relever la révision du 4 février 1984 qui supprime le poste de Premier Ministre et celle du 23 avril 1991 qui le rétablie, pour avoir la mesure d'une quête obnubilée d'un Etat fort et donc d'un Président tout-puissant.

35 Voir M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant", op cit.

2- Le caractère accessoire du Droit

La Constitution porte la marque de la primauté de l'Etat, n'étant consacrée généralement qu'à l'organisation du pouvoir politique. Aucune garantie n'est prévue pour que cette organisation acquière une certaine stabilité, car tout changement politique est susceptible d'entraîner une modification de la Constitution. Celle-ci n'est plus "un corps de règles obligatoires"(36), car le Droit est sous l'autorité de celui qui peut décider à tout moment de l'exception. L'idéologie de la construction nationale contribue à relativiser la force juridique de la règle de droit suprême qui exprime moins une idée de droit qu'une vision du pouvoir du chef de l'Etat (37).

La destination idéologique de la Constitution cédera la place en 1996 à un droit constitutionnel de politique internationale dans les circonstances de son élaboration.

B) Un objet de propagande

La Constitution est censée être une vision de société idéale, et non le résultat de pressions extérieures. L'autonomie constitutionnelle est en effet un principe consacré en droit. La CIJ précise à ce sujet que "chaque Etat possède le droit fondamental de choisir et de mettre en oeuvre comme il l'entend son système politique, économique et social. "(38) Pourtant les difficultés économiques ont contraint le Cameroun comme plusieurs autres pays africains à élaborer une Constitution répondant aux exigences des bailleurs de fonds. Ce maquillage constitutionnel aboutit à faire exister une Constitution réelle à côté d'une Constitution théorique (1); cette dernière n'étant plus qu'une simple façade (2).

1- La permanence*d'une constitution réelle à côté d'une constitution théorique

Jean Gicquel définissait la Constitution comme "l'encadrement juridique des phénomènes politiques"(39). Si la constitution in-forme effectivement le Droit camerounais, il reste que la politique se laisse difficilement encadrer par les normes. Ce que Georges Vedel

36 L'abbé Siéyes, cité par M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel français" in Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques. Université de Douala, n° 1 année 2002, pp 66 et SS.

37 L'idéologie de la construction nationale qui prend racine au Cameroun dés la proclamation de l'indépendance repose sur un postulat simple: le pain avant la liberté. Cette idée irrigue le dispositif constitutionnel au point où "tout ce dit et se fait prétend l'être au nom du progrès" Sous ce rapport, "le droit apparaît comme un instrument de construction de l'unité nationale", "un instrument de politique du développement" qui conditionne les structures de l'Etat à la recherche des solutions au développement. L'idéologie se caractérise ainsi par la "mobilisation de l'ensemble du potentiel national en vue de la réalisation d'une part de l'unité nationale, d'autre part du développement national" Cène synthèse repose sur les travaux d'éminents professeurs, et notamment M. Kamto qui pose les grands développements de cette idéologie dans sa thèse Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, LGDJ, Paris, 1987; M. Ondoa "Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement: contribution à l'étude de l'originalité des droits africains", thèse de Doctorat d'Etat en droit public

38 CU, arrêt sur l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, 1986.

39 J. Gicquel, cité par I. Abiabag, Cours de droit constitutionnel, année 1999-2000.

nommait "l'insoutenable autonomie du politique"(40) trouve ici toute sa vigueur, tant il est vrai que tout est politisé. Le résultat en est la permanence d'une Constitution réelle, fruit de la pratique, à côté du texte. Certes une Constitution en quelque lieu qu'on puisse se trouver c'est "un texte, un esprit et une pratique"(41), mais la prééminence du texte doit nécessairement avoir un impact sur les esprits et influencer la pratique. Ce qu'on observe pour le moment, c'est une lenteur à donner pleine effectivité à un texte qui a déjà plus de huit ans d'existence, traduction de la "résistance" du pouvoir à un ordre constitutionnel dont la particularité est de rompre avec les traditions constitutionnelles camerounaises.

2- La loi fondamentale: une façade politique

Elle a pour objectif de "contenter" les bailleurs de fonds par la satisfaction de principes aux slogans de l'Etat de droit. Aussi Philippe Ardant remarque-t-il que "beaucoup de Constitutions dans le tiers-monde ne sont que des façades"(42). D'ailleurs on constate que la règle fondamentale ne résiste pas bien souvent à l'ivresse du pouvoir et au désir de son détenteur de le conserver le plus longtemps possible. La loi fondamentale camerounaise n'a pas encore subi de modification depuis son adoption. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que non seulement elle n'est pas encore "totalement" en vigueur", mais aussi que celui qui décide de l'exception ne s'est pas encore retrouvée dans la situation de "passation obligatoire" du pouvoir.

La stabilité de la loi fondamentale court un risque énorme par la possibilité qu'on les pouvoirs constitués, et principalement le Président de la République conforté par une majorité parlementaire, de la réviser. Ces considérations posent assurément une interrogation sur la viabilité de la Constitution.

II- UNE NORME A LA VIABILITE PROBLEMATIQUE

La longévité de la norme fondamentale est difficile à réaliser dans les pays du tiers-monde. Lorsqu'elle n'est tout simplement pas abrogée par le "nouvel homme fort", elle est

40 G. Vedel, cité par D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 456.

41 L'expression est du Général de Gaulle lors d'une conférence de presse le 31 janvier 1964, cité par 0. Duhamel et Y. Mény, Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992.

42 Ph. Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, Paris, 11*-- éd. 1999 p 54.

sans cesse remodelée au point de perdre son essence. Alors que les Etats-Unis ont une Constitution qui a plus de deux siècles d'existence et que la France connaît une Constitution depuis 1958, le Cameroun a connu depuis 1960 quatre Constitutions et près d'une dizaine de révisions constitutionnelles. C'est la conséquence de ce que la Constitution, qui exprime en fait le pouvoir d'un homme (A) ne repose pas sur un large consensus (B)

A) L'expression du pouvoir d'un homme

La loi fondamentale est généralement la perception que le "chef a du pouvoir. Pour Laurent Gaba, cette perception a pour conséquence "la perversion de l'ensemble des institutions étatiques, à commencer par la loi fondamentale elle-même."(43) La quête d'un pouvoir sans partage conduit à la personnification du pouvoir (1); et la révision devient ainsi un véritable instrument de la garantie de la prééminence du pouvoir sur le droit (2).

1- La personnification du pouvoir

Véritable déviance des Républiques dites "bananières", l'institutionnalisation de l'homme est substituée à l'institutionnalisation du pouvoir. Sous ce prisme, la loi fondamentale aménage le pouvoir de manière à ce que le "chef soit tout-puissant. C'est ainsi que la constitution de 1972 institue selon l'expression de M. Kamto un "présidentialisme absolutiste", tandis que l'analyse de la loi fondamentale de 1996 fait dire à F. Eboussi Boulaga que le pouvoir du chef de l'Etat est "un pouvoir absolu et totémisé"(44). Il faut tout simplement en conclure que la relation entre la constitution et le pouvoir repose sur "l'asservissement" de la Constitution par la "sacralisation" du pouvoir. Heureusement qu'avec les données nouvelles de l'Etat de droit, le pouvoir commence véritablement a subir l'influence du Droit.

2- La récurrence des révisions pour pérenniser le pouvoir

Après le coup d'Etat manqué d'avril 1984, une série de réformes constitutionnelle va avoir lieu. Celles-ci auront pour but à la fois de couper le "cordon ombilical" qui liait alors le Président de la République à son prédécesseur, de donner une légitimité populaire au Président et de renforcer son pouvoir. La révision n'a donc plus pour but d'adapter la loi fondamentale aux évolutions de la société, mais de solidifier le pouvoir et le conserver.

43 L. Gaba, L'Etat de droit, la démocratie et le développement économique en Afrique subsaharienne. L'harmattan, 2000, p 78.

44 F. Eboussi Boulaga, cité par L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", op CIL p 51.

Cette subordination aux "humeurs" du politique pourrait être relativisée si la Constitution reposait au moins sur un large consensus.

B) L'absence de consensus autour de la loi fondamentale

La viabilité et la longévité de la Constitution reposeraient en principe sur l'adhésion générale autour des principes qu'elle pose. Mais il est de tradition en droit constitutionnel camerounais que l'élaboration des Constitutions ne procède pas d'un consensus. La rédaction secrète de la Constitution de 1972 (1) et le rejet des résultats de la Tripartite et du "large débat" (2) participent de cette tendance à problématiser la viabilité de la loi fondamentale.

1- La rédaction secrète de la Constitution du 2 juin 1972

La fédération semble n'avoir été envisagée par le Président Ahidjo que comme une étape pour la réunion des deux parties du Cameroun. L'avènement de cet Etat unitaire et donc de la Constitution de 1972 sera "tenu secret jusqu'à la dernière minute". La Constitution du 2 juin 1972 sera, semble-t-il élaborée par un expert français sans que soit associés l'UNC ou les instances constitutionnelles de l'Etat. Le texte sera cependant soumis au référendum et adopté, sans pour autant réaliser le consensus nécessaire puisqu'il sera contesté par les anglophones (45).

2- Le rejet des propositions de la Tripartite et du "large débat"

La procédure constituante de 1996 a engendré la Tripartite et le "grand débat"(46), dont le but était de connaître les voeux du peuple camerounais, pris dans ses différentes composantes, sur te nouveau projet de société qui allait engager le pays sur le sentier laborieux de la démocratie. Mais les propositions issues de ces consultations populaires ont tout simplement été rejetées par le dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale du projet de loi n°590/PLJ/AN portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, texte élaboré par un comité consultatif constitutionnel sur la base des "propositions du Président de la République."

L'instabilité de la norme constitutionnelle vient aussi de ce que sa modification peut se faire sans le recours au souverain constituant qu'est le peuple.

45 Cf. infia

46 La Tripartite était une sorte d'assemblée constituante qui devait conduire un processus constitutionnel divisé en trois phases. Mais ses travaux furent interrompus pour plusieurs raison, et une autre procédure allait être relancée sous la direction et le contrôle du Président de la République. Celle-ci comportait la participation du peuple à l'élaboration du nouveau pacte commun par le fameux "grand débat" ou "large débat". Pour des plus amples développements, voir, F. Mbome, "Constitution du 2 juin révisée ou nouvelle Constitution", in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op cit.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon