Titre 1 La délimitation du
périmètre du déséquilibre significatif
A notre sens, deux marqueurs permettent de délimiter ce
texte, aux contours indéfinis (Chapitre 1). Nous verrons qu'il
conviendra d'appliquer ce texte lorsque le contrat n'a pas été
préalablement négocié (Chapitre 2). Enfin, il sera
nécessaire, pour appliquer le texte, de prouver que le rapport s'inscrit
dans le cadre d'une relation commerciale, telle que définie par
l'article L442-6,1;5° dont les contours ont été
précisés par la jurisprudence (chapitre 3).
Chapitre 1 Propos introductifs concernant
l'insaisissabilité du champ d'application liée aux incertitudes
de l'influence consumériste
Cette protection est novatrice, d'abord par son inspiration
consumériste, en effet, la rédaction de l'article se calque
sémantiquement sur le droit de la consommation. On déplorera
l'imprécision de ces termes juridiques, dont l'utilisation est d'abord
destinée à lutter contre des pratiques économiques. C'est
sans doute la limite d'une législation bâtie dans l'urgence,
d'aucuns parlerons de précipitation, où « le
législateur économique n'est plus un législateur juridique
» 41.
41 B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, coll. «
Précis », 1999, no 87, p. 106.
Rappelons, en guise de préambule, que les clauses
abusives entre professionnels ne sont pas nées le 4 aout
200842 puisque l'ancien article L. 422-6. énonçait
dans son second paragraphe la nullité de certaines «clauses ou
contrats ».
Certaines clauses étaient déjà
considérées, dans le même texte, comme entrainant la
responsabilité de leurs auteurs ainsi que la nullité ,celle-ci
pouvant également être sollicitée par le ministre
chargé de l'Économie ou le Ministère Public.
Mais la transposition des termes du droit de la consommation
dans le Code de commerce n'est pas sans poser de difficultés. La
doctrine elle-même est divisée et, si certains prêchent pour
la symétrie du droit de la concurrence avec le droit de la
consommation43, il ne faudrait pas tomber dans ce « panneau
» séduisant44.
La « diffusion » du droit
consumériste45 est significative dans la mesure où les
objectifs des deux textes sont identiques, à savoir protéger la
partie la plus faible dans la relation contractuelle46.
Cependant une application semblable ferait craindre une
«protection généralisée » des professionnels qui
deviendrait paradoxalement et injustement plus importante que la protection
dont bénéficient les simples consommateurs. 47.
En ce qui nous concerne, il nous semble que le
parallèle sémantique doit nécessairement entrainer un
certain nombre de conséquences parmi lesquelles la transposition des
abus dégagés par le droit de la consommation et la
création d'une autorité dont la mission serait
précisément d'apprécier et d'unifier ces
abus48.
42V. des «clauses abusives » entre professionnels Dir.
Ch. Jamin et D. Mazeaud, op. Cit.
43 Voir ainsi Malaurie Vignal, art. pré.cit : « La
réforme [de la loi LME] ne signifie pas que le professionnel est un
consommateur. Mais l'adoption d'une notion commune avec le droit de la
consommation traduit une unité fondamentale de la relation
fournisseur-distributeur-consommateur... », une sorte de « droit de
la consommation bis » L. Roberval et D. Fasquelle, Concurrences n° 2,
2008, chr. 125.
44M. Behar-Touchais «Que penser de l'introduction d'une
protection contre les clauses abusives dans le Code de commerce ?» art.
cit.
45En ce sens, D. Ferrier et D. Ferré, préc., p.
2237 ; plus nuancée, M. Malaurie-Vignal, préc. ; M. Cousin,
préc.
46 Voir le rapport de Jean-Paul Charié n° 908,
déposé le 22 mai 2008, indiquant que la nouvelle rédaction
« renforce l'effectivité de la sanction de l'exploitation abusive
d'un rapport de force par l'une des parties en soumettant celle-ci à des
sanctions civiles dès lors qu'elle soumet ou tente de soumettre son
partenaire commercial à des obligations créant un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Elle est d'ailleurs inspirée du Code de la consommation et des
dispositions relatives à l'interdiction des clauses abusives, qui visent
à empêcher les abus de puissance contractuelle dans le cadre d'une
relation marquée par un fort déséquilibre entre le
consommateur isolé d'un côté et l'entreprise de l'autre
».
47 M. Chagny, art. préc. , allant même
au-delà de celle des consommateurs , F. Buy, Entre droit spécial
et droit commun : l'article L. 442-6 I, 2o du Code de commerce , LPA
2008, no 252 . ; M. Behar-Touchais, art. préc.
48 V. le dossier « Cycle de conférences de la
Cour de cassation. Droit de la concurrence et droit de la consommation
» : complémentarité ou divergences ?, RLC,
octobre-décembre 2006, p. 134 et s., et spéc. D. Mazeaud, Le
droit de la consommation est-il un droit social ou un droit économique
?, p. 136.
L'importation de la technique et de l'esprit
consuméristes constitue une première étape et non une
finalité. En effet, ce texte, tel qu'il est rédigé offre
une protection plus importante au partenaire commercial qu'au consommateur et
nous verrons que la mise en oeuvre du déséquilibre significatif
ne s'appliquera pas exactement de la même manière que chez son
(faux)jumeau du droit de la consommation.
Enfin, l'analyse juridique à laquelle nous nous livrons
semble nébuleuse car ce déséquilibre n'est pas
canalisé par une liste de clauses abusives. Ce même
déséquilibre, laissant les magistrats et les juristes « dans
la nature », renvoie à des notions extrêmement
hétérogènes. La difficulté résidera donc
dans le fait d'appréhender ces différentes notions et de voir si
oui ou non elles doivent tomber sous le couperet du déséquilibre
significatif.
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