§2. Une politique agricole modèle : Le Plan
Directeur de 1990
Le Plan Directeur fut rappelé comme
modèle de politique agricole globale et de cohérence à
l'intérieur de laquelle devaient s'articuler différentes actions.
Ce cadre de référence, qui a fait l'objet d'une concertation
nationale en table ronde, avait obtenu un large consensus. Il avait
déjà débouché sur l'élaboration des plans
d'actions régionaux sur trois ans. Malheureusement, leur
réalisation fut empêchée par les pillages de 1991 et 1993
ainsi que par les soubresauts de la fausse transition et les deux grandes
guerres de 1996 à 2002. Son actualisation fut, heureusement,
annoncée par le Chef de l'Etat en décembre 2003.
Depuis l'accession du pays à l'indépendance,
diverses actions ont été annoncées et menées par
les différents gouvernements qui se sont succédés en vue
de redresser le secteur agricole et d'amorcer ainsi le développement du
monde rural. Mentionnons entre autres: l'objectif 80, le plan Mobutu, le
plan agricole minimum, le plan de relance agricole (1982-1984), le programme
d'autosuffisance alimentaire, le plan agricole continu, le premier plan
quinquennal (1985-1990), etc. Tous ces efforts ont produit çà et
là quelques résultats positifs, notamment à la faveur des
apports de partenaires extérieurs dans ces plans. Néanmoins, les
résultats obtenus au regard des potentiels du pays et des besoins des
populations ont été plutôt médiocres.
Une politique agricole globale et cohérente à
l'intérieur de laquelle devraient s'articuler les différentes
interventions avait toujours fait défaut. C'est ainsi qu'en 1990 un
cadre de référence susceptible de conduire à l'expansion
de l'agriculture et au développement du monde rural fut
élaboré. Ce cadre c'est le Plan Directeur qui définissait
une politique cohérente du développement agricole et rural dans
laquelle se retrouvent intimement impliqués les structures
étatiques, les organisations non gouvernementales, les opérateurs
économiques, les paysans producteurs, les différents groupes
socioprofessionnels, les consommateurs et les bailleurs de fonds tant
intérieurs qu'extérieurs.
A. Un plan élaboré par les
congolais
Il est à remarquer que le Plan Directeur fut
élaboré par les Congolais aidés par des consultants. La
première version du Plan fut entièrement écrite par les
Congolais. Puis, des modifications apportées au texte furent le fruit
d'un dialogue continu entre fonctionnaires, hommes politiques congolais,
bailleurs de fonds et experts en la matière. L'ensemble du Plan avait
fait l'objet d'une concertation en table ronde organisée à
l'Hôtel Intercontinental du 4 au 11 mars 1991, à laquelle tous
ceux qui étaient impliqués dans la conception et
l'exécution des projets et programmes de développement agricole
et rural furent invités à participer. Les responsables
régionaux de l'administration de l'agriculture étaient
également présents. Tous les acteurs du développement
agricole et rural au Congo avaient ainsi contribué à
l'émergence d'un consensus sur le Plan. Ce Plan fut vraiment le cadre
d'organisation des petites et moyennes entreprises agricoles et des services
publics agricoles que l'Etat devait fournir pour favoriser
l'épanouissement du secteur.
Ce plan (Ministère de l'Agriculture, 1991) s'est
caractérisé par trois préoccupations majeures:
- le souci de clarification des rôles respectifs de
l'Etat et du secteur privé (y compris les ONG) dans le
développement agricole et rural du pays;
- la fixation d'un objectif prioritaire pour le secteur, cet
objectif étant la sécurité alimentaire pour l'ensemble de
la population; et
- le choix d'une approche nouvelle de planification:
l'élaboration des plans d'actions régionaux sur trois ans selon
la loi sur la décentralisation.
Conformément au libéralisme économique
concerté, le rôle principal de l'Etat dans le Plan était
essentiellement de créer et de veiller au maintien des conditions
favorables à l'épanouissement du secteur privé. Ce
dernier eut la charge de la production et de la commercialisation aussi bien
des intrants que des produits agricoles. Ce ci impliquait en particulier que
l'Etat devait:
- maintenir un climat social de paix et de stabilité
politique;
- assurer un cadre macro-économique sain et stable;
- mettre en place une législation et une
réglementation économiques légères mais suffisantes
pour garantir les conditions d'une concurrence loyale et d'une distribution
équitable des fruits de la croissance entre les agents
économiques;
- assurer l'accès des plus démunis à une
alimentation suffisante et équilibrée;
- assurer l'ajustement structurel et l'assainissement
économique du secteur de façon continue.
Dans le Plan, il était indiqué que l'Etat devait
s'abstenir de toute intervention susceptible:
- de créer des barrières directes ou indirectes
à la fixation des prix selon les forces du marché; et
- d'imposer aux agriculteurs des décisions quant au
type ou au niveau de production, quant à la façon d'utiliser les
facteurs de production à leur disposition, et quant au lieu, à la
manière et au moment de disposer de leur production.
Pour le secteur agricole, l'Etat était appelé,
dans le Plan, à faciliter à la communauté nationale
l'accès aux biens et aux services publics et cela dans la mesure
où ceux-ci ne sont pas susceptibles d'intéresser les
opérateurs privés en raison d'une rentabilité à
très long terme. Ces biens et services comprenaient notamment:
- les services agricoles de base, tels que la recherche
agronomique, la formation et la vulgarisation agricoles;
- les infrastructures sociales et économiques de base,
telles que les infrastructures de transport, les marchés de collecte,
les marchés de gros et/ou de détail;
- les informations économiques essentielles au
fonctionnement concurrentiel des marchés; la prévention et le cas
échéant, la lutte contre les épizooties, les
épidémies des végétaux et les autres
calamités naturelles.
Le Plan privilégiait les critères
économiques et non plus politiques de la production agricole en mettant
l'accent sur les avantages comparatifs que peut détenir le pays dans ce
domaine. L'idée était de ne plus rechercher l'autosuffisance
alimentaire à n'importe quel prix, mais de privilégier les
productions agricoles pour lesquelles le pays détient un avantage en
termes de compétitivité.
Le Plan fut un document remarquable, le premier du genre au
Congo indépendant. Pratiquement tous les bailleurs de fonds avaient, en
1991, exprimé leur désir d'appuyer le Plan, avec en tête la
Banque Mondiale, l'USAID, le Canada et la France. Malheureusement, les
événements de l'automne 1991 empêchèrent
l'actualisation et la réalisation du Plan, notamment le départ de
la plupart des coopérations bi- et multilatérales. Un
début avait été fait pour l'élaboration des Plans
d'Actions régionaux, le plus avancé étant celui du Bas
Congo. Depuis la fin de 1991, toute cette dynamique de planification se fut
embourbée avec ces tensions de trouble général dans le
pays, l'instabilité dans la fonction publique et les pillages. Ensuite,
le Programme du Gouvernement de Transition (Conférence Nationale, 1992)
et la Commission de l'Agriculture, Elevage, Pêche et Développement
Rural ne faisait même plus référence au Plan. Et les deux
grandes guerres ayant sévi dans le pays de 1996 à 2002
empêchèrent l'actualisation du Plan. Ainsi, le Plan Directeur fut
tombé dans l'oubli et pendant plus de dix ans on n'en parlera plus.
Mais en décembre 2003, le Chef de l'Etat, dans son
discours programme devant le Parlement de Transition, avait annoncé que
le gouvernement avait pris la résolution de lancer les travaux
d'actualisation du Plan Directeur de l'agriculture, de la pêche et de
l'élevage. Dans ce contexte, il est important de:
- traduire le Plan Directeur en Plans d'Action pour chaque
province;
- réformer et décentraliser l'administration de
l'agriculture et du développement rural en conformité avec le
Plan Directeur;
- réaliser l'approche "service" énoncée
dans le Plan Directeur;
- allouer plus de ressources budgétaires au
Ministère de l'Agriculture en accord avec la stabilisation
macro-économique et la réforme du budget de l'Etat;
- planifier la création des marchés de collecte
en milieu rural et des marchés de gros dans les principales villes et un
système d'information des marchés des produits vivriers de
base;
- mettre en place une plus grande décentralisation des
services publics vers les régions;
- exécuter le Plan Directeur et les plans d'action
régionaux selon les disponibilités budgétaires et l'apport
des bailleurs de fonds.
L'actualisation était très importante, car le
Plan était «vieux» de treize ans, les circonstances avaient
beaucoup changées, la décentralisation se profilait à
l'horizon et la bonne gouvernance était devenue incontournable. Et le
Plan constituait toujours le meilleur guide de départ pour la
réalisation d'un plan sectoriel d'étapes pour soutenir la
sécurité alimentaire, le développement agricole et le
décollage économique.
B. Approche sectorielle ou
de projet
Actuellement, l'approche sectorielle est favorisée par
la plupart des bailleurs dont la Banque Mondiale. Mais cette approche suppose
un cadre sectoriel clairement défini et une administration publique
sectorielle forte et performante. Ce n'est nullement le cas aujourd'hui en
RDC; la réforme et le renforcement de l'administration publique de
l'agriculture prendront beaucoup de temps.
Il faut également tenir compte de la
décentralisation envisagée de l'administration au Congo. Cette
décentralisation est le cheval de bataille de certains partis politiques
et est une évidence, vu la dimension du pays et les difficultés
à rapprocher les services de l'Etat auprès de la population,
surtout en milieu rural. De plus, les bailleurs favorisent également la
décentralisation. Lors de la 1ère et de la
2ème République, la centralisation du pouvoir
était un objectif en soi, favorisant la classe politique au pouvoir
vivant à Kinshasa.
Etant donné cette situation, on est obligé de
privilégier l'approche projet pour l'exécution des actions en
milieu rural, malgré le risque de manque de durabilité et de
pérennité. Le préalable à l'approche sectorielle
est donc la réforme de la fonction publique, son renforcement et la
décentralisation.
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