WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso


par Abdoul Rachid ABDOU BOKAR ABDOU
Université Thomas SANKARA - Master 2020
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

TITRE II : L'EFFICACITE PERCEPTIBLE DE L'EXCEPTION

D'INCONSTITUTIONNALITE AU BURKINA FASO 50

CHAPITRE I : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UNE GARANTIE POUR

L'ETAT DE DROIT 51

Section I : Une subjectivation manifeste du contentieux constitutionnel 52

Section II : Une objectivation maintenue du contentieux constitutionnel 61

CHAPITRE II : L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE, UN SIGNE DE LA

LEGITIMITE DU JUGE CONSTITUTIONNEL 72

Section I : L'autorité des décisions rendues sur exception d'inconstitutionnalité 73

Section II : Un pouvoir législatif accordé au juge constitutionnel ? 80

CONCLUSION GENERALE 90

1

INTRODUCTION

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée...n'a point de constitution »2. Cette formule célèbre de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen atteste de la coïncidence qu'aménage le droit moderne entre norme constitutionnelle et garantie des droits3. Ainsi pouvons-nous y lire la nécessité, afin de garantir pleinement ces droits, de la mise en place d'un droit auquel seraient assujettis aussi bien les gouvernants que les gouvernés, un droit qui serait suprême : le droit constitutionnel. Celui-ci, comme son nom l'indique, est le droit de la Constitution4. Cette dernière étant la norme fondamentale, elle se situe ainsi au sommet de la hiérarchie des normes5. C'est donc cette norme supérieure, la Constitution, qui détermine comment la norme inférieure doit être créée. Cette hiérarchie peut être analysée comme une pyramide ou « un édifice à plusieurs étages » au sens de KELSEN6. En effet, afin d'assurer la cohérence et la stabilité du système juridique, il faut que les normes de rang inférieur soient conformes aux normes qui leur sont supérieures7. Cet impératif de cohérence, lorsqu'il s'applique au rapport entre les normes infra-constitutionnelles et la Constitution est appelé principe de constitutionnalité8. Ce principe est celui en vertu duquel la Constitution d'un Etat est la norme suprême au sein de son ordre juridique9.

Comme nous le rappelle le doyen HAURIOU, « sous l'empire de la Constitution, aucun pouvoir n'est souverain. Tout pouvoir public est susceptible d'être contrôlé, surtout par des moyens juridiques »10. Cela accorde une valeur symbolique et une place royale à la Constitution dans la hiérarchie des normes et donne par là même une acuité particulière à la question de sa protection11. A ce titre, selon Didier BOUTET, il est inévitable que l'Etat de droit s'entoure de

2 Article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

3 Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ et Diane ROMAN, Droits de l'Homme et libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 2015, 2ème édition, p. 209.

4 Xavier MAGNON, « Commentaire sous `'Le droit constitutionnel, Constitution du droit, droit de la Constitution» de L. Favoreu », Les Grands Discours de la Culture Juridique, 2017, 11 p. Disponible sur http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01725353, consulté le 03 mai 2020 à 10h29.

5 Hans KELSEN, Théorie pure du droit, Neuchâtel, Editions de la Baconnière, 1957, p. 122.

6 Ibidem.

7 Ibidem.

8 Ottavio QUIRICO, « Le contrôle de constitutionnalité français dans le contexte européen et international : une question de priorité », EJLS, 2010, n°2, p. 34.

9 Ce principe a pour conséquence la constitutionnalisation progressive des branches du droit.

10 Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2015, 2ème édition, p. 266.

11 Philippe ARDANT et Mathieu BERTRAND, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013, 25ème édition, p. 89.

2

protections12. La plus importante d'entre elles13 demeure la protection constitutionnelle des droits. Cette dernière doit être assurée par le juge constitutionnel. Celui-ci est chargé de veiller au respect des « normes dont la suprématie s'impose à tous, y compris au législateur »14. Pour ce faire, le contrôle de la constitutionnalité des lois se révèle être la voie du salut. En effet, il arrive souvent qu'en raison de la nature complexe de ses activités et au nom de l'efficacité de son action15, le législateur soit « porté à violer les droits et libertés garantis par la Constitution »16. Dans ce contexte, le juge constitutionnel qui est la « bouche de la Constitution »17 et le « gardien de la Constitution »18, assure non seulement la garantie des droits fondamentaux, mais aussi la protection de l'Etat de droit19. Ainsi a-t-on institué un contrôle de constitutionnalité qui est un mécanisme d'examen par l'organe faisant office de juge constitutionnel de la conformité des actes aux normes du bloc de constitutionnalité20.

Historiquement, le mécanisme de contrôle de constitutionnalité est apparu aux Etats-Unis d'Amérique alors même qu'aucune disposition constitutionnelle ne le prévoyait formellement21. C'est donc par la hardiesse d'un juge, le juge MARSHALL dans la célèbre affaire Marbury contre Madison22, que fut intenté pour la première fois, le contrôle juridictionnel de constitutionnalité23. Dans ce modèle américain, il s'agit d'un contrôle décentralisé qui est exercé à titre incident. Dans sa configuration classique, le contrôle de constitutionnalité revêt deux modalités : d'une part, le contrôle par la voie d'exception ; d'autre

12 Didier BOUTET, Vers un Etat de droit, Paris, l'Harmattan, 2000, p. 241.

13 Ibidem.

14 François LUCHAIRE cité par Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, 2013, 4ème édition, p. 3.

15 Dieudonné KALUBA DIBWA, La justice constitutionnelle en République démocratique du Congo, Louvain-La-Neuve, l'Harmattan, 2013, p. 579.

16 Ibidem.

17Abdoulaye SOMA, « le statut du juge constitutionnel Africain », in Frédéric Joël AIVO, La constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l'Afrique ? Mél. Maurice A. GLELE, l'Harmattan, 2014, pp. 451-480.

18 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Traité de droit constitutionnel congolais, Paris, l'Harmattan, 2017, p. 357.

19 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La saisine des juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique : les cas du Bénin et du Congo », Annales de l'Université Marien NGOUABI, 20152017, p. 56.

20 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit international comparé », Revue trimestrielle des droits de l'homme, 2009, vol. 20, n°78, pp. 437-466.

21 Yédoh Sébastien LATH, « L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans les Etats d'Afrique francophone », in Oumarou Narey (dir.), La justice constitutionnelle, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 146.

22 Arrêt Marbury v/Madison rendu par la Cour Suprême des Etats-Unis en date du 24 février 1803. V°. Jean-Pierre DUPRAT. Elisabeth ZOLLER, « Les Grands Arrêts de la Cour Suprême des Etats-Unis », Paris, Revue Internationale de Droit Comparé, Vol. 62, n°3, 2010, pp. 841-845.

23 Yédoh Sébastien LATH , « L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 146.

3

part, le contrôle par la voie d'action24. Ces deux modalités de contrôle de constitutionnalité ont impacté l'organisation des systèmes juridictionnels des Etats africains25.

L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois en Afrique est liée au processus de transformation des systèmes constitutionnels consécutifs aux contestations démocratiques des années 199026. Pour garantir avec efficacité la suprématie de la Constitution, les systèmes juridictionnels des Etats africains ont connu des évolutions substantielles à travers la diversification des modalités du contrôle de constitutionnalité27. Les Etats africains ont opté pour un système mixte de contrôle de constitutionnalité des lois, cumulant aussi bien les procédés du contrôle par la voie d'action et par la voie d'exception que ceux du contrôle a priori28 et a posteriori29. A la différence du contrôle a priori, le contrôle a posteriori s'exerce après l'entrée en vigueur de la loi. La constitutionnalité de celle-ci est contestée alors qu'elle est appliquée30. En effet, malgré le système de contrôle de constitutionnalité des lois a priori consacré par les Constitutions des Etats31, il arrive que certaines lois ou dispositions inconstitutionnelles passent tout de même par les mailles du filet. Il faut en effet reconnaître avec Fatin-Rouge STEFANINI que le contrôle abstrait opéré sur une norme qui n'a pas encore été appliquée ne permettrait pas de saisir « toutes les inconstitutionnalités contenues de manière latente dans une loi »32 et qui ne se révèleront que lors de son application33. Il a donc été institué un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori pour pallier toute application d'une loi inconstitutionnelle. Le contrôle a posteriori a de ce fait été perçu comme un « palliatif » du défaut du contrôle a priori qui n'était pas systématique34. Ainsi, les Etats africains se sont

24 Ibidem.

25 Yédoh Sébastien LATH, « L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 148.

26 Gérard CONACA (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993 cité par Yédoh Sébastien LATH dans l'acte du colloque international sur La justice constitutionnelle tenu à Niamey en 2016 sous la direction de Oumarou NAREY, Op.cit., p. 145.

27 Oumarou NAREY (dir.), La justice constitutionnelle, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 149.

28 Article 155 de la Constitution du Burkina Faso du 02 juin 1991.

29 Article 157 de la Constitution du Burkina Faso du 02 juin 1991.

30 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Le droit constitutionnel, Louvain-La-Neuve, l'Harmattan, 2013, p. 120.

31 L'article 157 al.1 de la Constitution burkinabè prévoit que le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président du Faso ; le Premier ministre ; le Président de l'Assemblée Nationale ; un dixième (1/10) au moins des membres de l'Assemblée Nationale.

32 Fatin-Rouge STEFANINI, « La question préjudicielle de constitutionnalité : étude du projet français au regard du droit comparé », in Annuaire International de Justice Constitutionnelle, 23-2007-2008. Constitution et liberté d'expression-Famille et droit fondamentaux, pp. 13-23.

33 Ibidem.

34 Marine HAULBERT, Les techniques juridictionnelles de contrôle de constitutionnalité a posteriori, Mémoire de Master 2 en droit public général soutenu à l'Université Montpellier I, 2012-2013, p. 28.

4

inscrits dans un processus de redynamisation de la justice constitutionnelle35. Cependant, le juge constitutionnel n'a qu'une compétence d'attribution. Il n'exerce son office qu'après avoir été saisi au préalable36, sauf exception37. La saisine constitue de ce fait la condition nécessaire à l'exercice de la garantie juridictionnelle de la Constitution. Dans ces conditions, elle devient un enjeu majeur.

L'une des revendications constitutionnelles liées au processus démocratique est relative à l'ouverture du droit de saisine aux particuliers38. En effet, pour faire participer plus efficacement les citoyens au contentieux constitutionnel, les Constitutions des Etats d'Afrique francophone ont consacré le procédé du contrôle par la voie d'exception, ce qui tend à conférer une réalité nouvelle et une effectivité à l'accès du citoyen au juge constitutionnel39. Ainsi écrivait à ce sujet le doyen Georges VEDEL : « la porte étroite » de la juridiction constitutionnelle est devenue « une porte ouverte »40. Cette reconnaissance du droit de saisine aux particuliers tend à conférer un caractère subjectif au contentieux constitutionnel41 avec l'émergence de la justice constitutionnelle. Pour ce faire, ce contrôle de constitutionnalité a posteriori et précisément celui par voie d'exception, se fait, selon les législations, de manière variée. Il est différemment aménagé par les Etats42. A ce titre, il existe plusieurs modalités de saisine du juge constitutionnel en matière de protection des droits et libertés publiques, les unes directes, les autres indirectes43. En effet, Abdoulaye SOMA prévient qu'il ne faut pas perdre de vue la réalité juridique évidente que les pays ont en pratique souvent introduit telle ou telle

35 Yédoh Sébastien LATH, « L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 148.

36 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La saisine des juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique : les cas du Bénin et du Congo », Annales de l'Université Marien NGOUABI, n°16(1), 2015-2017, pp. 54-71.

37 L'article 157 al.3 de la Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991 prévoit un pouvoir d'auto-saisine en disposant que « Le Conseil constitutionnel peut se saisir de toute question relevant de sa compétence s'il le juge nécessaire ».

38 Oumarou NAREY (dir.), La justice constitutionnelle, Op.cit., p. 152.

39 Ibidem.

40 Georges VEDEL, « L'accès des citoyens au juge constitutionnel. La porte étroite », La vie judiciaire, n°2344, 1991, pp. 1-14.

41 Yédoh Sébastien LATH, « L'évolution du contrôle de constitutionnalité des lois dans les Etats d'Afrique francophone », Op.cit., p. 152.

42 Maria Nadège SAMBA-VOUKA, « La saisine des juridictions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique : cas du Bénin et du Congo », Op.cit., p. 56.

43 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Traité de droit constitutionnel congolais, Op.cit., p. 357.

5

variante dans tel ou tel modèle de base, si bien qu'on remarquera plusieurs types de justice constitutionnelle à travers le monde44.

Etant donné la variabilité du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois selon les Etats, il nous a semblé important, voire nécessaire d'étudier, en particulier, celui du Burkina Faso, notre terre d'accueil. Ce pays marque une préférence pour l'exception d'inconstitutionnalité45 qui peut être soulevée par toute personne partie à un procès contre une loi présumée inconstitutionnelle qui serait sur le point de lui être appliquée. D'où le choix de notre thème : « L'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso ».

Le présent thème de droit constitutionnel, comme n'importe lequel d'ailleurs, appelle, préalablement à toute analyse de fond, un éclairage conceptuel46. En effet, Charles EISENMANN nous enseigne qu'il faut nécessairement commencer par résoudre clairement le problème de la fixation des concepts qui forment l'armature d'un thème, sinon, poursuit-il, on discuterait dans l'obscurité en vain47. Ainsi, selon Eric NGANGO YOUMBI, l'exception d'inconstitutionnalité s'entend d'une possibilité offerte au justiciable, à l'occasion d'un procès devant une juridiction quelconque, d'invoquer qu'une disposition légale est non-conforme à la Constitution. Il soulève alors l'inconstitutionnalité de la loi qui est sur le point de lui être appliquée48. Les Constitutions de la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest permettent à une autorité judiciaire faisant office de juge de première instance de renvoyer cette question à la juridiction constitutionnelle compétente49. Ibrahim SALAMI lui, définit l'exception d'inconstitutionnalité comme « un moyen de défense dans une procédure juridictionnelle ou comme une technique visant à contester, à l'occasion d'un procès, la constitutionnalité de la loi »50. Ces définitions doctrinales convergent avec celles consacrées par les textes en la matière au Burkina Faso. Ainsi, à la lecture des articles 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27

44 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel comparé », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, 2009, vol.20, n°78, pp. 437-466.

45 Article 157 al.2 de la Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991.

46 Jean-Calvin Aba'a OYONO, « Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de 1996 », VRÜ/Droit et politique en Afrique, Asie et Amérique latine, vol.34, n°2, 2001, pp. 196-219.

47 Charles EISENMAN, Cours de Droit Administratif, Tome I, Paris, LGDJ, 1982, cité par Jean-Calvin Aba'a OYONO dans « Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de 1996 », Op.cit., pp. 196-106.

48 Eric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 341.

49 Marcus BOCKENFORD et alii, Les juridictions constitutionnelles en Afrique de l'Ouest : analyse comparée, IDEA International, Fondation Hanns Seidel, 2016, p. 130.

50 Ibrahim David SALAMI, « Exception d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au Bénin et au Congo », Revue Burkinabè de Droit, n°51-2ème semestre, 2016, pp. 9-41.

6

avril 200051 et 157 al.2 de la Constitution, l'exception d'inconstitutionnalité est un moyen qui peut être soulevé par un justiciable « devant une juridiction, quelle qu'elle soit » pour contester la constitutionnalité de la loi qui va lui être appliquée. La juridiction « est tenue de surseoir à statuer et de saisir le Conseil constitutionnel qui doit se prononcer sur la constitutionnalité du texte en litige dans le délai d'un mois ». Il ressort clairement de ces différentes définitions que l'exception d'inconstitutionnalité est une bouée de sauvetage tendue au citoyen pour garantir la plénitude de la protection de ses droits et libertés en écartant l'application d'une loi dont « la régularité par rapport à la Constitution est contestée »52.

Par ailleurs, il y a lieu de noter qu'il existe des notions quelque peu voisines qui pourraient prêter à confusion. A cet égard, il paraît opportun de les distinguer. Ainsi pouvons-nous remarquer l'existence, à côté de « l'exception d'inconstitutionnalité », de la « Question Prioritaire de Constitutionnalité » (QPC) et de la « question préjudicielle ». Par essence53, il y a exception d'inconstitutionnalité lorsque la question de constitutionnalité est soulevée devant le juge ordinaire à l'occasion d'un procès et tranchée par lui-même54. La question préjudicielle pour sa part, est celle qui oblige le tribunal à surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction compétente55. Quant à la QPC, elle a été instituée en France en 200856. Dans cette procédure française, lorsque l'inconstitutionnalité de la loi est soulevée, elle sera transmise à la juridiction suprême de l'ordre juridictionnel concerné (Conseil d'Etat ou Cour de cassation) avant d'être renvoyée (ou pas) au Conseil constitutionnel. La QPC est complexe autant qu'elle favorise la collaboration entre les juridictions suprêmes et le Conseil constitutionnel57.

Sous l'influence tardive des Etats-Unis qui avaient fait de la Cour suprême l'un des piliers de la Constitution de 178758, de nombreux pays européens ont décidé, après 1945, de combiner le principe de légalité avec le principe de constitutionnalité permettant une véritable protection des normes constitutionnelles. Il en est ainsi désormais, en Allemagne, en Italie, en

51 Il s'agit de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel du Burkina Faso et procédure applicable devant lui.

52 Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, 2013, 4ème édition, p. 3.

53 Nous faisons référence au système juridique américain qui a été le premier à consacrer le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité. La procédure authentique de ce mécanisme serait donc celle ayant cours dans cet ordre juridique.

54 Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2019, 21ème édition, p. 291.

55 Serge GUINCHARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2014, 21ème édition, p. 766.

56 Après des années de réticence, la France a fini par consacrer le contrôle juridictionnel a posteriori des lois devant le juge constitutionnel notamment par la révision constitutionnelle de 2008 et la loi organique du 10 décembre 2009.

57 Jean-Louis ESAMBO KANGASME, Le droit constitutionnel, Op.cit., p. 113.

58 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel, Paris, l'Harmattan, 2013, p. 59.

7

Espagne, au Portugal, en Grèce, en Pologne ou en Hongrie, mais aussi en France. Cette évolution explique l'emprise de la hiérarchie des normes dans la plupart des démocraties59. Toutefois, bien qu'il sera fait cas de plusieurs systèmes juridiques dans un but comparatif, il y a lieu, pour nous, de préciser que la présente étude concerne fondamentalement le Burkina Faso qui, a institué la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité tout en confiant le monopole de ce contrôle au seul juge constitutionnel60.

L'étude de la question de l'exception d'inconstitutionnalité revêt un intérêt juridique pas des moindres, tant d'un point de vue théorique et pratique qu'au regard de l'actualité de la justice constitutionnelle au Burkina Faso. D'abord, du point de vue théorique, cette étude nous permettra de nous rendre compte de l'importance capitale que présente l'exception d'inconstitutionnalité pour le justiciable. En effet, la portée de ce mécanisme est aussi « de rendre la justice constitutionnelle accessible à tous les acteurs de la vie nationale »61, ce qui, dès lors, inclut le citoyen. Ce dernier va progressivement devenir la « pierre angulaire »62 de la justice constitutionnelle. Cette participation citoyenne à la justice constitutionnelle contribuera sans doute à assainir l'ordre constitutionnel. Ensuite, d'un point de vue pratique, l'analyse de cette thématique nous permettra de mettre en évidence les règles de compétence et de procédure pour la mise en oeuvre de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso. Nous remarquerons par ricochet que, au Burkina Faso, cette modalité de contrôle a posteriori reste encore un domaine pauvre et quasiment inexploré. Enfin, du point de vue de l'actualité, la recrudescence de la saisine du juge constitutionnel burkinabè par la voie de l'exception d'inconstitutionnalité est assez révélatrice du changement de paradigme qui est en train de s'opérer dans la mise en oeuvre de ce mécanisme. En effet, rien qu'en 2019, le Conseil constitutionnel a été saisi à, au moins trois reprises par le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité. Cette actualité fait davantage toute la particularité du sujet.

L'analyse de cette thématique impose de mettre en lumière la portée concrète de l'exception d'inconstitutionnalité en découvrant notamment les tenants et aboutissants de ce mécanisme au Burkina Faso. De ce fait, la question que l'on doit impérativement se poser est

59 Ibidem.

60 Ainsi dispose l'article 152 al.1 de la Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991.

61 Eric NGANGO YOUMBI, La justice constitutionnelle au Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 341.

62 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire de la justice constitutionnelle au Bénin », Communication au 6ème Congrès de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en partage l'usage du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012.

8

celle de savoir, l'exception d'inconstitutionnalité est-elle parfaitement consacrée et quels en sont les impacts dans l'ordre constitutionnel burkinabè ?

Tout au long de cette étude, nous nous efforcerons d'analyser les moyens juridiques servant de fondement à l'exception d'inconstitutionnalité. Mais il faut admettre qu'au Burkina Faso, ce mécanisme a connu une consécration mitigée (TITRE I). Par ailleurs, il convient aussi de s'interroger sur les effets de ce mécanisme. Cela se fera notamment à travers l'analyse de l'efficacité de l'exception d'inconstitutionnalité au Burkina Faso (TITRE II).

9

TITRE I : LA CONSECRATION MITIGEE DE
L'EXCEPTION D'INCONSTITUTIONNALITE AU
BURKINA FASO

En droit romain, l'exception a été un moyen que l'on a longtemps accordé au défendeur63 afin qu'il puisse présenter ses objections face aux prétentions du demandeur64 dans un procès civil. Avec l'évolution du droit, l'exception a pris plusieurs formes. Elle évoque l'idée d'un droit anormal et exorbitant, de dérogation tantôt au droit commun, tantôt à un principe ou à une règle de justice65. Ainsi parle-t-on d'une part d'exception d'illégalité66 et d'autre part d'exception d'inconstitutionnalité67. Cette dernière consiste à accorder au justiciable la possibilité de présenter ses objections face à une loi inconstitutionnelle et en faire écarter l'application68 dans un procès le concernant. En droit constitutionnel contemporain, l'exception d'inconstitutionnalité est perçue comme un moyen d'accès du particulier à la justice constitutionnelle. En effet, il fallait impérativement permettre aux citoyens d'être directement associés à la protection de leurs droits69 et libertés. Cela, le Burkina Faso l'a très vite compris, car ayant consacré ce mécanisme. Mais, cette consécration nous parut quelque peu mitigée. Cela se caractérise non seulement par des insuffisances observées dans cette consécration (Chapitre I) mais aussi et surtout par la qualification juridique erronée du mécanisme. Il s'agirait plutôt d'une question préjudicielle de constitutionnalité (Chapitre II).

63 Thi Hong NGUYEN, La notion d'exception en droit constitutionnel français, Thèse de Doctorat en droit public soutenue en date du 28 mai 2013 à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne, p. 8.

64 Ibidem.

65 Ibrahim David SALAMI, « Exception d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au Bénin et au Congo », RBD, n°51-2ème semestre, 2016, pp. 9-41.

66 Moyen de défense procédural par lequel une partie allègue en cours d'instance l'illégalité de l'acte qui lui est opposé. V°. Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2014, 21ème édition, p. 411.

67 Moyen de défense procédural par lequel une partie allègue en cours d'instance l'inconstitutionnalité de la loi qui lui est opposée. Ce moyen est consacré par l'article 157 al.2 de la Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991.

68 Théodore HOLO, « Emergence de la justice constitutionnelle », RP, 2009/2, n°129, pp. 101-114.

69 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel, juges du fond et justiciables dans l'évolution de la justice constitutionnelle italienne », AIJC, n°5-1989, 1991, pp. 79-96.

10

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius