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La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais

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par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP
Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011
  

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§-II- Les causes objectives des lenteurs procédurales

En dehors des causes liées aux hommes, d'autres sont à même de porter un coup à la bonne marche de la justice. Celles-ci sont indépendantes de la psychologie et de la volonté des personnes. Elles sont le plus souvent l'objet des lois qui régissent la justice, et de la structuration même de cette justice.

Il faut reconnaître qu'une loi ne peut tout prévoir. Si elle venait à tout prévoir, certains points seront toujours sujets à controverses. Il s'avère qu'au niveau de l'instruction préparatoire, si on doit admettre l'existence des causes objectives des lenteurs judiciaires, il serait important d'analyser l'indépendance mitigée du juge d'instruction (A) avant les moyens de fonctionnement de la justice (B).

A- L'indépendance mitigée du juge d'instruction

Le principe du double degré de l'instruction est certes une garantie d'indépendance du juge d'instruction. Si l'indépendance peut se concevoir à l'égard des autres pouvoirs201(*), elle l'est aussi à l'égard des collègues et même des parties.

Cependant, l'indépendance du juge n'est jamais définie dans ses manifestations concrètes. Aussi, n'est-il pas nécessaire de préciser qu'elle ne s'appréciera pas uniquement dans le cadre des relations entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs. Elle doit également être mesurée par rapport aux influences ou pressions que ce dernier peut subir, provenant éventuellement de la société. Par ailleurs, la corruption très répandue en Afrique n'épargne pas la justice et, quoi que l'on puisse dire des causes de ce phénomène (qui n'est certainement pas propre au continent), la population reste généralement persuadée que le juge ne résiste pas à la tentation de recevoir des pots de vin. De cette indépendance du juge d'instruction qui semblait être exigée comme un principe dans la loi de 2005, il reste qu'autant sur le plan interne qu'externe une telle conception souffre de plusieurs maux. Il sera donc important d'analyser ici les atteintes à l'indépendance du juge d'instruction sur le plan interne (i), avant de voir ce qu'il en est sur le plan externe (ii).

i- Les atteintes à l'indépendance du juge d'instruction sur le plan interne

Plusieurs moyens permettent d'ébranler le principe de l'indépendance du juge d'instruction. Nous pouvons entre autres citer la subordination des juges d'instruction au président du tribunal compétent s'agissant de leur désignation, l'immixtion du Procureur de la République dans la phase d'instruction. Tous ces moyens se résument dans ce qu'on doit ici traduire en contrôle de l'activité du juge d'instruction. Un contrôle protéiforme qui se déguise en contrôle d'objectivité et de concomitance202(*). Aussi, n'est-il pas vrai que ces contrôles auxquels sont soumis le juge d'instruction dans son activité peuvent sans aucun doute retarder la célérité de la procédure, même si parfois ils vont dans l'intérêt des justiciables.

S'agissant du contrôle de l'objectivité des juges d'instruction, plusieurs juridictions y sont compétentes203(*).

D'abord, le tribunal auquel appartient le juge d'instruction soumet ce dernier au pouvoir du président de la juridiction. Il peut ordonner le dessaisissement du juge qui au demeurant ne peut être saisi que par lui. Nous remarquons ici un principe hiérarchique qui subordonne le juge d'instruction au président du tribunal204(*), la Cour d'Appel n'étant pas en reste. Premièrement, le président de la Cour d'Appel dans le cadre du contrôle de l'objectivité du juge d'instruction peut statuer sur une demande de récusation autre que le président ou un magistrat du tribunal du ressort205(*).

Ensuite, la Chambre de Contrôle de l'Instruction peut dessaisir un juge d'instruction lorsqu'elle est saisie. Il s'agit d'un dessaisissement pour cause de suspicion206(*).

Quant au contrôle concomitant des actes d'instruction, il est important de constater que les pouvoirs dont disposent la partie civile, l'inculpé et le Procureur de la République peuvent constituer un véritable obstacle à la rapidité de la procédure. Les parties peuvent à tout moment interrompre la procédure pour une quelconque raison. Le retour du juge d'instruction semblait avoir consacré la mort du ``JANUS''. Mais, on constate que la présence de ce magistrat ne semble pas être un moyen qui permette la rapidité de l'instruction. Dans ce sens le professeur Meloné remarquait que ce :

«Contrôle est concomitant à l'exécution de l'acte, encore qu'il ne semble pas de prime à bord conciliable avec l'indépendance de l'activité du magistrat instructeur»207(*).

Nous savons en effet que le Procureur de la République peut requérir le dossier d'instruction à condition de le retourner dans un délai de deux jours. Il faut remarquer que cette navette du dossier dans la pratique peut constituer une cause de prolongement de la procédure. L'observation du délai de quarante huit heures prescrit n'étant pas garantie par une quelconque sanction208(*). Le constat ici est que le Procureur de la République pourra prolonger impunément la procédure dans le temps obligeant le juge d'instruction, sur ce, impuissant, à l'inactivité et paralyser de ce fait le cours de la justice209(*). Déjà et de façon courante, le Procureur de la République veut souvent imposer au juge d'instruction une conduite qui lui convient en tant que partie poursuivante. Et à bon droit, il semble juste de penser que le juge d'instruction est sujet à un impérialisme nostalgique de la part de ce dernier. Une situation qui est aussi l'oeuvre du législateur qui n'a pas totalement enterré le « Janus » pour que fasse librement surface le phoenix, car le personnage du Procureur de la République hante sérieusement la procédure d'information judiciaire210(*).

Ces tractations qui existent entre le juge d'instruction et le Procureur présentent à la fois des avantages et des inconvénients, dans la mesure où la communication des dossiers et la participation du Procureur aux actes d'instruction « permettent au Procureur de suggérer au juge d'instruction ses idées lesquelles, ne le liant sans doute pas peuvent contribuer grandement à la découverte de la vérité »211(*).

Les parties elles aussi acharnées à la défense de leurs intérêts et de leur honneur doivent assumer profondément le rôle qui leur est accordé par la loi. Ainsi elles sont prêtes au moindre doute sur l'accomplissement d'un acte ou d'une procédure à demander le dessaisissement du juge d'instruction, à saisir la Chambre de Contrôle de l'Instruction de la moindre ordonnance qui au cours de l'instruction ne va pas vers les résultats escomptés par elles. De manière plus simple, elles peuvent lorsqu'elles estiment qu'un acte du juge d'instruction fait grief à leurs intérêts ou à la bonne administration de la justice demander son annulation. Ce qui permettra une autre navette du dossier entre le juge et la Chambre de Contrôle de l'Instruction. Le refus du juge d'instruction ouvre la voie à l'appel212(*).

Toutes ces manoeuvres qui portent un coup sérieux à l'indépendance du juge d'instruction constituent des moyens de prolongement de la procédure. Si ces atteintes internes sont du fait de la loi pénale elle-même, les atteintes externes à l'indépendance du juge proviennent des textes qui régissent le statut de ce dernier et surtout de la société dans laquelle il vit.

ii- Les menaces externes à l'indépendance du juge d'instruction

L'indépendance du juge constitue une condition de l'impartialité du tribunal, ce qui suppose que le juge pour être impartial doit être libre de toute influence extérieure. Cependant, on sait que ces pressions sont nombreuses. Il est admis que le juge n'est pas un être abstrait. Comme tout citoyen, il vit au sein d'une société dont il partage les espoirs et les craintes, les enthousiasmes et les pulsions. La justice n'est pas une « bulle aseptisée » imperméable aux mouvements d'opinion213(*). Ceux-ci peuvent avoir des effets considérables sur l'indépendance des juges.

Il est tout de même admis que cette indépendance doit être à la fois organique et fonctionnelle. L'indépendance organique soustrait le judiciaire dans son ensemble de toute pression extérieur. C'est de cette indépendance qu'il est question ici. Les menaces externes à l'indépendance du juge d'instruction sont aussi palpables qu'elles en étaient sur le plan interne et ce pour plusieurs raisons.

Au niveau de leur statut tel qu'il ressort des textes, les magistrats n'échappent pas à l'emprise, directe ou indirecte des autorités politiques. Partout le magistrat est sous le contrôle d'un Conseil Supérieur de la Magistrature présidé par le chef de l'État et dont la fonction primordiale est de garantir le respect des règles de fonctionnement du service public de la justice et la protection des magistrats contre les éventuelles pressions du pouvoir politique. C'est dans ce cadre que l'indépendance des magistrats et leur inamovibilité constituent des principes qui leur ont été reconnus comme une garantie pour une bonne administration de la justice. Pourtant, la doctrine est unanime pour constater l'existence des dysfonctionnements au sein de cet important organe214(*).

Certes les articles 37 de la constitution camerounaise et 5 du statut de la magistrature disposent que dans l'exercice de ses fonctions le juge n'a pour guides que les lois et sa conscience. Cependant, il ne faudrait pas tout de même perdre de vue quant à la dimension ambiguë de ces textes comme garant de l'indépendance du juge. L'inamovibilité qui se devait d'être un principe constitutionnel ne figure pas dans la loi fondamentale. Cette situation est de nature à faire peur aux juges qui ne pourront plus rendre de bonnes décisions de peur d'être affectés à Guidiguis215(*). L'idéal sera donc pour ces derniers de faire trainer la procédure en attendant parfois quelques impulsions et orientations politiques de l'affaire.

Au plan personnel, l'environnement médiatique peut porter un coup à l'indépendance du juge. En plus de ceci, on ne peut manquer de porter une attention sur ceux des juges qui soumettent leur indépendance à certains individus du fait de leur position sociale, de leur poids financier, de leur amitié etc. Tout ceci, associés aux moyens de fonctionnement de la justice, c'est sans réserve aucune qu'on les admet comme causes objectives de lenteurs procédurales.

* 201 Ici on parle de l'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard des pouvoirs exécutif et législatif.

* 202 Sur la question, lire Abanda Essomba, op.cit., P.39.

* 203 Elles s'étalent des juridictions de fond à la juridiction suprême.

* 204 Mahouvé (M) Kembo Takam Gasting ; «Le nouveau juge d'instruction camerounais : un juge à la recherche de son autonomie » RSC, Avril-Juin 2008, P.325.

* 205 Article 594 alinéa 1a CPP.

* 206 Buisson (J) et Guinchard (S), op.cit, P. 672. Aussi le principe du double degré de juridiction permet à la chambre de contrôler de l'instruction, de s'assurer du bon fonctionnement du cabinet d'instruction.

* 207 Meloné (S), op.cit, P. 285.

* 208 Mahouvé (M) et kembo Takam (G.H), op.cit, P.334.

* 209 Face à une telle situation, certains auteurs proposaient qu'il soit remis au juge d'instruction le duplicata du dossier de manière à ce qu'il soit passé outre en cas d'inobservation des délais de rétablissement du dossier au greffe de l'instruction. Cf. Mahouvé et Takam, ibid.

* 210 Abanda Essomba, op.cit. P.49.

* 211 Ngono (S) « Le procès pénal camerounais au regard des exigences de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples », Th. Paris XIII, Avril 2000.

* 212 Article 254 Cpp.

* 213 Perrot (R), cité par le premier président de la Cour Suprême lors de la rentrée de l'institution.

* 214 Cette inamovibilité concerne les magistrats du siège et signifie qu'ils ne peuvent faire l'objet d'aucune affectation, même par voie d'avancement sans leur consentement, sauf lorsque les besoins du service l'exigent. Mais la réalité en dit le contraire au Cameroun. Les juges sont très régulièrement balancés du siège au parquet, ils sont même souvent victimes d'affectation disciplinaire. Tout ceci démontre la main mise du politique sur le judiciaire.

* 215 Me Assira Engoute (C.B), in Les Cahiers de mutations, vol 064, juillet 2010.

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