Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales établies (article l442-6 1;2?° du code de commerce)( Télécharger le fichier original )par Avocat stagiaire (2011), Idarque (promotion 2010- 2011) Cédric Dubucq Université Paul Cézanne Aix Marseille - Master 2 Droit économique 2011 |
Chapitre 2 L'absence de négociation comme condition préalableAvant cette loi dite LME, un argument pratique consistait à dire que depuis longtemps, les clauses abusives fleurissent dans les contrats entre professionnels49. Jacques Ghestin avait précisé que la rédaction unilatérale d'une grande partie des contrats permettait « l'insertion de clauses abusives »50, ce qui soulevait « un grave problème législatif »51. Nous dresserons d'abord le postulat que, dans la grande distribution surtout, mais de manière générale, il existe une infériorité inhérente à la vie des affaires. Une grande partie des contrats est ainsi rédigé par une seule des parties au contrat (Section 1). Il nous semble également que, si le législateur a supprimé la condition de dépendance économique et l'a remplacée par le terme « soumettre », cette soumission ne sera présente que lorsque le contrat n'aura pas été négocié (Section 2). Enfin, le contexte contractuel particulier de la distribution (Section 3) justifie que la 49 G. Virassamy, Les relations entre professionnels en droit français, in La protection de la partie faible dans les rapports contractuels. Comparaisons Franco-belges, ss dir. M. Fontaine et J. Ghestin, LGDJ, 1996, p. 479 et s. 50 Traité de droit civil sous la direction de J. Ghestin, Les obligations. Le contrat, formation, par J. Ghestin, LGDJ, 2e éd, 1988, n° 74 et s. 51 ibid. protection ne puisse être invoquée qu'en présence de contrat d'adhésion. Section 1 De l'infériorité du partenaire à la convoitise de la protection consuméristeDans l'immense majorité des situations que l'on retrouve dans la vie des affaires, un des deux agents est en infériorité juridique, technique et économique.52 Le droit de la consommation est donc apparu comme un objet de convoitise par les professionnels désireux d'obtenir une protection souhaitable et nécessaire. Dès lors,il paraît injuste de refuser la protection à ces agents qui réussiraient à démontrer leur incompétence, leur situation de dépendance et l'absence de pouvoir de négociation.53. La raison est tout simplement que le consommateur a comme point commun avec certains professionnels de ne pas s'attarder sur le contrat en lui même vu qu'il n'a pas les moyens de négocier ni la volonté de tendre une relation dans laquelle la susceptibilité du contractant puissant est évidemment plus importante. Ce n'est donc pas par manque de connaissance ou de diligence mais généralement parce que la modification du contrat est impossible ou encore qu'un des deux contractants se montre trop pressé 54. Car, disons -le clairement, en l'absence de pouvoir de marché qui pourrait faire présumer un abus de position dominante, seule l'idée d'unilatéralité55 dans la rédaction traduit la puissance d'un cocontractant sur l'autre. Deux possibilités peuvent dés lors être admises. On pourrait , demain, soit limiter la protection à la clause non négociée, soit être plus restrictif et limiter la protection à la clause figurant dans un contrat d'adhésion. C'est, à notre sens, la seconde hypothèse qui devrait être privilégiée. C'est d'ailleurs celle qui a été retenue à l'article 10 du projet de la Chancellerie, alinéa 2 56 définissant le contrat d'adhésion comme étant « celui dont les stipulations 52 qui est irréfragablement présumée par rapport à leur cocontractant professionnel), d'autre part leur « inaptitude à la négociation contractuelle » J.-L. Aubert, obs. ss Cass. civ. 1re, 28 avr. 1987, préc. ; dans le même sens, V. Ch. Jamin, pré. Cit. 53 En ce sens, V. J. Kullmann, eod. loc., sp. p. 32. 54 M.-S. Payet, Droit de la concurrence et droit de la consommation, thèse Paris, Dalloz, 2001 , n° 97 et s., p. 160 et s. ; J. Rochfeld, Cause et type de contrat, LGDJ, 1999, n° 37 et s., p. 35 et s. Et v. déjà, G. Berlioz, Le contrat d'adhésion, LGDJ, 1973. 55 V. not. L'unilatéralisme et le droit des obligations, sous la direction de Ch. Jamin et D. Mazeaud, Économica, 1999. 56A. Ghozi et Y. Lequette, La réforme du droit des contrats : brèves observations sur le projet de la Chancellerie, essentielles, soustraites à la discussion, ont été unilatéralement déterminées à l'avance ». Le principe demeure dans l'avant-projet de réforme dirigé par Pierre Catala57. Cet avant-projet prévoit certes que « le défaut d'équivalence des prestations n'est pas une cause de nullité des contrats commutatifs ». Mas par exception, l'article 1122-2 prévoit « que cependant, la clause qui crée dans le contrat un déséquilibre significatif au détriment de l'une des parties peut être révisée ou supprimée à la demande de celle-ci, dans les cas où la loi la protège par une disposition particulière, notamment en sa qualité de consommateur ou encore lorsqu'elle n'a pas été négociée ». L'absence de négociation d'une clause justifierait ainsi, en présence d'un déséquilibre significatif, sa mise à l'écart. Section 2 Le fondement de cette présomption : la liberté souhaitée par la suppression de la condition préalable de dépendance économique L'ancien article L. 442-6, I, 2o, b) du Code de commerce prévoyait qu'engageait la responsabilité de son auteur « le fait d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées ». Une remarque préliminaire s'impose concernant la suppression de toute référence à l'«état de dépendance » et à la «puissance d'achat ou de vente ». En effet, si l'on compare la genèse du présent article avec celle du droit de la consommation, ce dernier a également rejeté la référence antérieure à la «puissance économique » 58. Doit- on parler de coïncidence où d' « atomes crochus » entre les deux suppressions de cette condition préalable, ou bien doit -on y voir le souhait de supprimer toute barrière et obstacle pouvant enrayer la mise en oeuvre du texte ? Ceci étant, la suppression de la condition « préalable » dans le nouveau texte de l'article L. 422-6 I 2o, permettrait-elle de sanctionner tout « déséquilibre significatif entre les art. cit. 57Catala P., Rapport sur l'avant projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. fr., 2005. 58 Cependant, l'affirmation de cette disparition dans le droit de la consommation doit être nuancée , V. F. Buy, art. préc. citant D. Mazeaud, L'abus de dépendance en droit des contrats, in Mélanges P. Didier, Économica, 2008, p. 325 et s., spéc. p. 345 entre les parties », quelles que soient la nature et l'intensité du rapport entre les parties? Et, par conséquent, doit- on y voir un (nouveau) rapprochement avec son alter ego du droit de la consommation ou bien serait- ce un mauvais réflexe59? Autrement dit ,la suppression de cette condition de dépendance économique ouvrirait -elle la porte à un «contrôle judiciaire sans limite des contrats entre professionnels »?60 A contrario, la notion de « dépendance » continuera-t-elle à être utilisée comme un indice permettant d'apprécier, avec d'autres, si le déséquilibre doit ou non être sanctionné ? Ce serait, à notre sens, oublier qu'à la différence de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, l'article L. 442-6 du Code de commerce évoque le fait de « soumettre (ou de tenter de soumettre...) » des obligations susceptibles de créer le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ce verbe « soumettre », guère commenté par la doctrine,61 semble néanmoins réintroduire une condition davantage subjective et s'éloigner ainsi de la rive consumériste.62 Le dictionnaire Larousse nous éclaire sur ce terme davantage utilisé en droit pénal : «Soumettre », mot ambivalent, ne se définit-il pas, dans son acceptation courante, comme le fait de «ranger sous sa puissance, sous son autorité ...»? Les mots ont un sens et l'introduction du verbe « soumettre »doit ,à notre avis, être analysé comme le fait de contraindre ou d'exercer une pression afin de ne pas trahir le terme soigneusement choisi. Le fait de tenter de soumettre est tout aussi étonnant, la tentative semble entrer dans le domaine du droit civil, traditionnellement dévolu au droit pénal63. Doit -on, là aussi, procéder à l'importation des techniques pénalistes pour appréhender la tentative de déséquilibrer le contrat ? 59 M. Behar-Touchais, pré. cité. 60 Chagny, art. préc. 61voir cependant M. Behar-Touchais, art. préc., et D. Ferrier, art. préc. F. Buy art. préc. 62 Même si, il est vrai que l'ancien texte contenait la même terminologie (« en soumettant... »). Mais sa portée était éclipsée par la référence à l'état de dépendance, ce qui d'ailleurs confirmait le sens particulier et « subjectif » à donner à ce mot. 63 Art. 121-4 du Code pénal. Un fait positif64 sera alors requis, on pense sans doute aux négociations, qui devront être antérieur à la signature du contrat. Au delà des querelles doctrinales et intellectuelles que l'on ne retrouvera sans doute pas en pratique (on voit mal un cocontractant assigner pour tentative de déséquilibre sur la base de négociations avortées...), c'est tout de même la marque en creux de la proclamation législative ,d'une gravité à ce point néfaste qu'il faille nécessairement lutter contre ces pratiques avant même qu'elles aient eut lieu. Rappelons, pour en finir avec l'analogie pénaliste, que seuls sont punissables les délits et les crimes, les contraventions ne pouvant être réprimées qu'à condition d'être tentées65... Quoi qu'il en soit ,cette différence oppose ici radicalement le droit des pratiques restrictives de concurrence avec le droit de la consommation. La référence à un élément « subjectif et personnel» est en effet étrangère au droit de la consommation. En ce qui concerne le droit consumériste, c'est la clause en elle même qui contraint ou soumet. En effet, : « ... sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet... » 66 . Dans ce cas, ce qui diffère est que c'est la clause en
droit de la consommation qui peut que , dans les clauses noires 10e (« soumettre... »), 11e (« subordonner »), 12e (« imposer... ») ou dans les clauses grises, les clauses 8e (« soumettre... ») ou 10e (« entraver... »). Mais pour les consommateurs, c'est la clause qui contraint, alors qu'entre professionnels, c'est la partie qui impose la clause... De plus,cette analyse sémantique et juridique correspond parfaitement à la volonté politique de l'époque de faciliter la qualification de l'abus par le juge sans reproduire la même difficulté que le précédent texte en faisant de la dépendance économique un véritable préalable67. 64Conte et Maistre du Chambon, Droit pénal général, 5è éd., no 373 p 173 65Conte et Maistre du Chambon, op.cit. p184 66 C. consom., art. L. 132-1 67Notes Bleues de Bercy, n° 348 (1er au 15 mai 2008), Projet de loi de modernisation de l'économie, p. 24. M.Luc Chatel quelque peu emporté dans son élan, évoquera même les « abus de position dominante », Audition 6 mai 2008, Assemblée Nationale, Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, compte rendu n° 47. En effet, Christine Lagarde, avec ce texte, a cherché à introduire un « système de sanction plus dissuasif pour empêcher les abus de puissance d'achat ou de vente »68, et remédier ainsi au peu de succès de l'abus de dépendance économique en jurisprudence.69 Les sanctions étaient en effet peu nombreuses et le mécanisme alors en place ne permettait pas une sanction efficace des abus entre professionnels70. La jurisprudence avait assimilé la notion de dépendance à celle de « dépendance économique », au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce 71. Pour compléter l'analyse, la CEPC a clairement interprété le nouveau texte en ce sens comme le montrent en particulier les réponses aux questions figurant dans l'avis du 22 décembre 2008 : on y trouve les mots révélateurs d'« exiger », «imposer », « contrainte (...) ». De plus, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et la Commission d'examen des pratiques commerciales précisent que la preuve d'une simple puissance d'achat ou de vente n'est pas exigée72. A contrario, si l'on ne retenait pas cette analyse, des partenaires commerciaux en parfaite égalité économique pourraient (par extraordinaire) se prévaloir de l'article L. 442-6, I, 2°. Le contrôle du déséquilibre significatif serait ainsi purement objectif et la situation des contractants serait indifférente. Pour résumer, on n'exigerait plus une condition de dépendance économique, afin de 68 C. Lagarde, Projet de loi de modernisation de l'économie, document Agir pour la croissance et l'emploi, communiqué le 28 avril 2008, mesure n° 16. 69 Rapport de Marie-Dominique Hagelsteen, La négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente, 12 février 2008, p. 29 ; M. Chagny, Le contrôle des abus dans la négociation, Rapport de la Commission d'examen des pratiques commerciales 2007-2008, Annexe 10, p. 142 et s. 70 Voir ce sur point le Rapport de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), 2006-2007, p. 153 s. La CEPC considère que « la dépendance économique est l'une des formes possibles de la relation de dépendance, elle n'en est pas l'unique variété. La disposition envisage, non pas la dépendance économique, mais la «relation de dépendance », notion plus large qui englobe d'autres formes de dépendance, telle qu'une dépendance technique ou contractuelle ». 71Rapport de la CEPC 2007-2008, page 137. Voir également, Cass. com., 23 octobre 2007, pourvoi n° 06- 14981 ; 29 janvier 2008, pourvoi n° 07-13778, ou Cour d'appel de Versailles, 11 mai 2006, n° 05/00760. 72 «Questions/Réponses de la DGCCRF sur l'application de la LME du 28 nov. 2008», Déséquilibre significatif et autres pratiques abusives, cité dans le dossier documentaire de la décision n° 2010-85 QPC ; CEPC : «Questions : les abus dans la relation commerciale» (notion de déséquilibre significatif) : www.cepc.bercy.gouv.fr. favoriser la caractérisation du délit. Ceci étant, l'emploi du terme « soumettre » entraine un certain nombre de conséquences. D'abord le fait que le juge interprète le contrat, ce qui est une première différence avec le droit de la consommation. Et ce n'est qu'après avoir établi que le contrat est un contrat d'adhésion qu'il sera envisageable de détecter les clauses qui sont suspectes. Nous souhaitons ainsi éviter l'incursion probablement trop importante du Ministre dans l'exercice de la liberté contractuelle73. |
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