Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales établies (article l442-6 1;2?° du code de commerce)( Télécharger le fichier original )par Avocat stagiaire (2011), Idarque (promotion 2010- 2011) Cédric Dubucq Université Paul Cézanne Aix Marseille - Master 2 Droit économique 2011 |
Titre 1 Pour une autonomie de notre « déséquilibre significatif »Nous étudierons trois points. D'abord, nous souhaiterions « offrir » à celui qui peut être mis en cause la possibilité, dans certains cas de s'exonérer de sa responsabilité (Chapitre 1). Nous souhaitons, également relativiser le contrôle judiciaire du prix (Chapitre 2) et enfin, étudier les liens qui existent entre la théorie de l'imprévision et le déséquilibre significatif. Nous verrons à cet égard que les vertus des solutions prospectives du droit commun (Chapitre 3). Chapitre 1 Les conditions d'exonération du partenaire en situation de supériorité Nous souhaitons ne pas tomber dans la sinistrose contractuelle et voir des déséquilibres là où il n'y aurait qu'un fonctionnement normal et raisonnable du marché. A cet égard nous souhaitons tolérer une certaine dose de déséquilibre (Section 1), prônons la justification en cas de situations qui peuvent sembler déséquilibrées (Section 2) et enfin souhaitons que l'environnement concurrentiel puisse être pris en compte dans la décision judiciaire (Section3). Section 1 L'admission d'un déséquilibre simple et relatifDans la mesure où l'on incrimine le déséquilibre significatif, cela signifie que le déséquilibre simple, ou tout au moins qui ne serait pas « significatif » serait admis. Ainsi, un déséquilibre mineur ou sans conséquence ne devrait pas engager la responsabilité de l'auteur. Toute la difficulté résidera à déterminer ce qui est « significatif » de ce qui ne l'est pas. Il nous semble que les relations contractuelles sont, par essence, déséquilibrées. Les rapports de force sont évidemment inhérents au monde des affaires. Ainsi, nous avons souhaité voir établi, comme préalable au déséquilibre, le fait que les conditions n'aient pas été librement négociées166. C'est ainsi une des différences avec l'article L. 132-1 du Code de la consommation, qui répute une clause abusive quels que soient la contrainte et le rapport de force. Étant précisé, même si c'est une banalité, qu'il faut nécessairement être estampillé « consommateur » pour bénéficier du texte. A l'inverse, dans le Code du commerce , un déséquilibre librement consenti ne peut, compte tenu de la liberté qui a été utilisée, être ensuite utilisé à des fins judiciaires. Cette vision pragmatique du droit, doit à notre sens, prédominer. C'est donc un filtre que l'on souhaite créer, qui imposerait au juge de tenir compte de la relation entre les partenaires commerciaux. Deux possibilités sont offertes au juge pour autoriser le déséquilibre simple et relatif. D'abord, la possibilité de se calquer sur la notion supprimée de discrimination et de considérer que l'abrogation n'a, en définitive, que peu d'effet et que les relations commerciales ayant fait l'objet de traitements identiques sont blanchies par le droit des pratiques restrictives de concurrence. 166 En ce sens, voir M. Cousin, art. préc., qui considère que le délit de l'article L. 422-6 I 2o sera « probablement réservé, en pratique, aux situations de puissance d'achat ou de vente », art. cité. A contrario, une relation dont il serait établi qu'un des partenaires ne bénéficie pas des mêmes conditions que d'autres, et serait particulièrement moins bien traité induirait un déséquilibre significatif. L'estimation du niveau de gravité de la différence de traitement serait interprété légèrement à la hausse par rapport à l'ancienne législation mais l'idée et le principe resteraient identiques. L'autre solution, que nous préconisons, serait l'idée qu'une simple discrimination ne devrait pas être sanctionnée et que le fait d'être moins bien traité ne saurait constituer un abus en soi. Compte tenu de la volonté législative d'introduire la libre négociabilité des tarifs et des conditions de vente et de ne plus sanctionner per se la discrimination, une différence importante de traitement ne pourra être ici qu'un indice parmi d'autres, mais ne devrait pas suffire , à elle seule , à entraîner la preuve du déséquilibre significatif. Si l'on est mal traité par rapport à quelqu'un qui est traité trop favorablement, on n'est pas forcément victime d'un déséquilibre significatif dans l'application du contrat. En conclusion, même si la différence reste assez théorique, dès lors qu'une discrimination sera très marquée, le contrat sera bien souvent qualifié de lésionnaire et on parlera donc de déséquilibre significatif. Section 2 Pour une pédagogie contractuelle permettant de justifier et de comprendre les abus C'est un point important sur lequel nous souhaiterions insister. En effet, nous ne saurions trop conseiller aux acteurs de la vie des affaires, qui rédigent un contrat qui sera approuvé par leur partenaire, de justifier, sous la forme d'un préambule ou d'une explication à la marge de clause abusive, ce pourquoi celle-ci existe. Nous verrons que le déséquilibre pourra porter également sur l'aspect financier du contrat et, face à cette évolution ,il nous semble important , pour celui qui fixera demain le prix dans un contrat cadre, d'en expliquer le montant. Il nous semble également indispensable , lorsqu'une clause est suspectée de créer un déséquilibre significatif, de permettre au professionnel, contrairement à ce qui se passe en droit de la consommation, de démontrer que ce déséquilibre a été compensé dans la négociation par un avantage conséquent donné par une autre clause. Cette pédagogie contractuelle, si elle n'est pas encore nécessaire selon la jurisprudence167, sera à notre sens essentielle, d'abord pour se prémunir en amont contre les éventuels contentieux amenés à naître, ensuite pour permettre au juge, lorsqu'il est saisi d'apprécier ce prix au regard de cette justification et enfin pour le partenaire lui-même qui connaîtra la raison d'être du prix ou, plus justement, de la baisse de celui-ci. Il sera ainsi intéressant, pour les intervenants économiques et juridiques, de voir que ce prix est étayé d'une certaine argumentation portant par exemple, sur certains éléments de comparaison, sur la hausse ou la baisse du montant de certains produits nécessaires, etc ... Ainsi, un prix très élevé ou très bas pourra être relevé par un juge comme un indice de la fixation abusive mais cette analyse pourra être expliquée et justifiée par celui qui en fixe le montant. Sans anticiper les explications qui vont suivre sur le déséquilibre financier, pourra-t-on cependant condamner le prix per se? Nous ne le préconisons pas et pensons que le prix pourra, la plupart du temps, s'expliquer par des circonstances propres à la relation contractuelle. En résumé, les contrats d'adhésion sont bel et bien licites. Si le contrat d'adhésion constituera une condition préalable à la caractérisation de l'abus, il s'agira peut être également d' une présomption d'abus. Pour éviter que le juge ne suspecte certaines clauses voire le contrat dans son entier, le cocontractant pourra alors argumenter que le déséquilibre est compensé par l'économie générale des relations contractuelles, la nature des relations, ou encore par la conjoncture économique que traverse le partenaire. 167 V. en particulier Cass. civ. 1re, 30 juin 2004, Bull. civ. IV, n° 190, p. 157. Section 3 La prise en compte de l'éventuelle possibiité de trouver un autre partenaire économique Il nous semble indispensable de s'interroger, lorsqu'il s'agira demain de qualifier l'abus, sur la possibilité pour la « victime » de se tourner vers un autre partenaire économique. En d'autres termes, de savoir si oui ou non la concurrence est faussée et si la faculté de choisir un opérateur autre que le maître du prix est théorique ou illusoire. Il s'agit en quelques sortes de se demander si la partie dominée est ,elle ,contrainte,voire soumise à son partenaire. Il conviendra, pour le juge qui souhaite qualifier le contrat de lésionnaire, d'étudier les difficultés liées à la contrainte concurrentielle. La politique de prix peut être liée a l'environnement économique des différents concurrents168. Si l' entreprise se libère de cette menace, elle devra sans doute disposer d'un certain pouvoir de marché traduisant un degré d'indépendance suffisant. La jurisprudence nous fournit un bel exemple illustrant les possibilités qui s'offrent à la victime pour lui permettre de se soustraire à son partenaire. Il s'agissait en l'espèce169 d'un important fournisseur qui augmentait considérablement les prix de vente en période de pénurie , exploitant ainsi sa position de force. Dans cette situation, l'exploitation est réelle mais légitime, aucune ruse ni malice n'entoure ce comportement. 168 La liberté est « la situation dans laquelle chacun peut utiliser ce qu'il connaît en vue de ce qu'il veut faire ». F.-A. Hayek, Droit, Législation et Liberté, t. 1, Règles et ordres, trad. par R. Audouin, PUF, coll. « Libre échange », 3e éd., 1992, p. 66. Et sur les liens entre le droit de la concurrence et le droit des contrats : M. Behar-Touchais, « L'ordre concurrentiel et le droit des contrats », in L'ordre concurrentiel, Mélanges en l'honneur d'A. Pirovano, éd. Frison-Roche, 2003, p. 235 ; M. Chagny, « L'empiètement du droit de la concurrence sur le droit du contrat », RDC 2004, p. 861 ; E. Claudel, « Le consentement en droit de la concurrence, consécration ou sacrifice ? », RTD. com. 1999, p. 291 ; F. Dreifuss-Netter, « Droit de la concurrence et droit des obligations », RTD civ. 1990, p. 369 ; B. Fages et J. Mestre, « L'emprise du droit de la concurrence sur le contrat », in L'influence du droit du marché sur le droit commun des obligations, RTD com. 1998, p. 11 ; M.-A. Frison-Roche, « Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats », RTD civ. 1995, p. 573 ; « Le contrat et la responsabilité : consentements, pouvoirs et régulation économique », RTD civ. 1998, p. 46 ; « Contrat, concurrence, régulation », RTD civ. 2004, p. 451 ; L. Idot, « L'empiètement du droit de la concurrence sur le droit du contrat », RDC 2004, p. 882 ; M. Malaurie-Vignal, « Droit de la concurrence et droit des contrats », D. 1995, Chr., p. 51 ; « Droit de la concurrence et droit des obligations », Cah. dr. entr. 2000, n° 3, p. 11 ; M.-S. Payet, « Code civil et concurrence », in 1804-2004, Le Code civil, Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004 ; B. Oppetit, « La liberté contractuelle à l'épreuve du droit de la concurrence », Rev. sc. morales et politiques 1995, n° 3, p. 241 ; L. Vogel, « L'articulation entre le droit civil, le droit commercial et le droit de la concurrence », Rev. conc. consom. 2000, n° 115, p. 6. Adde M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, op. cit. ; M.-S. Payet, Droit de la concurrence et droit de la consommation, op. cit., n° 192 et s., p. 272 et s. 169 D. Mazeaud Cass. civ. 1re, 26 mai 1993; Defrénois, 1994, article 35746, p. 351, obs. Il s'agissait alors d'un « partenaire obligatoire », et en pareille hypothèse, la jurisprudence a justement considéré que la dépendance économique devait triompher170. A l'inverse, lorsqu'un client, ayant connaissance des difficultés d'une entreprise, lui impose ses conditions et que celle-ci les accepte, nous rejoignons l'avis adopté par la chambre commerciale selon lequel il n'y a rien à redire ;il s'agit simplement du fonctionnement normal de l'économie libérale et de la loi d'offre et de demande171. En revanche, qu'en est-il lorsque le client, de part sa puissance et sa surface financière, contraint l'entreprise à contracter à ses propres conditions mais que celle-ci ne peut objectivement survivre sans son client ? Ce n'est actuellement pas le droit commun qui traite ce genre de situation mais le droit de la concurrence172. En effet, la violence économique que l'on étudiera ne permet pas, même lorsque la victime rapporte la preuve de l'absence d'alternative satisfaisante ,d' établir l'illégitimité du comportement. Selon l'auteur, il conviendra donc de rechercher le marché de référence afin de caractériser un éventuel abus de position dominante173. Notre désir n'est pas tant de réintroduire une condition préalable de dépendance économique mais simplement de prendre en considération que ,dans le lien contractuel qui unit les partenaires, le juge devra déterminer la puissance d'un partenaire par rapport à l'autre et en tirer les conclusions afin de faciliter la caractérisation de l'abus ou , au contraire, laisser aux parties leur pleine et entière liberté contractuelle. Si nous avions déjà évoqué dans la première partie que cette condition nous paraissait 170 Comp. C. Ouerdane-Aubert de Vincelles, Altération du consentement et efficacité des sanctions contractuelles, Dalloz, 2002, nos 452 et s., p. 351 et s. 171 Cass. com., 20 mai 1980, Bull. civ. IV, no 212, relevant que le fait de souscrire à des clauses contractuelles pour échapper au mal considérable résultant du risque de fermeture de l'entreprise ne suffit pas à établir la violence. La Cour d'appel doit préciser en quoi « les agissements de la société étaient illégitimes ». Également, Cass. com., 11 janv. 2005, pourvoi no 01-11.414, relevant que si le demandeur « avait pu consentir à l'accord litigieux sous la contrainte économique, les clauses critiquées par lui n'étaient pas illégitimes et ne procuraient pas à la société Sopex un avantage excessif ». 172 Comp. Y.-M. Laithier, « Remarques sur les conditions de la violence économique », préc. 173 Sur la question de la dépendance du fournisseur à l'égard du distributeur, M.-A. Frison-Roche et M.-S. Payet, Droit de la concurrence, op. cit., nos 142 et s., p. 138 et s. indispensable afin de mener à bien l'appréhension de l'abus, il paraît logique que , dans le cas où la contrainte de trouver un autre cocontractant est inexistante,l'abus ne doit pouvoir être caractérisé. A contrario, s'il existe une situation de soumission , qu'elle soit d'ordre juridique (clause d'exclusivité par exemple) ou factuel (liée à une situation de faiblesse),la relation pourra relativement aisément être estampillée « déséquilibrée ». |
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