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Justice constitutionnelle en France et démocratie

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par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

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Chapitre II. La garantie et le renouvellement de la démocratie par la justice constitutionnelle

La doctrine constitutionnaliste ne saurait éluder la question de la légitimité démocratique de la justice constitutionnelle vu son importance pour la pérennité de celle-ci. Cependant les plus ardents défenseurs de la justice constitutionnelle ou tout au moins un grand nombre pèchent méthodologiquement parlant dans cette quête inlassable de légitimation. Piégés par la doctrine représentative et ses aléas, les constitutionnalistes et non les moindres définissent la démocratie en se concentrant au prime abord sur des considérations institutionnelles. S'ils ne font pas totalement table rase de l'aspect protectionniste de la démocratie, ils relèguent au second plan la sauvegarde des droits des citoyens. Ils privilégient, comme nous l'avons vu, l'étude des parlements, de l'institution électorale et de la séparation des pouvoirs et s'adonnent seulement après l'épuisement de ces questions aux rapports des citoyens avec les gouvernants et entre eux. Or, la justice constitutionnelle est facilement superposable à la démocratie si on part du citoyen plutôt que de la « superstructure institutionnelle » pour répéter le langage marxiste. Aborder la démocratie en mettant l'accent « a priori » sur son versant institutionnel implique de privilégier les moyens par rapport aux fins. Le citoyen reste et demeure « l'origine et le centre de tout processus démocratique »54. En d'autres termes, tout défenseur de la subsomption de la justice constitutionnelle sous la démocratie doit dans un premier temps avoir une approche anthropocentrique de cette notion à la richesse incommensurable .Une fois cette prudence méthodologique observée, la constante lutte du juge constitutionnel en faveur du respect des droits et libertés fondamentaux la légitimera aux yeux de tout démocrate (Section 1). En outre de ce facteur, la justification ou la légitimité de la justice constitutionnelle s'est opérée à l'échelle européenne grâce à un changement de paradigme démocratique (Section 2).

54 Voir Union Interparlementaire, « La démocratie : principes et réalisation », 1ére édition, Genève, 1998

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Section I. Le Conseil constitutionnel et la lutte en faveur des droits et libertés fondamentaux

Ce rôle protecteur des droits et libertés fondamentaux n'a pas été assigné explicitement au juge constitutionnel pas plus qu'il ne le lui a été interdit explicitement. « Telle une créature qui s'émancipe de son créateur », le Conseil s'est érigé en défenseur des droits et libertés fondamentaux malgré les réserves des constituants de 1958. Ces derniers ne voulaient cantonner le juge constitutionnel français qu'au rôle « de chien de garde de l'exécutif » contre les éventuels empiètements du parlement. Il n'était jamais question que le conseil dépasse cette fonction régulatrice de l'activité des pouvoirs publics dans l'intention originelle des concepteurs de la loi-mère de 1958. Par un « coup de force jurisprudentielle », les Sages ont donné valeur constitutionnelle à la déclaration des droits de l'homme, au préambule de la constitution de 1946 et corrélativement ont élargi leurs prérogatives à la protection des droits individuels et sociaux. En outre d'avoir le mérite d'associer sans problèmes la justice constitutionnelle et la démocratie telle que définie plus haut, cette fonction protectionniste sert la cause incontestable de l'état de droit. En cela, elle est conforme à l'opinion que Tocqueville a émise concernant les USA :

« Resserré dans ses limites, le pouvoir accordé aux tribunaux américains de se prononcer sur l'inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu'on ait jamais élevées contre la tyrannie des assemblées parlementaires»55

Cette fonction majeure de la justice constitutionnelle comporte deux versants dans sa mise en oeuvre. D'abord, elle protège la sphère privée des gouvernés de toute intrusion liberticide. (§ 1). Ensuite, elle fait avancer la cause de l'état de droit que nul ne songerait aujourd'hui à contester sérieusement (§ 2).

§ 1. Le Conseil constitutionnel : outil de protection des gouvernés face aux gouvernants

Le passage de la Constitution -séparation verticale des pouvoirs- à la Constitution -garantie des droits- à partir de la décision du 16 juillet 1971 est l'origine de la fonction avant-gardiste des droits de l'homme du Conseil constitutionnel. L'incorporation du préambule de la Constitution de 1958, et, par voie de conséquence, des deux textes auxquels celui-ci renvoie, au bloc de constitutionnalité contrairement aux idées émises par Kelsen56 en est l'expression

55 A DE TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique », 1ère édition, Tome I, Paris, Flammarion, 1981, p.172

56 H KELSEN, « La garantie juridictionnelle », op.cit., p.239

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concrète. Le contrôle de constitutionnalité des lois, outre du corpus constitutionnel proprement dit, a comme normes de référence les droits civils et politiques issus de la déclaration de 1789, les droits socio-économiques tirés du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 et depuis 2005 les droits environnementaux. Conformément aux directives onusiennes, le Conseil constitutionnel n'établit aucune hiérarchie entre les 3 générations de droit de l'homme tout au long de sa jurisprudence protectionniste. L'indivisibilité des droits de l'homme implique toujours, à titre d'exemple, la conciliation des principes constitutionnels tels que la liberté d'aller et venir (1ère génération des droits de l'homme) et le droit de grève (2ème génération des droits de l'homme). La panoplie des droits et libertés consacrés par le Conseil constitutionnel augmente au gré de l'évolution de la société (A). Cette faculté créatrice encore appelée pouvoir normatif du juge constitutionnel est loin d'être absolu en dépit de son immense étendue (B).

A. Les droits et libertés fondamentaux

La charte jurisprudentielle des droits de l'homme encore appelé « Constitution sociale » par Hauriou, loin s'en faut, n'est pas aussi rigide que la Constitution stricto sensu. Le domaine sacré des libertés citoyennes s'infléchit régulièrement à l'aune des interprétations jurisprudentielles. Le juge constitutionnel français comme partout ailleurs est maître de l'orientation et de la signification des normes jurisprudentielles qu'il crée .Cette faculté quasi-discrétionnaire leur donne la liberté de faire évoluer le sens des différents droits fondamentaux. L'efficacité de cette fonction de protecteur des droits fondamentaux est tributaire de l'évolution des principes existants. La jurisprudence y relative doit faire siennes les évolutions de la société. Il est interdit en ce sens au législateur, selon une jurisprudence constante, « de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles »57 comme c'est indiquée plus haut. La doctrine qualifie cette restriction jurisprudentielle affublée au travail législatif « d'effet cliquet ».L'intégration du volet de protection des droits de l'homme a eu d'importantes répercussions sur la nature du Conseil constitutionnel et du droit constitutionnel. (2) De droit politique étudiant les rapports des pouvoirs publics, le système électoral et les partis politiques, celui-ci devient un droit juridictionnel c'est-à-dire un droit dit par le juge ou un droit vivant selon les termes empruntés à la doctrine italienne (1).

57 Conseil constitutionnel, n°86-210, 29 juillet 1986, DC

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1. La constitution sociale : un droit vivant

L'arsenal jurisprudentiel constitué par le conseil pour protéger les droits fondamentaux des justiciables contre tout texte de loi à visée liberticide est sans commune mesure avec celui des autres fonctions qu'il assure. La liste ouverte des droits fondamentaux, selon la formule consacrée par la doctrine, épouse la couleur du temps au sens sociologique du terme. Cette fonction du juge constitutionnel est d'autant plus créatrice et discrétionnaire que la constitution du 4 octobre 1958 ne fixe pas une liste exhaustive et explicite de droits fondamentaux hormis la détermination du juge judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle et la prohibition de la peine de mort en ses articles 66et 66-1 et d'autres dispositions disparates et isolées. Force est de rappeler que c'est essentiellement à propos de la protection des droits fondamentaux, que le Conseil a soulevé d'office l'inconstitutionnalité de diverses dispositions législatives. Nous recensons parmi d'autres : atteinte au principe de nécessité des peines (n° 80-127DC des 19 et 20 janvier 1981) ; violation du principe d'égalité en matière électorale (n° 82-146 DC du 18 novembre 1982) ; méconnaissance de l'indépendance de l'autorité judiciaire (n° 84-182 DC du 18 janvier 1985) ; atteinte à la liberté individuelle (n° 86-216 DC du 3 septembre 1986) ;non-respect des droits de la défense (n° 86224 DC du 23 janvier 1987) ; violation de l'exigence de pluralisme des courants d'idées et d'opinions (n°89-271 DC du 11 janvier 1990) ; discrimination entre français et étrangers quant à l'octroi d'une prestation sociale (n° 89-269 DC du 22 janvier 1990). Le conseil autant que peut se faire rattache ses principes protectionnistes à la lettre ou à l'esprit de la constitution lato sensu afin de ne pas porter préjudice au pouvoir général de décision et d'appréciation du législateur. En matière de protection de droits et libertés fondamentaux, le fait pour le législateur de méconnaitre l'étendue de ses compétences autrement dit son incompétence négative est sanctionnée par le Conseil. La facilité avec laquelle le pouvoir réglementaire modifie ses actes administratifs n'est pas jugée par les Sages assez sécuritaire pour leur laisser s'occuper exclusivement des droits fondamentaux des citoyens.

La politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel en matière de droits fondamentaux est proche de celle de la Cour suprême des USA et de la Cour de Karlsruhe si l'on excepte ici et là de légères variations sur des sujets vraiment clivant et de haute portée historico-politique. En témoignent le maintien de la peine de mort dans quelques états des Etats-Unis et la politique jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle allemande plus ou moins rigide en matière d'avortement en raison, dit-elle, du passé eugénique de la république fédérale d'Allemagne. Le cas des transsexuels ne trouve pas une solution similaire aux yeux des différentes Cours constitutionnelles européennes en raison du fait que la Cour européenne des droits de l'homme laisse une large marge de manoeuvre et une intense liberté d'interprétation aux états sur ce point sauf en cas manifeste de pratiques discriminatoires.

Tout en évitant l'activisme juridictionnel, la jurisprudence du Conseil en matière de protection des droits fondamentaux comme en d'autres matières couvre tous les sujets de société. La jurisprudence constitutionnelle n'étant pas figée, elle est susceptible d'évoluer en fonction des

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circonstances factuelles et juridiques. L'un des exemples le plus probant en ce sens est le revirement jurisprudentiel qui a causé la censure immédiate du régime de garde à vue par la décision n°2011-223 QPC pour atteinte aux droits de la défense. La nouvelle procédure connue sur l'acronyme QPC ne concerne pas toutes les dispositions constitutionnelles mais exclusivement celles protégeant des droits et libertés constitutionnels.

En définitive ce déclic jurisprudentiel amorcé par la décision n° 7 1-44 D.C. du 16 juillet 1971 a transformé le Conseil constitutionnel français. Elle l'a mise « en pleine lumière » s'il faut paraphraser le Pr. Dominique Rousseau. A partir d'elle, le Conseil créé un droit constitutionnel substantiel ou relationnel c'est-à-dire ayant pour objet d'étude les droits fondamentaux de la personne humaine. En élargissant le contrôle de constitutionnalité sur le fond ou le contenu du texte législatif, la décision d'association conjuguée à la réforme constitutionnelle de 1974 voulue et faite par Valérie Giscard D'Estaing a engendré la métamorphose du juge constitutionnel français.

2. La métamorphose du Conseil constitutionnel : la décision du 16/06/1971

D'abord les juristes ont déduit de cette dite décision l'engloutissement définitif de la tradition de légicentrisme français. En effet, la loi est dorénavant formellement et matériellement subordonnée à la Constitution. Le constitutionnalisme étant que théorie du droit prônant la garantie par une Constitution écrite du pouvoir souverain et des droits fondamentaux s'est définitivement installé. Cette métamorphose a impliqué la sollicitation beaucoup plus fréquente du prétoire du juge constitutionnel français. Les statistiques relèvent la multiplication par vingt du nombre de lois déférées au Conseil constitutionnel dans l'espace de temps compris entre 1974 et 1989.Cela a constitué un saut qualitatif et quantitatif.

Au fil de l'exercice du pouvoir normatif du Conseil constitutionnel, contrairement à la théorie de Montesquieu de « pouvoir nul du juge, bouche de la loi », le bloc de constitutionnalité français n'a cessé de s'enrichir. En outre de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République énoncés dans le préambule de 1946 dont le premier fut la liberté d'enseignement. La particularité de ces principes tient au fait qu'ils n'étaient pas énumérés jusqu'à ce que le Conseil les ait donnés naissance. Au cours de deux décisions des 20 juillets 1988 et 4 juillet 1989, le Conseil a précisé les contours des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ils doivent être issus d'une législation républicaine antérieure à la 4ème république jamais abrogée ou modifiée par le législateur. Ce sont des principes de droit positif qui ont comme mérite la constance ou la répétition sur les différentes législatures républicaines. Ceci dénote l'incohérence des propos faisant croire que le juge constitutionnel veut imposer ces croyances philosophiques ou sa pensée jusnaturaliste aux décideurs publics.

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La garantie et le renouvellement de la démocratie par la justice constitutionnelle

Les principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps tirés du préambule de 1946 ont eux aussi acquis la valeur constitutionnelle. Contrairement aux droits civils et politiques, ceux-ci ont été décrits comme des droits-créances impliquant de la part des autorités leur engagement traduit par des prestations positives. Tandis que les droits de la première génération impliquent la création d'une sphère privée inviolable autrement dit l'abstention de l'état. La célèbre décision relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours de laquelle le droit à la santé a été promu au rang des droits constitutionnels est le commencement de cette politique jurisprudentielle. Il en est suivi la consécration des objectifs à valeur constitutionnelle susceptibles de porter des limites à d'autres libertés pour assurer l'ordre public, la sécurité, la tranquillité et la paix publique.

Comme c'est déjà dit, le Conseil concilie ces différentes libertés constitutionnelles sans reconnaitre de valeur hiérarchique formelle entre les différentes composantes du bloc de constitutionnalité. La règle latine « lex posterior derogat priori » unanimement adoptée dans les pays de droit romano-germanique y compris la France n'est pas de mise entre la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946 puisque, dit le Conseil, les deux textes ont été votés ensemble par le peuple français en 1958. Le Conseil se sert de sa marge d'appréciation discrétionnaire mais non arbitraire pour associer les droits et libertés constitutionnels divergents.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite