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Le trafic international de faux documents d'identité


par Jean-Michel HAZIZA
Université de Pau et des Pays de l'Adour - M2 Police et sécurité intérieure  2019
  

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Conclusion du Chapitre II

238. Démarche prospective. La démarche d'une analyse prospective d'une qualification juridique de l'infraction d'usage de faux documents d'identité intégrée à une organisation criminelle internationale de trafiquants doit regrouper des conditions préalables, un élément matériel et un élément moral.

239. Réunion de deux conditions préalables. Les conditions préalables réunissent en ce sens l'existence préalable d'un faux commis dans un document d'identité ainsi que la présence préalable d'une organisation criminelle internationale de trafiquants.

240. Sanction de l'acte d'usage et le moment déterminant de la vente secrète. Lorsque les conditions préalables sont remplies, il est alors possible de vérifier l'élément matériel. Le comportement des trafiquants sera sanctionné lorsqu'il y a un acte d'usage. C'est le moment de la vente qui est déterminant dans la réponse pénale. En effet, une distinction s'opère entre l'acte d'usage du support d'identité falsifié réalisé par le trafiquant-vendeur avant la réalisation de la vente secrète, et l'acte d'usage du support d'identité falsifié après la réalisation de la vente secrète réalisée par le trafiquant-acheteur.

241. Répression étendue à une simple détention. La logique répressive du législateur français sur le « trafic de documents »308 se fonde sur l'article 441-3 du CP en sanctionnant la « détention frauduleuse du document administratif »309, ce qui remet en cause la condition habituellement nécessaire d'un acte d'usage positif pour que l'élément matériel puisse être rempli. Ainsi, au sein d'une organisation criminelle de trafiquants, la détention du/des support(s) falsifiés ne nécessite pas l'existence d'un acte positif d'usage venant du trafiquant-vendeur, en sachant que la détention du support d'identité falsifié par le trafiquant-acheteur après la vente secrète s'assimile au recel-détention.

308 Ibid., n° 74.

309 Ibid.

242.

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Une pluralité de finalités d'actes positifs d'utilisation. Les trafiquants peuvent aussi être en mesure d'utiliser, par un acte positif de commission, le faux document d'identité. Il existe des actes positifs d'utilisation du faux document d'identité communs aux deux catégories de trafiquants s'opérant sur l'obtention d'un résultat déterminé : l'utilisation du faux document d'identité en vue de constater un droit ; en vue de constater une identité ; en vue de constater une qualité ou une autorisation. En revanche il existe un résultat particulier échappant à ces finalités exclusivement applicables au trafiquant-acheteur : la recherche d'un travail dissimulé.

243. Distinction de l'élément moral à partir du statut des trafiquants. Lorsque les conditions de l'élément matériel sont réunies, il convient de vérifier les conditions de l'élément moral. L'élément moral de l'infraction d'usage de faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants se distingue en fonction du statut des trafiquants. D'abord, le dol général se déduit lorsqu'il est appliqué au trafiquant-vendeur alors que pour le trafiquant-acheteur il sera nécessaire de rapporter la preuve de son existence. Ensuite, le dol spécial sera entièrement applicable au trafiquant-vendeur. Toutefois, la volonté du trafiquant-acheteur de détenir un ou plusieurs documents, qu'il n'a pas lui-même falsifiés sans en faire un autre usage, empiète sur l'élément moral du recel-détention, puisqu'il a eu connaissance de l'origine frauduleuse du support trouvant sa source dans les mains d'une tierce personne.

244. Débat de transition. En suivant la logique du législateur de ne réprimer que la simple détention d'un faux document d'identité, prévue à l'article 441-3 du CP, cela permet d'ouvrir le débat sur l'existence d'une réelle distinction entre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité. En effet, l'acte de détention est nécessairement réalisé par le trafiquant-vendeur avant la réalisation d'une vente secrète, en sachant que par l'effet de cette vente, le document falsifié est transmis systématiquement au trafiquant-acheteur. C'est en cela qu'il est indispensable de qualifier les relations entre les infractions de faux et d'usage de faux, puisque leurs interdépendances se créent naturellement au sein d'une organisation criminelle de trafiquants.

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Chapitre III : Analyse prospective des relations entre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité intégrée à une organisation criminelle internationale de trafiquants

245. Intérêt prospectif des relations entre les infractions de faux. Certes, le faux et l'usage de faux constituent des infractions autonomes310, exclusives l'une de l'autre. Par essence, il est donc impossible de confondre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité. Mais une passerelle juridique permet de nouer les deux incriminations : la détention frauduleuse du faux document d'identité prévue par l'article 441-3 du CP. Il en ressort deux hypothèses différentes selon que le détenteur du faux document d'identité est le faussaire ou non. En réalité, le détenteur du faux document d'identité non faussaire n'est « justiciable que du seul délit inscrit à l'article 441-3 assorti de peines moindres égales à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 euros d'amendes, étant précisé que la détention frauduleuse de plusieurs documents administratifs a pour effet de porter la peine à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende »311, en application de l'adage speciala generalibus derogant au détriment de la qualification du recel-détention puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amendes. En revanche, lorsque le détenteur du faux document d'identité est le faussaire lui-même, le délit de l'article 441-3 présente l'intérêt de permettre « de sanctionner la personne qui détient un document qu'elle a elle-même falsifié, alors qu'aucun recel ne peut lui être reproché dans une telle hypothèse, lorsque le délit de faux se trouvera prescrit »312au regard de la Circulaire du 14 mai 1993. Ainsi, les liens entre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité se renforcent grâce à l'incrimination intermédiaire de détention frauduleuse du faux document d'identité entre les trafiquants.

310 Ibid., n° 52.

311 Ibid., n° 76.

312 Ibid.

246.

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Plan. Or, le passage de la détention du faux document d'identité s'amorce au moment de la réalisation de la vente par accord verbal entre le trafiquant-vendeur et le trafiquant-acheteur, ce qui permet de mettre en prospective des relations matérielles (Section I) et personnelles des infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité intégrées à une organisation criminelle internationale de trafiquants (Section II).

Section I : Analyse prospective des relations matérielles de l'infraction de faux et d'usage de faux documents d'identité intégrée à une organisation criminelle internationale de trafiquants

247. D'une pluralité à une unicité dans un intérêt de politique criminelle. Différentes infractions peuvent démontrer une « pluralité faite de liens »313, « mais cela demeure assez indifférent du point de vue du droit au sens strict »314. Or, par souci d'un intérêt de politique criminelle eu égard à la répression d'un comportement global des infracteurs, il convient de rapprocher de manière prospective les relations matérielles entre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité correspondant à « un phénomène pluriel »315 tendant vers une « unité »316, puisqu'il existe des éléments de rapprochements intimes avérés entre les deux infractions : « même objet, même temps, même entreprise criminelle »317 au sein de l'organisation internationale de trafiquants. Cette pluralité tendant vers l'unité est renforcée par l'infraction autonome de détention frauduleuse du faux document d'identité qui marque aussi un lien intime entre l'infraction de faux et d'usage de faux document d'identité. L'unité de liens entre les différentes infractions s'opère par deux mécanismes quasiment similaires, mais qui connaissent des différences au niveau procédural : la connexité et l'indivisibilité. Or, « les liens de connexité et d'indivisibilité que peuvent entretenir certaines infractions peuvent entraîner une prorogation de la compétence territoriale de la juridiction qui sera saisie du tout »318, ce qui permettrait un aménagement de la compétence territoriale des juridictions françaises face au trafic de faux documents d'identité.

313 BEAUSSONIE (G.), « Infraction », Rép. pén., mai 2018, n° 188.

314 Ibid.

315 Ibid.

316 Ibid.

317 Ibid.

318 AGOSTINI (F.), « Compétence », Rép. pén., février 2005, n° 94.

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248. Plan. D'abord, des liens de connexité permettent de relier les différentes infractions de faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle de trafiquants (I). Ensuite, les conditions de l'indivisibilité créent une unité de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants (II). Il en découlera une extension par indivisibilité de l'application de la loi française à l'encontre de l'ensemble des infractions de faux documents d'identités réputées commises en France (III).

I. Les conditions de la connexité reliant l'ensemble des infractions de faux documents

d'identité intégré à une organisation criminelle internationale de trafiquants

249. Ensemble par connexité. L'ensemble des infractions de faux documents d'identité - faux, détention et usage - commises au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants peut s'agglomérer par la technique de la connexité, de manière alternative, soit par unité de temps (A), soit par concert préalable (B), soit par relation de cause à effet (C), soit par appropriation frauduleuse (D).

A) La connexité de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité reliée par une unité de temps au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants

250. Connexité par unité de temps avant, pendant, après la vente secrète. Selon l'article 203 1° du CPP, les infractions sont connexes « par unité de temps lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes »319. En l'occurrence, l'unité de temps au sein de l'organisation criminelle internationale de trafiquants se déroule lors de la vente secrète du faux document d'identité. Or, avant la réalisation de cette vente clandestine, le trafiquant-vendeur a nécessairement commis deux infractions en un trait de temps : l'infraction de faux et l'infraction de détention frauduleuse des supports falsifiés avec la probabilité d'un acte d'usage positif, en traversant des frontières terrestres par exemple. Lors de la réalisation de la vente secrète du faux document d'identité, le document d'identité falsifié se transmet in manu320 au trafiquant-acheteur. Après la réalisation de la vente commerciale illicite par accord verbal, le trafiquant-acheteur sera l'utilisateur du faux document d'identité, soit par simple détention, soit

319 Ibid. n° 74.

320 Par la main, de mains en mains.

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par un acte positif d'utilisation, ce qui permet de créer une continuité temporelle. Ainsi, le critère de l'unité de temps se caractérise avant, pendant, et après de la vente secrète du faux document d'identité, qui se réalise de manière continue pendant un laps de temps très proche, faisant intervenir différentes personnes. Par conséquent, les conditions de l'article 203 1° du CPP pourront s'appliquer à l'ensemble des infractions de faux documents intégré à une organisation internationale de trafiquants.

B) La connexité de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité reliée par un concert préalable entre les trafiquants

251. Connexité par concert préalable formé par avance : un accord de volonté verbal sur l'objet illégal. Selon l'article 203 2° du CPP, les infractions sont connexes « par concert préalable, lorsqu'elles sont commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé par avance entre elles »321. En l'occurrence, « [l'] accord de volonté »322 verbal entre les trafiquants s'est déroulé dans un concert préalable sur l'objet de la vente frappé d'une illégalité - le support d'identité falsifié - et sur le prix. Ils ont donc agi de concert dans la réalisation de la vente secrète du faux document d'identité.

252. Différences avec la connexité par unité de temps. A la différence de la condition de l'unité de temps évoquée au 1° de l'article 203 du CPP, le 2° du même article impose un concert formé par avance entre les trafiquants « en différents temps et en divers lieux », ce qui implique une disparité de temps. Cette condition exclut ainsi la réalisation de la vente instantanée du faux document d'identité sur un terrain physique in manu, car elle s'intéresse plus particulièrement à la vente secrète réalisée sur le terrain dématérialisé. En ce sens, le cyber-faussaire va réaliser l'infraction de faux documents d'identité dans un espace géographique qui peut être pleinement différent de celui du trafiquant-acheteur qui va recevoir le support falsifié, puisque la vente se réalise sur internet. La réalisation de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité (fabrication, détention, et usage), se passe dans un espace-temps différent puisque l'envoi postal du document d'identité s'échelonne sur plusieurs jours, en moyenne huit jours entre l'expédition par le trafiquant-vendeur et la réception du faux

321 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc., n° 94.

322 ARHEL (P.), « Entente », Rép. com., janvier 2015, n° 5.

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par le trafiquant-acheteur. Par conséquent, les conditions de l'article 203 2° du CPP mettent aussi en relation l'ensemble des infractions de faux documents d'identité.

C) La connexité de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité reliée par une relation de cause à effet

253. Connexité par un lien de cause à effet réalisé par les trafiquants. Selon l'article 203 3° du CPP, les infractions sont connexes « par relation de cause à effet, lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité »323. En l'occurrence, la relation de cause à effet des infractions de faux, de détention, et d'usage de faux documents d'identité est avérée parce que le trafiquant-vendeur, contrefacteur, a donné les moyens au trafiquant-acheteur de commettre les infractions de détention et d'usage de faux documents d'identité pour que ce dernier puisse circuler en toute impunité sur le territoire d'un Etat par exemple. Par conséquent, les conditions du 3° de l'article 203 CPP relient matériellement l'ensemble des infractions de faux documents d'identité.

D) La connexité de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité reliée par appropriation frauduleuse

254. Conditions de la connexité par appropriation frauduleuse : plusieurs infractions frauduleuses reliées entre elles. Selon l'article 203 4° du CPP, les infractions sont connexes « par appropriation frauduleuse, lorsque les choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été en tout ou en partie recelées »324. « Le dernier cas de connexité résulte de la loi du 22 mai 1915 (DP 1918.4.159) »325. En l'occurrence, les trafiquants-vendeurs peuvent disposer « de souche authentique vierge volée - à l'occasion du cambriolage d'une ambassade, du braquage d'un convoi de documents ou via un officiel corrompu - le faussaire n'a plus qu'à introduire les données personnelles de son client (photographie, données personnelles,

323 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc., n° 74.

324 Ibid.

325 Ibid.

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etc.) »326. En ce sens, les supports d'identité vierges sont « enlevés, détournés » par la réalisation d'un délit de vol, et ils sont « obtenus » à l'aide d'un tiers administratif ayant commis le délit de corruption. A la suite de l'enlèvement, du détournement ou de l'obtention frauduleuse du support d'identité falsifié, la chose pourra être recelée par les trafiquants soit par détention, soit par dissimulation, soit par transmission. Par conséquent, les conditions du 4° de l'article 203 du CPP prouvent qu'il existe un lien de connexité entre l'ensemble des infractions de faux documents d'identité.

255. Transition. En plus de l'existence avérée de liens de connexité entre l'ensemble des infractions de faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants, l'analyse prospective s'étend aussi sur les conditions d'une indivisibilité fondées sur l'acte de détention et sur la vente secrète du faux document d'identité, but commun entre les trafiquants.

II. Les conditions de l'indivisibilité créant une unité de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants

256. Ensemble par indivisibilité. D'abord, il existe un rapport mutuel de dépendance matérialisé par un acte de détention du faux document d'identité créant une unité de faits délictueux (A). Ensuite, un deuxième rapport mutuel de dépendance apparait lors de la vente secrète du faux document d'identité par une unité d'auteur (B).

A) Un rapport mutuel de dépendance matérialisé par un acte de détention du faux document d'identité créant une unité de faits délictueux

257. Construction prétorienne. « La notion d'indivisibilité n'est pas définie par la loi »327, c'est la jurisprudence qui est venue construire cette notion. Par exemple, elle peut résulter « d'une relation particulièrement étroite entre les infractions découlant d'une unité de faits délictueux »328. En revanche, « il n'y a pas indivisibilité ni connexité pour des faits qui ne procèdent pas d'une unité de conception, ne sont pas déterminés

326 BAECHLER (S.), BOIVIN (R.), MARGOT (P.) « Analyse systématique des faux documents d'identité à des fins de renseignement criminel: vers la construction de connaissances sur la criminalité par l'étude de trace matérielle », RICPTS, Vol. LXVIII, n°3, juillet-septembre 2015, 4.2, p. 325.

327 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc., n° 73.

328 Ibid.

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par la même cause ou ne tendent pas au même but ou encore ne forment pas entre eux un tout indivisible »329.

258. Unité de la falsification, de la détention, et de l'usage du faux document d'identité dans une structure criminelle de trafiquants. En l'occurrence, la démarche prospective consiste à démontrer une unité de l'ensemble des incriminations de faux documents d'identité : la falsification, la détention, et l'usage. En ce sens, l'indivisibilité sera caractérisée « lorsque les éléments de la prévention sont dans un rapport mutuel de dépendance et rattachés entre eux par un lien tellement intime que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres »330, solution jurisprudentielle de principe en la matière reprise plusieurs fois par les juges de cassation. Or, ce principe jurisprudentiel prend tout son sens lorsque l'ensemble des infractions de faux documents d'identité est réalisé au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants.

259. Lien intime permettant de faire exister ensemble les infractions de faux. Effectivement, les chefs de prévention sont les suivants : l'infraction de faux documents d'identité réalisée par le trafiquant-vendeur, l'infraction de détention frauduleuse d'un faux document d'identité qui est consommé par les trafiquant-acheteur et trafiquant-vendeur, et l'infraction d'usage de faux documents d'identité qui peut être réalisé aussi par les trafiquants. Or, le rapport mutuel de dépendance entre les trois infractions se fonde sur un lien intime qui permet de les faire exister ensemble.

260. Acte de détention du faux document d'identité à l'origine du lien intime. Le rapport de dépendance provoquant un lien intime entre chacune d'elles est matérialisé par l'acte de détention du faux document d'identité puisque ce dernier existe nécessairement avant la vente dans les mains du trafiquant-vendeur, puis après la vente dans les mains du trafiquant-acheteur. Cet acte de détention entre les trafiquants permet de joindre matériellement les infractions de faux, de détention, et d'usage de faux documents d'identité, en sachant qu'en l'absence de cet acte de détention l'ensemble des infractions de faux ne pourrait se comprendre sans l'existence des autres.

329 REDON (M.), « Solidarité pénale », Rép. pén., juillet 2016, n° 9 : V. en ce sens Cass. Crim., 15 septembre 2015, N° 14-83.740.

330 Cass. Crim., 24 juillet 1875, bull. n° 239 ; Cass. Crim., 28 mars 1914, bull. n° 173 ; Cass. Crim., 18 juin 1947, bull. n° 159 ; Cass. Crim., 24 mai 1951, bull. n° 141.

261.

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Transition. Un autre lien intime matériel apparaît : la présence d'une « unité d'auteur »331, étant une des conditions permettant de caractériser l'indivisibilité, qui sera possible grâce à la vente secrète du faux document d'identité.

B) Un rapport mutuel de dépendance matérialisé par la vente secrète du faux document d'identité créant une unité d'auteur

262. Conditions de l'indivisibilité. Il y a indivisibilité à partir du moment où elle « résulte d'une relation particulièrement étroite entre les différentes infractions, découlant d'une unité d'auteur »332. En effet, l'indivisibilité est matérialisée « lorsqu'il y a plusieurs coauteurs et complices de mêmes faits »333 au regard de l'article 383 du CPP.

263. Unité d'auteur lors de la vente secrète d'un faux document d'identité. En l'occurrence, au sein de l'organisation criminelle internationale de trafiquants, il existe un commerce illicite clandestin qui réunit plusieurs coauteurs et complices. Pour réprimer le comportement global réalisant l'infraction de faux documents d'identité, il faut nécessairement la réunion d'un procédé de falsification ainsi qu'une vente secrète. Or, une relation particulièrement étroite s'établit lors de la vente verbale dissimulée du support d'identité entre les trafiquants. La vente secrète du faux document d'identité étant l'objet primordial du trafic, elle en devient le point de connivence mettant en relation la réalisation successive dans le temps de la falsification, de la détention et de l'usage du faux document d'identité, provenant d'un concert préalable entre les trafiquant-vendeur et trafiquant-acheteur. Par conséquent, il existe un rapport mutuel étroit de dépendance entre les infractions de faux, de détention, et d'usage de faux causé par la vente secrète réunissant une unité d'auteurs.

264. Effet : extension par indivisibilité de la compétence du juge français. Les liens matériels indivisibles d'unité de faits délictueux et d'unité d'auteur de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité amènent à reconsidérer l'aménagement de la compétence du juge français au regard du droit international en matière de trafic de faux documents d'identité.

331 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc., n° 73.

332 Ibid.

333 Ibid.

89

III. Une extension par indivisibilité de la compétence du juge français concernant l'ensemble des infractions de faux documents d'identité réputées commises en France

265. Avantages procéduraux et de politiques criminelles. Un rapport mutuel de dépendance peut être matérialisé soit par un acte de détention du faux document d'identité créant une unité de faits délictueux, soit par une vente secrète du faux document d'identité créant une unité d'auteur. Or, de nombreux avantages procéduraux et de politiques criminelles existent notamment en permettant une prorogation judiciaire (A), et une prorogation législative de la compétence du juge français (B), afin de regrouper d'une part les différents faits délictueux relevant des faux documents d'identité, et d'autre part les différents trafiquants étrangers ayant commis une/des infraction(s) de ce type sur le territoire de la République.

A) Une prorogation judiciaire de compétence des juridictions françaises en cas d'unité des incriminations de faux, de détention et d'usage de faux documents d'identité

266. Prorogation judiciaire si un des éléments constitutifs des infractions de faux documents d'identité réalisés en France. « L'exercice de la répression dans notre pays au titre de la territorialité »334 vise à cerner « la notion de localisation internationale de l'infraction commise partiellement seulement en sol français »335. En ce sens, « l'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire » selon l'alinéa 2 de l'article 1132 du CP. Or, pour lutter efficacement contre le trafic de faux documents d'identité nourri par des trafiquants ayant un domicile/une résidence à l'étranger, et une nationalité étrangère, il convient d'étendre la répression au-delà du territoire de la République lorsqu'un des éléments constitutifs des infractions de faux documents d'identité a été commis en France.

334 BRACH-THIEL (D.), « Compétence internationale », Rép. pén., décembre 2017 (actualisation septembre 2018), n° 92.

335 Ibid.

267.

90

Principe territorial jurisprudentiel d'extension de la compétence judiciaire des juridictions françaises par indivisibilité. Concrètement il existe un principe territorial d'extension de la compétence judiciaire des juridictions françaises par indivisibilité, principe qui a été conçu par les juges de cassation le 23 avril 1981. En effet, « la juridiction française est compétente pour connaître des faits commis à l'étranger par un étranger dès lors que ces faits apparaissent comme formant un tout indivisible avec les infractions également imputées en France à cet étranger et dont elle est légalement saisie »336. En l'occurrence, la juridiction française serait compétente pour connaître des faits délictueux de falsification, de détention, et d'usage de faux commis à l'étranger par un trafiquant-vendeur et/ou par un trafiquant-acheteur à partir du moment où il existe un lien intime matériel de dépendance entre les différentes infractions de faux documents également imputées en France à ces trafiquants-étrangers, et dont la juridiction est légalement saisie.

268. Récente confirmation de ce principe jurisprudentiel. Les juges de cassation le 31 mai 2016 ont confirmé qu'il existe un lien d'indivisibilité entre l'infraction commise à l'étranger et une autre commise sur le territoire de la République « lorsqu'elles sont rattachées entre elles par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres »337. En l'espèce, lorsqu'il existe une unité de faits délictueux dont un des éléments s'est matérialisé à l'étranger ou lorsqu'il existe une unité d'auteurs qui ont des nationalités étrangères, et qui ont commis une partie des éléments constitutifs des infractions de faux documents d'identité sur le territoire de la République, alors la juridiction française sera dans l'obligation de proroger sa compétence, et ainsi juger l'ensemble des chefs de prévention en présence.

269. Simple faculté de prorogation de compétence en cas de connexité. « Le lien de connexité existant entre plusieurs infractions ne peut avoir pour effet de rendre la loi pénale française applicable à celles commises à l'étranger par une personne de nationalité étrangère sur une victime étrangère »338. Les éléments connexes des infractions de faux documents d'identité n'ouvrent qu'une faculté au juge français de

336 Cass. Crim., 23 avril 1981, bull. n° 116; RSC 1982. 609, Obs. Vitu.

337 Cass. Crim., 31 mai 2016, N° 15-85.920, Dalloz Actualité, 21 juin 2016, obs. Goetz ; D. 2016. 1989, note Rebut ; AJ pénal 2016. 487, Obs. Brach-Tiel ; Gaz. Pal. 2016. 2277, Obs. Detraz ; Dr. Pénal 2016. Comm.122, Obs. Conte.

338 Ibid.

91

juger l'ensemble sur le territoire de la République, à la différence des conditions de l'indivisibilité.

270. Nécessaire requalification du trafic en crime de faux et atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. En la matière, le trafic international de faux documents d'identité cause un préjudice matériel à l'Etat français. En faisant une analogie avec le crime de la fausse monnaie, il est possible de requalifier le trafic en crime de faux qui porte nécessairement atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. La compétence judiciaire pour les infractions commises au préjudice de la France est prévue à l'article 113-10 du CP. A travers cet article, « la loi française s'applique à un Français comme à un étranger qui aurait commis des faits constitutifs d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation à l'étranger, que ce soit en qualité d'auteur ou de complice, cette compétence de la loi française emportant la compétence des juridictions françaises en application de l'article 689 du CPP ». Ainsi, la loi pénale française serait applicable aux infractions de faux, de détention, d'usage de faux documents d'identité commises à l'étranger par un trafiquant étranger sur une victime étrangère, puisqu'en requalifiant le comportement global de toute l'organisation criminelle de trafiquants en crime de faux, les juridictions françaises pourraient devenir compétentes en actionnant le principe de l'universalité propre au droit pénal international sur le fondement de l'article 689 du CPP.

271. Transition. En plus d'une prorogation judiciaire, il existe une prorogation législative par indivisibilité applicable à l'encontre des infractions de faux réalisées à l'intérieur d'une organisation criminelle de trafiquants.

B) Une prorogation législative de compétence des juridictions françaises en cas d'unité des incriminations de faux, de détention et d'usage de faux documents d'identité

272. Prorogation législative de compétence par la qualification d'association de malfaiteurs. Au regard des articles 382 et 383 du CPP, les liens indivisibles entretenus par les infractions de faux, de détention et d'usage de faux documents d'identité peuvent entrainer une « extension de la compétence d'une juridiction »339 française « qui se voit ainsi attribuer la connaissance de l'ensemble des

339 AGOSTINI (F.), « Compétence », préc., n° 71.

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infractions concernées »340. Cette attribution législative de compétence est obligatoire en cas d'indivisibilité. Une partie de la doctrine critique cette prorogation législative en arguant notamment que l'indivisibilité « devrait normalement s'effacer devant le principe majeur qu'est la territorialité de la loi pénale »341. En réponse à cela, il est possible de défendre l'idée qu'il existe une prorogation législative de compétence des juridictions françaises applicable au trafic de faux documents d'identité « sous couvert de la notion d'association de malfaiteurs »342. Or, cette extension de compétence aura des conséquences sur les règles de fond applicables : des infractions de faux, de détention, d'usage de faux documents d'identité « commises hors de France vont se trouver soumises à la loi répressive »343 française. Effectivement, « même les auteurs les plus attachés aux principes pensent que ces solutions ne seront pas abandonnées dans l'avenir, surtout à une époque où les groupements de criminels s'internationalisent dans leur composition, dans leur manière d'opérer et surtout dans leur champ géographique d'activité »344.

273. Par exemple, « la juridiction française est compétente pour connaître des faits commis à l'étranger par un étranger dès lors que ces faits apparaissent comme indivisiblement liés avec une infraction également imputable à cet étranger et dont elle est légalement saisie ; tel est le cas de la participation à un crime commis à l'étranger et qui constituait un des buts de l'association de malfaiteurs réputée commis en France et à laquelle cet étranger avait pris part »345. Effectivement, la juridiction française sera compétente pour connaitre des faits de faux, de détention, ou d'usage de faux documents d'identité commis sur un sol étranger par un ou plusieurs trafiquants-étrangers dès lors que ces faits matériels apparaissent comme intimement liés avec une autre infraction de faux, de détention ou d'usage de faux documents d'identité commise par ces mêmes trafiquants-étrangers notamment lorsque ces derniers ont préparé, ou ont accompli un ou plusieurs faits matériels d'une ou de plusieurs infractions délictueuses de faux documents d'identité réputés commis en France et auxquels ces trafiquants-étrangers avaient participé. Par conséquent, il existe une prorogation législative de compétence

340 Ibid.

341 CULIOLI (M.) ; GIOANNI (P.), « Association de malfaiteurs », Rép. pén., mai 2017 (actualisation : novembre 2017), n° 193.

342 Ibid.

343 Ibid.

344 Ibid.

345 Cass. Crim., 15 janvier 1990, bull. n° 22.

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des juridictions françaises, qui permet de regrouper la poursuite des auteurs de l'ensemble des infractions de faux documents d'identité sous le chef de prévention de l'association de malfaiteurs prévue à l'article 450-1 du CP. Par souci d'une politique criminelle de répression adaptée au trafic de faux documents d'identité, et par souci d'une bonne administration de la justice au niveau international, il serait donc nécessaire de relier indivisiblement toutes les infractions de faux documents d'identité.

274. Transition. En plus des relations matérielles qui existent entre les infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité au sein d'une organisation criminelle internationale de trafiquants, il s'en suit l'existence de relations personnelles.

Section II : Analyse prospective des relations personnelles des infractions de faux et d'usage de faux documents d'identité intégrée à une organisation criminelle internationale de trafiquants

275. Participation criminelle des trafiquants. Les relations personnelles des infractions de faux et d'usages de faux sont conditionnées par les actes d'une pluralité de trafiquants de faux documents d'identité. Or, « l'idée de participation implique celle de pluralité »346. « La participation criminelle s'entend en effet d'un comportement tendant à coopérer sciemment à la réalisation d'une infraction, incriminée en droit français à titre d'action principale, de coaction, de complicité ou parfois de délit distinct »347. Partant, la participation criminelle suppose une pluralité de trafiquants et une volonté de s'associer entre eux. La qualification juridique prospective des relations personnelles entre les trafiquants sera bâtie autour de l'existence d'un lien temporel ajusté par la vente secrète du faux document d'identité. Il conviendra de se placer avant, pendant, et après la vente secrète du faux document d'identité afin d'établir le rôle de chaque trafiquant dans la réalisation des infractions de faux et d'usage de faux. De plus, la qualification juridique de la structure criminelle dans laquelle « bouillonnent » les trafiquants sera aussi importante pour déterminer le rôle de chaque trafiquant au sein du trafic.

346 BARON (E.), La coaction en droit pénal, Thèse, Université Montesquieu - Bordeaux IV, 2012, n° 29, p. 41.

347 Ibid.

276.

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Plan. L'analyse prospective des relations personnelles entre les trafiquants de faux documents d'identité se fondera sur l'idée de l'existence de liens de participation criminelle, qui sera variable en fonction du temps (I) et en fonction de la complexité de la structure de l'organisation criminelle (II).

I. Des liens de participation criminelle variables entre les trafiquants de faux documents d'identité en fonction du temps

277. Liens variables. D'abord, il existe un lien de coaction ou de complicité entre l'auteur principal faussaire et le complice tiers administratif avant la réalisation de la vente secrète du faux document d'identité (A). Or, c'est uniquement lors de la réalisation de la vente du faux document d'identité qu'un lien de coaction se crée entre les trafiquant-vendeur et trafiquant-acheteur (B). A la suite de la vente du faux document d'identité, il persiste un lien d'usage résiduel du faux document d'identité entre les trafiquants (C).

A) Un lien de coaction ou de complicité entre le faussaire et le tiers administratif avant la réalisation de la vente secrète du faux document d'identité

278. Coaction ou complicité. Soit un lien de coaction entre le faussaire et le tiers administratif pourra être établi lorsque ce dernier sera l'auteur du faux document d'identité (1), soit un lien de complicité pourra être établi lorsque ce sera le tiers administratif qui aura eu le rôle du déclarant, n'étant pas l'auteur matériel du faux (2).

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