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La corruption privée : un risque majeur pour les entreprises

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par Pierre ROCAMORA
Université Paul Cezanne, Aix Marseille 3 - Master 2 délinquance économique et financière 2007
  

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II: Les carences dans la lutte contre la corruption

Malgré une volonté affichée de lutte contre la corruption, ce combat reste toutefois difficile à mener. Cette difficulté émane de l'instantanéité du délit de corruption privée, qui fair courir le délai de prescription dès la commission de l'acte (A). Mais une autre carence doit être relever, à savoir l'absence totale de pouvoir d'investigations au Service Central de Prévention de la Corruption (B).

A: La dérive vers l'incrimination de l'abus de bien sociaux

A l'heure où un débat est entrain de s'instaurer sur l'utilité réelle de la pénalisation du droit des affaires, il convient de s'interroger sur les failles qui peuvent exister sur ce droit économique. Nous nous pencherons ainsi sur les carences juridiques du délit de corruption privée, afin de mieux cerner les difficultés qui peuvent en découler, et conséquemment la nécessité, non pas de le supprimer ou le modifier, mais au contraire de le renforcer. En matière de corruption, une des failles se situe au niveau de la prescription de l'action publique.

A l'instar de toutes les autres infractions, le délit de corruption privée connaît un délai de prescription, délai au terme duquel l'action publique ne pourra plus être déclenchée. La complexité des règles de prescription publique demanderait une analyse exhaustive qui ne peut être effectuée dans le cadre de cette étude, nous nous contenterons donc d'aborder ici les failles inhérentes à la prescription publique en matière de corruption privée.

La prescription de l'action publique signifie qu'au terme d'un certain délai, aucune poursuite judiciaire ne pourra être entamée à l'égard de l'auteur de l'acte illicite. Le législateur est venu préciser la durée durant laquelle l'action publique peut se voir mise en route, et les règles du droit positif en la matière peuvent se résumer comme suit :

- le délai de prescription d'un crime est de dix ans ;

- le délai de prescription d'un délit est de trois ans ;

- le délai de prescription d'une contravention est d'un an101(*).

Nous nous situons dans la deuxième catégorie, la corruption est un délit, entraînant ainsi un délai de prescription de trois ans. Une fois ces bases légales établies, il convient de s'interroger sur une question essentielle en matière de prescription publique de la corruption, à savoir à quel moment commence à courir ce délai de prescription. Il existe plusieurs catégories d'infractions, et la corruption fait partie des infractions instantanées. On appelle infraction instantanée l'infraction dont le délai de prescription commence à courir dès l'accomplissement de l'acte délictueux. En matière de corruption, cela signifie que la prescription court à partir du jour de la commission de l'infraction, c'est-à-dire le jour du pacte de corruption. Plus précisément, l'infraction est consommée du seul fait de la sollicitation ou de l'offre et indépendamment de la suite qui lui sera donnée102(*). Par conséquent, on imagine les conséquences négatives en terme de répression que cette règle peut engendrer : il suffit qu'une durée de trois ans s'écoule entre le pacte corrupteur et la découverte de cet acte illégal, pour que l'auteur de l'acte ne puisse plus être poursuivi, et jouisse ainsi d'une totale impunité pour ses pratiques corruptrices. L'instantanéité de ce délit entraîne donc une difficulté dans l'appréhension de la répression vis-à-vis de l'auteur de l'acte illégal. En effet, d'une part, le pacte de corruption, par définition secret, n'a aucun intérêt à être révélé par l'un des deux protagonistes. D'autre part, les manipulations destinées à masquer l'opération délictueuse auront pour incidence de mettre à mal les investigations, ou encore de retarder la découverte du délit. Ainsi, dans la majorité des cas, lorsque le juge d'instruction aura connaissance du pacte de corruption, le délai de prescription sera écoulé, et le corrupteur, tout comme le corrompu, ne pourront plus se voir inquiétés sur la base de ce délit.

Pour ne pas laisser impuni des personnes ayant commis une infraction pénale grave, le magistrat instructeur aura recours lorsque cela sera possible, à un subterfuge juridique usité communément dans ce cas : engager des poursuites sur la base du délit d'abus de bien sociaux103(*)pour le corrupteur, et de recel d'abus de bien sociaux pour le corrompu.

L'abus de bien sociaux est également une infraction instantanée. En substance cela signifie que le délit d'abus de bien sociaux se prescrit normalement par trois ans et le point de départ de ce délai doit être fixé, comme pour tout délit instantané, au jour ou ont été accomplis les actes matériels délictueux. Et si ces actes se renouvellent, la prescription ne court qu'à compter du dernier d'entre eux. Mais, alignant le régime de la prescription de l'abus de bien sociaux sur celui de l'abus de confiance104(*), la Cour de cassation décide que « le point de départ de la prescription du délit d'abus de bien sociaux ne court que du jour où il est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique 105(*) ». Cette solution a été largement critiquée aussi bien par les prévenus qui en subissaient les conséquences, mais également par certains commentateurs excessifs qui sont allés jusqu'à évoquer « l'imprescriptibilité » de l'abus de bien sociaux106(*). Cependant, des arrêts postérieurs ont apporté des ajustements de nature à apaiser les esprits, nuançant quelque peu la jurisprudence antérieure. Quoi qu'il en soit, il existe un effet de retardement du délai de prescription du délit d'abus de bien sociaux, ce qui offre aux organes poursuivants des modalités de répression plus souples à appliquer à l'auteur de l'acte. Et lorsque le délai de prescription du délit de corruption est écoulé, les magistrats instructeurs optent donc logiquement pour l'engagement de poursuite sur la base du délit d'abus de bien sociaux qui ouvre de plus larges possibilités de répression. C'est la raison pour laquelle les auteurs d'actes de corruption sont généralement poursuivis sur le chef d'abus de bien sociaux, infraction qui pour l'opinion publique a moins un caractère infamant que le délit de corruption. Conscient de ce problème, la jurisprudence est toutefois venue apporter tempérer son interprétation stricte de l'instantanéité du délit de corruption. En effet, selon la formule traditionnelle de la Cour de cassation : « Le délit de corruption est une infraction instantanée, consommé dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu et se renouvelle à chaque acte d'exécution ». Ainsi, si des relations suivies s'instaurent, marquées par une succession de services rendus et rémunérés, la prescription ne commence à courir qu'à compter du dernier de ces agissements. En revanche, « Ce point de départ ne saurait être retardé au jour de la découverte de l'infraction, et cette sévérité explique en partie la dérive constatée vers l'incrimination plus accueillante d'abus de bien sociaux107(*) ». Il apparaît donc clairement une faille dans la répression de la corruption, obligeant les juges à se tourner vers d'autres incriminations, dans le but de ne pas laisser impunis de tels comportements délinquants.

Perspectives de changement

Dans le but de faire cesser ce basculement de qualification pénale à l'encontre de l'auteur d'un acte de corruption, il est nécessaire de réfléchir sur les améliorations possibles pouvant être apportées à la répression de ce délit. Le délai de prescription de l'action publique en matière de corruption semble être au coeur du contentieux, et certains professionnels se sont prononcés en faveur de mesures destinées à modifier quelque peu ce délai. Par exemple, le Service Central de Prévention de la Corruption semble prôner l'allongement du délai de prescription en matière de corruption de trois à six ans. Cette solution est justifiée selon ce service du fait que : « L'inconvénient de créer un nouveau délai spécial de prescription pour ce délit est atténué par la nécessité de pouvoir le poursuivre en raison de ce caractère occulte108(*) ». Le SCPC prône donc un allongement du délai de prescription en matière de corruption, a l'instar des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre qui connaissent un délai de prescription spécifique. L'idée sur le fond est louable car elle permettrait une meilleure répression des protagonistes. La durée de six ans apparaît justifiée du fait que les pratiques corruptrices s'avèrent extrêmement difficiles à détecter, et sont le plus souvent « camouflées » sous des opérations en apparences légales. Mais il n'est pas certain que cette solution soit envisageable du point de vue du droit positif, car elle interférerait avec les dispositions de l'article 8 du Code de procédure pénal, en créant un délai de prescription unique pour le délit de corruption.

Une autre solution plus envisageable serait d'adopter pour la prescription de la corruption, une jurisprudence analogue à celle de l'abus de bien sociaux. Cela reviendrait pour les juges à inscrire dans leurs décision la formule consacré pour l'abus de bien sociaux, formule selon laquelle le délai du délit de prescription ne commence à courir qu'à compter de la découverte de l'infraction. Cette évolution n'est cependant pas d'actualité, la jurisprudence ne s'étant toujours pas prononcée dans ce sens, le délai de prescription accompagné de ces failles reste le même.

Cette carence juridique qui a pour conséquence de faire basculer la qualification pénale de corruption en abus de bien sociaux, entraîne donc des répercussions néfastes en terme de répression de la corruption. La volonté du législateur reste pourtant intacte dans la lutte contre ce fléau, pour preuve la création de structure spécialisée dans ce combat. Ainsi, depuis 1993 il existe un service spécialisé, le Service Central de Prévention de la Corruption qui tente de détecter les principaux mécanismes de la corruption pouvant intervenir dans les différents secteurs économiques. Mais là encore, force est de constater une carence car cette institution n'est pas dotée de moyens nécessaires pour mener à bien son action. C'est ce que nous tenterons de démontrer dans la suite de notre étude.

* 101 Il existe cependant des délais de prescription plus long. Tel est le cas notamment pour les délits d'agression sexuelle aggravée sur mineur, de crime ou de torture sur mineur qui se prescrivent sur une durée de vingt ans. La prescription peut également s'étendre sur trente ans pour des actes terroristes. L'imprescriptibilité est accordée aux crimes contre l'humanité, crimes de guerre. Mais il existe aussi des délais de prescription plus court, comme par exemple en matière d'infractions de presse, infractions qui connaissent un délai de trois mois.

* 102 Il convient de signaler sur ce point, que les textes n'incriminent pas la tentative de corruption car l'infraction, comme nous venons de le dire, est consommée du seul fait de la sollicitation ou de l'offre et indépendamment de la suite qui lui sera donnée.

* 103 Le législateur incrimine le délit d'abus de bien sociaux en des termes identiques dans les sociétés à responsabilité limité (SARL) - article L. 241-3, 4° et 5° - et dans les sociétés anonymes (SA) - article L. 242-6, 3° et 4°. Il ressort de ces textes que ce délit suppose la réunion de quatre éléments : un acte d'usage des biens, du crédit ou des pouvoirs, un acte contraire à l'intérêt social, un acte accompli dans un intérêt personnel, un acte accompli de mauvaise foi.

* 104 L'abus de confiance prévu par l'article 314-1 du Code pénal énonce que « L'abus de confiance est le fait par une personne de détourner au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ».

* 105 Voir à cet égard la décision rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 juillet 1993. Il s'agissait en l'espèce d'une dénonciation au parquet par des inspecteurs des impôts agissant dans le cadre de poursuite pour fraude fiscale. La Cour a admis que la prescription ne courait qu'à compter du jour de la découverte de l'abus de bien sociaux, c'est-à-dire le jour de la dénonciation par les services fiscaux.

* 106 Ces critiques émanaient du fait que si un personne commettait un abus de bien sociaux en janvier 2000, et que la découverte des faits délictueux n'intervenait qu'en janvier 2010, alors des poursuites pénales pouvaient être engagées à l'égard de l'auteur de l'acte jusqu'en janvier 2013. En comparaison, lorsqu'un meurtre est commis et que celui-ci est découvert, le délai de prescription commence à courir immédiatement. De fait, il suffit par exemple que le criminel s'expatrie pendant une durée de 10ans, pour qu'à la fin de cette durée il ne puisse plus être poursuivi sur le chef de meurtre. L'écoulement de ces dix années lui assure donc par la suite une totale impunité, ce qui n'est pas le cas en matière d'abus de bien sociaux, d'où l'évocation de l'imprescriptibilité de ce délit.

* 107 Michel Veron : « Droit pénal des affaires » ; Armand Colin, Compact. 6ème édition, p. 68.

* 108 Rapport du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 1997 ; éd. La documentation Française, p. 27.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius