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Laà¯cité et droit du travail : la question du fait religieux en entreprise.

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par Kaouther Bouferroum
Faculté de Droit de Toulon - Master 1 Droit "Entreprise et patrimoine" 2015
  

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Chapitre I. Principe de la liberté de l'employeur

Traditionnellement, la vision libérale affirme le caractère prépondérant de la liberté individuelle dans les domaines économique et politique81. En d'autres termes, il s'agit de la liberté de commerce et d'industrie issue du décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791, aux termes duquel « il [est] libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon, mais elle [est] tenue de se pourvoir auparavant d'une patente, d'en acquitter le prix d'après les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 16 janvier 198282, en fait alors un principe à valeur constitutionnelle. Dans le même temps il consacre la liberté d'entreprendre, entendue au sens de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 comme « la liberté [qui] consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui [..] ».

Ainsi, il apparaît en vertu de ces principes généraux que le chef d'entreprise, au sens large, dispose d'une liberté étendue et notamment celle d'organiser son activité comme bon lui semble. Pour autant, il ne doit pas non plus se heurter à des dispositions d'ordre public.

Or en dehors de ce qui a été mentionné dans le titre premier de ce mémoire, il n'existe à ce jour aucun texte encadrant la laïcité dans les entreprises privées. Partant de ce postulat, nous verrons dans quelle mesure il est possible d'envisager une extension du principe de laïcité aux entreprises privées par analogie aux services publics (§1). A contrario, certains employeurs, même s'ils sont conscients que la question religieuse peut fâcher, encouragent le dialogue afin de mieux prendre en compte les requêtes religieuses de leurs salariés (§2).

81 CAPUL Jean-Yves, GARNIER Olivier, Dictionnaire d'économie et de sciences sociales, Paris, Hatier, juin 2005, 576 pp.

82 Cons. Const. 16 janvier 1982, n°81-132 DC, JO du 17 janvier 1982

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§1 Extension du principe de laïcité par analogie aux services publics

L'employeur dispose effectivement d'instruments juridiques, qui peuvent lui permettre dans une certaine mesure d' « étendre » le principe de laïcité à son organisation : le contrat de travail (A.) et le règlement intérieur (B.).

A. Par le biais du contrat de travail

Par définition, le contrat de travail est une « convention par laquelle une personne, le salarié, s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre personne, l'employeur, moyennant une rémunération, le salaire »83. Le contrat de travail peut prévoir un certain nombre de clauses, cependant les convictions religieuses du salarié n'entrent pas dans le cadre de celui-ci. De ce fait, l'employeur qui demande au salarié d'exécuter une tâche pour laquelle il a été embauché ne commet aucune faute, dès lors que cette tâche ne contrevient pas à des dispositions d'ordre public. La Cour de cassation avait statué dans ce sens, dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 24 mars 199884. Dans ce cas d'espèce, un boucher a cessé de travailler après avoir été avisé qu'il était en contact avec de la viande de porc, incompatible avec sa confession musulmane. Il avait alors demandé à être muté dans un autre service par son employeur, ce qui lui a été refusé par ce dernier. La Cour de cassation a ainsi admis la cause réelle et sérieuse du licenciement de ce salarié.

De la même façon, un salarié de confession musulmane en état de jeûne qui refuse d'assister à des réunions d'équipe comprenant un déjeuner - même en ayant la possibilité de ne pas manger - ou encore un salarié de confession juive qui se borne à ne pas répondre au téléphone un vendredi après-midi, en raison de ses convictions religieuses, peuvent tous deux encourir une sanction disciplinaire85.

83 GRANDGUILLOT Dominique, Social 2016 : les points clé du droit du travail et de la protection sociale, Issy-les-Moulineaux, Gualino, Lextenso éditions, janvier 2016, 50 pp.

84 Cass. Soc. 24 mars 1998, n°95-44.738

85 Diaporama Powerpoint « le fait religieux en entreprise : mieux comprendre pour mieux agir » de BENAISSA Hicham, mai 2015

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Par ailleurs, concernant la question du jeûne, force est de constater qu'il s'agit là d'une problématique assez récurrente en entreprise. D'autant plus que cette pratique est commune aux trois religions monothéistes86 ; elle est néanmoins plus « contraignante » pour les musulmans, qui doivent s'abstenir de boire et de manger pendant tout le mois de Ramadan. Or ces dernières années, le jeûne de ce mois coïncide avec les journées les plus longues et les plus chaudes. Et, si le salarié devait être victime - du fait de son état de santé plus fragile - d'un accident de travail, on pourra penser que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat87. De ce fait, il serait légitime de s'interroger sur la validité d'une clause obligeant les salariés à s'alimenter et à s'hydrater insérée dans leur contrat de travail. En 2012, la mairie de Gennevilliers avait provoqué un tollé après avoir licencié quatre moniteurs d'une colonie de vacances suite à leur refus de respecter une telle clause88 ; « pour permettre un bon déroulement des journées et des activités, [l'animateur] veille à ce que lui-même ainsi que les enfants participant à la vie en centre de vacances se restaurent et s'hydratent convenablement en particulier durant les repas. La mise en oeuvre d'un centre de vacances nécessite des équipes éducatives une implication permanente sur les terrains durant les séjours. Elle implique que chaque animateur, soit, pour toute la durée du séjour, en pleine possession de ses moyens physiques, adhère aux valeurs éducatives de la ville de Gennevilliers, respecte et mette en oeuvre le principe de laïcité ». La clause litigieuse avait été insérée dans les nouveaux contrats de travail suite au malaise d'une animatrice à jeun survenu trois ans auparavant, alors qu'elle était au volant d'un minibus qui transportait cinq adolescents dont un fut grièvement blessé. Cette clause fut néanmoins retirée par la mairie de Gennevilliers, qui a finalement réintégré les moniteurs à leur poste face à l'indignation soulevée par leur licenciement89.

Cependant, il aurait été intéressant que la question soit traitée juridiquement afin de donner un cadre légal aux employeurs. Fort heureusement pour ces derniers, la Cour

86 http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20150619.OBS1167/ramadan-yom-kippour-careme-d-ou-vient-la-tradition-du-jeune-dans-les-religions.html (consulté le 18 avril 2016)

87 Art. L.4121-1 du Code du travail : « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »

88 http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/07/30/97001-20120730FILWWW00513-suspendus-pour-avoir-jeune.php (consulté le 19 avril 2016)

89 http://www.liberation.fr/societe/2012/07/31/quatre-moniteurs-de-colonie-de-vacances-suspendus-a-
gennevilliers-en-raison-du-ramadan_836690 (consulté le 19 avril 2016)

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de cassation a récemment infléchi sa position sur l'obligation de sécurité de résultat qui leur incombait jusque là. Elle a en effet considéré dans un attendu de principe, dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 25 novembre 201590, que « ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail ». Désormais, l'obligation de moyens renforcée prévaut sur celle de sécurité de résultat même si elle n'a pas encore été transposée dans tous les domaines, notamment en matière de harcèlement. Ainsi, à défaut d'avoir pu légiférer sur la question de la compatibilité du jeûne avec une activité professionnelle - et notamment sur la validité d'une clause insérée dans un contrat de travail contraignant les salariés à s'alimenter et à s'hydrater correctement - la seule obligation pour l'employeur est de mettre « à la disposition des travailleurs de l'eau potable et fraîche pour la boisson », telle qu'elle résulte des termes de l'article R.4225-2 du Code du travail.

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