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Approche systémique des jeux pragmatiques communicationnels.

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par Colin FAY
Université de Rennes 2 - Master LCER 2012
  

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C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité

Avant de venir à ce qui fait le caractère fractal du système communicationnel, nous allons dans un premier temps définir ce qu'est une fractale. Concept développé par Mandelbrot (1989), une fractale est une figure géométrique qui change selon l'échelle depuis laquelle on la considère. Imaginons un instant que l'on cherche à savoir quelle est la longueur du contour de la France. D'un point de vue macroscopique, la France est un hexagone et donc possède une certaine longueur si l'on considère ses contours à cette échelle. Si l'on se rapproche un peu, la France aura un contour plus complexe, ce qui modifiera les mesures premières. Si l'on continue de se rapprocher et qu'on imagine une mesure faite par un compas d'un mètre, le contour se fera encore plus complexe et la longueur sera plus longue, phénomène qui se reproduira si l'on prend un compas de cinquante centimètres, et à l'inverse si l'on s'imagine regarder la France depuis des milliers de kilomètres dans l'espace, la France ne sera qu'un point48. Pour résumer, une figure fractale est une figure dont la nature dépend de l'échelle d'observation envisagée et dont le motif global dépend des sous-motifs qui la constitue.

C'est ainsi que nous devons considérer le système communicationnel, comme un méta-système comprenant des sous-systèmes, eux-même comprenant d'autres sous-systèmes, la norme étant un méta-motif tiré d'une certaine régularité dans un ensemble de sous-motifs, et dont la nature dépend de l'échelle d'observation choisie. Ainsi, la régularité macroscopique en tant que norme de communication se compose en fonction d'un ensemble de situations communicationnelles, elles-mêmes composées d'un sous-ensembles d'interactions, composées d'un ensemble d'individus, communiquant au travers d'ensembles de signes, eux-mêmes composés d'ensembles de mouvements unitaires, etc. Ainsi née la forme macroscopique du

48 Cet exemple est repris et adapté depuis Mandelbrot (1989:20-42) et (1983:6) : Ç s'il s'agit d'une côte, raccourcir la toise fait qu'on tient compte de "caps" et de "baies" de plus en plus infimes, et que la longueur mesurée augmente È et Gleick (1989:142) : Ç l'estimation de la longueur de la côte anglaise par un observateur à bord d'un satellite sera inférieure à celle d'un observateur parcourant ses criques et ses plages, qui, à son tour, trouvera un résultat inférieur à celui d'un escargot escaladant tous les galets. È

système considérée comme norme, motif d'ensemble créé par l'itération de sous-motifs.

De fait, la nature du système communicationnel est fractale. Cette nature fractale crée un mouvement paradoxal au sein du système : alors que l'interlocuteur est créateur de la régularité, il lui est impossible, à son niveau microscopique, d'affecter le mouvement général du système, en d'autres termes, la dynamique générale du système en tant que norme est créée par les interlocuteurs mais il leur est impossible de la contrôler. Comme le dit Von Foester (2006) :

Ç Les individus sont liés les uns aux autres d'une part, ils sont liés à la totalité d'autre part. Les liens entre les individus peuvent être plus ou moins "rigides", le terme technique que j'emploie est "triviaux". Plus ils sont triviaux, moins, par définition, la connaissance des comportements de l'un d'eux apporte d'information à l'observateur qui conna»t déjà les comportements des autres. Je conjecture la relation suivante : plus les relations interindividuelles sont triviales, plus le comportement de la totalité appara»tra aux éléments individuels qui la composent comme doté d'une dynamique propre qui échappe à leur ma»trise. Je conçois que cette conjecture présente un aspect paradoxal, mais il faut bien comprendre qu'elle n'a de sens que parce que l'on prend ici le point de vue, intérieur au système, des éléments sur la totalité. Pour un observateur extérieur au système, il va de soi que la trivialité des relations entre éléments est au contraire propice à une ma»trise conceptuelle, sous forme de modélisation. Lorsque les individus sont trivialement couplés (du fait de comportements mimétiques par exemple) la dynamique du système est prévisible, mais les individus se sentent impuissants à en orienter ou réorienter la course, alors même que le comportement d'ensemble continue de n'être que la composition des réactions individuelles à la prévision de ce même comportement. Le tout semble s'autonomiser par rapport à ses conditions d'émergence et son évolution se figer en destin.È (nous soulignons).

De ce fait, les interlocuteurs se trouvent prisonniers de règles du jeu qu'ils créent et entretiennent, sans pouvoir en retour contrôler la dynamique de ces règles macroscopiques qui Ç opèrent comme un code qui conditionne les comportements des joueurs et façonnent les recommandations de la théorie des jeux. Le code ainsi tiré des règles du jeu est le résultat de leur interprétation par les joueurs. È (Schmidt, 2007:65) Toute dynamique individuelle, ou toute situation de jeu49, ne pourra se faire qu'en fonction et relativement aux règles du jeu, et toute création ne pourra se faire que relativement à une norme, en d'autres termes Ç la langue est en même temps en variation par rapport à des codes établis et génératrice de nouveaux codes È (Fortin, 2007:111), cette génération de nouveaux codes, de nouvelles règles étant insaisissable du point de vue de l'interlocuteur.

49 Nous verrons ces deux formes de jeu dans la deuxième et troisième partie de ce chapitre.

Considérer la communication comme système fractal permet d'expliquer deux points théoriques, l'un linguistique et l'autre propre à la théorie des jeux.

Le premier point sur lequel la conception fractale du système permet de revenir est la conception initiée par Saussure (1916) d'une dissociation possible entre synchronique et diachronique, le premier étant Ç ce qui se rapporte à l'aspect statique, (...) prim(ant) sur l'autre, puisque pour la masse parlante il est la vraie et seule réalité È (Saussure,1995:117&128), le diachronique étant négligeable pour le sujet parlant, car pour lui Ç la succession (des faits de langue) est inexistante, il est devant un état. È (ibid:117) Ainsi la langue semble-t-elle évoluer sans que ses utilisateurs ne puissent en saisir l'évolution. Cependant, cette stabilité apparente est illusoire. Comme nous l'avons vu le système est dynamique et donc en perpétuel mouvement de renouvellement par auto-production. L'apparence de stabilité est due à la nature fractale du système qui engendre l'impossibilité pour l'interlocuteur de contrôler le mouvement global du système. En d'autres termes, le changement durable sur le long terme à l'intérieur du système ne se fait que par une infinité de manifestations microscopiques perçues comme insignifiantes, la forme fractale générale macroscopique ne semblant pas être affectée par les changements microscopiques des sous-motifs. Pour reprendre l'image de la mesure des contours de la France, un changement microscopique comme la modification d'un cap ou d'une baie ne changera pas la dimension d'une mesure macroscopique, ce qui laisse une impression de statisme de la forme générale. Pourtant, si les contours de la France devenaient système dynamique en mouvement constant comme l'est la communication, c'est-à-dire si quelqu'un entreprenait de changer tous les jours les caps et les baies, la forme générale de la France donnerait toujours l'impression d'être statique à un temps T, alors que le changement serait visible entre un temps T et un temps infiniment supérieur à T. Le mouvement est le même pour les règles du jeu en communication. De ce fait, la distinction entre diachronique et synchronique n'est pas pertinente car aucun état statique n'existe, le système est en continuel mouvement et renouvèlement, le statisme apparent n'est que l'illusion de l'impossible contrôle de la dynamique macroscopique du système fractal.

Cette forme fractale du système nous donne également l'explication du postulat en théorie des jeux partant des règles pour expliquer le comportement des joueurs, que nous avons déjà abordé dans la partie précédente. Ainsi, selon cette

conception, ce sont les règles qui expliquent le comportement des joueurs. Les joueurs sont donc impuissants face à la dynamique des règles, puisque créer une nouvelle règle ponctuelle n'affecterait pas la norme macroscopique. Les interlocuteurs se retrouvent ainsi prisonniers de, pour reprendre l'expression de Sapir, Ç ce code, secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous. È (1967:46 cité dans Winkin,2000:64) C'est pourquoi l'interlocuteur communique en répétant des expériences apprises qui lui apparaissent comme règles et qui lui semblent imposées, puisque s'il veut communiquer il ne peut échapper à ces règles, et pourtant, ce sont ces manifestations individuelles de communication, combinées à celles de tous les interlocuteurs partageant la même norme, qui créent et perpétuent ces règles qui lui semblent imposées.

Nous avons vu dans cette première partie ce qu'il convenait d'appeler un équilibre, et en quoi cet équilibre était créateur de régularité d'un point de vue fractal. Cependant, cet équilibre n'est pas atteint continuellement, au contraire, le déséquilibre est présent et le système évolue au niveau macroscopique par paliers d'équilibre en équilibre, passant par des phases de déséquilibre durant lesquelles les interlocuteurs entreprennent un processus d'équilibrage. Ce mouvement entre équilibre et déséquilibre est un processus qui crée deux nouvelles50 formes de jeux : le jeu en tant que production volontaire de déséquilibre dans le but d'engendrer un processus d'équilibrage méta-communicationnel qui sera créatif, et le jeu en tant que déséquilibre involontaire, source d'incompréhension et auquel le processus d'équilibrage viendra remédier51.

50 Nouvelles car non considérées dans la Théorie des Jeux

51 L'anglais possède deux mots distincts pour séparer ces deux types de jeux : game et looseness.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci