Section 2 Les raisons d'une interprétation
fallacieuse du conseil constitutionnel
En guise de préambule, dans la mesure ou le conseil
constitutionnel désirait réellement instiller le droit de la
consommation dans ce déséquilibre que nous souhaitons singulier,
n'aurait-il pas été plus simple et plus direct pour le conseil de
valider le dispositif en y incluant une réserve d'interprétation?
Cette possibilité aurait eu le mérite de guider, demain, les
magistrats sur la manière de sanctionner le
déséquilibre.
Dans la négative, on peut légitimement supposer
que les Sages ont voulu laisser le soin à la jurisprudence de dessiner
ce que sera le déséquilibre de demain.
De plus, les clauses abusives issues du droit de la
consommation visent à éradiquer les «clauses» dans les
contrats conclus avec des professionnels qui « ont pour objet ou pour
effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du
consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et
obligations des parties au contrat ».
Cette protection induit nécessairement un examen ligne
à ligne du contrat98, ce qui a d'ailleurs conduit à
l'établissement des listes de clauses abusives «noires» ou
« grises », issu du décret du 18 mars 2009. Avant ce
décret, une liste indicative et non exhaustive de clauses
considérées comme abusives était annexée à
l'article L. 132-1 précité.
Pour les professionnels en revanche, l'article L. 422-I 6;
2° ne vise pas les «clauses» mais de
98 Ceci n'empêche cependant pas l'obligation, pour
déterminer le caractère abusif d'une clause au regard de
l'article L. 132-1, de se référer « ... à toutes les
circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les
autres clauses du contrat », ... ou même aux clauses contenues dans
un autre contrat lié au précédent. Pour autant, il s'agit
toujours d'apprécier l'impact d'une clause donnée.
manière générale les «obligations
».
Il s'agit d' une des innovations majeures et
conséquentes de ce texte. En effet, contrairement au dispositif
consumériste, le Code du commerce semble bien autoriser un
contrôle global des déséquilibres ,qu'ils soient
économiques ou juridiques 99.
Si son homologue consumériste exclut
expressément l'appréciation de l'« objet principal du
contrat » et surtout de l'« adéquation du prix ou de la
rémunération au bien vendu ou au service offert
»100, rien n'est indiqué ce qui permet d'envisager
sérieusement le déséquilibre à l'échelle du
contrat.
Même si certains en doutent 101 , il semble
évident que la loi LME ait visé avant tout le
déséquilibre financier et économique du contrat 102.
Ainsi, l'article L. 132-1, alinéa 2 du Code de la
consommation dispose que « l'appréciation du caractère
abusif (...) ne porte ni sur la définition de l'objet principal du
contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération
au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient
rédigées de façon claire et compréhensible
».
A contrario, le fait que l'article L. 442-6, I,
2° ait été adopté pour « remédier aux
abus possibles de la nouvelle libre négociation des prix en
matière commerciale »103invite à penser que le
déséquilibre significatif pourrait précisément
porter sur le prix »104.
Ce déséquilibre financier est admis car c'est
essentiellement le coeur des négociations entre
professionnels105. Et puisque, comme cela a été
rapporté dans les débats parlementaires,le législateur
souhaite « s'attaquer » à l'abus qui résulterait de la
nouvelle liberté dont bénéficie les professionnels, c'est
donc logiquement que le déséquilibre sur l'objet même du
contrat
99 En ce sens M. Béhar-Touchais, art. préc. ; F.
Buy, art. cité; M. Chagny, art. cité; M. Malaurie-Vignal, art.
cité; M. Pichon de Bury et C. Minet, art. préc.
100 C. consom., art. L. 131-1
101 Voir par exemple M. Cousin, qui évoque un «garde
fou incertain contre les déséquilibres financiers », in
la négociabilité des tarifs et des conditions de vente
après la LME : quels garde-fous ?, op.cit.
102 F. Buy, art. cité: M. Chagny, art. préc.
103 M. Behar-Touchais, «Que penser de l'introduction d'une
protection contre les clauses abusives dans le Code de commerce ?» : RDC
2009, p. 1258. V. aussi C. Lucas de Leyssac et M. Chagny, «Le droit des
contrats, instrument d'une forme nouvelle de régulation
économique ?» : RDC 2009, p. 1271.
104 M. Behar-Touchais, «Que penser de l'introduction d'une
protection contre les clauses abusives dans le Code de commerce ?»
pré.cit. V. aussi C. Lucas de Leyssac et M. Chagny, «Le droit des
contrats, instrument d'une forme nouvelle de régulation
économique ?» : RDC 2009, p. 1271.
105v. les obs. critiques sur ce point de M. Malaurie-Vignal,
« La CEPC se prononce sur la légalité de certaines pratiques
de distributeurs », Contrats, conc. consom. 2009, comm. 43).
peut être apprécié.
L'article L. 422-6, I, 4°intègre d'ailleurs comme
abus potentiels les prix et conditions de vente106.
Plusieurs questions restent en suspens, qu'en sera-t-il de
l'office du juge dans son appréciation ? Ce dernier pourra-t-il
rechercher le «juste prix »107, ou bien se contentera-t-il
d'un« abus manifeste »? Aucune certitude n'est de rigueur, nous
développerons la manière dont nous souhaiterions voir
évoluer cet aspect dans la seconde partie.
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