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L'administration de mission en droit burundais: cas de la Commission Nationale des Terres et autres Biens (C. N. T. B. )

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par Emmanuel NIYOMWUNGERE
Université du Burundi - Licence 2010
  

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C. La question de l'inconstitutionn

la C.N.R.A.R. et ses conséquences

1. Le point de départ

Les personnes expulsées suite aux décisions de la C.N.R.A.R. ou de ses délégués, en plus de la bataille politique qu'elles ont menée notamment par le sit-in devant la Présidence de la République, ont aussi engagé un combat judiciaire pour faire valoir leurs droits. Elles ont invoqué l'inconstitutionnalité de l'article 6 du D.-L. instituant la C.N.R.A.R. qui stipule que les décisions de cette dernière ont valeur de jugements coulés en force de chose jugée. Dans son arrêt du 21 novembre 1994, la Cour Constitutionnelle qui était saisie de l'action leur a donné effectivement raison en constatant l'inconstitutionnalité de cette disposition légale.118

Selon cet arrêt, la mission de rendre justice était effectivement réservée aux seuls Cours et Tribunaux par l'article 140 de la Constitution119; que de fait, les conditions de recrutement et de nomination des magistrats des Cours et Tribunaux, leur organisation et leur mode de fonctionnement sont soumis à des règles particulières en vue d'assurer la compétence, l'impartialité et l'indépendance de la Magistrature, et que par conséquent, l'organe créé par le D.-L. précité était une simple commission administrative qui ne présentait pas les garanties d'indépendance et d'impartialité d'un organe judiciaire.

116Voir C. UWERA, « Visite du Président Ndadaye en province Makamba. Bientôt un code foncier pour régler la question des rapatriés. », in Le Renouveau du Burundi n° 4218 du 18 octobre 1993, pp. 1-4

117 Voir le D.P. n°100/49 du 30 juillet 1993 portant nomination des membres de la Commission Nationale chargée du Retour, de l'Accueil et de la Réinsertion des Réfugiés burundais, B.O.B. n°10/93, pp.590-591

118 Voir, Cour Constitutionnelle du Burundi, Rôle de la Cour Constitutionnelle du Burundi (R.C.C.B.) n°31 du 21 novembre 1994 (inédit)

119 L'équivalent de l'art. 205 de la Constitution actuelle

L'inconstitutionnalité de cet article entraînait la remise en cause des actes juridictionnels de la C.N.R.A.R.120

2. Conséquences de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle

Nonobstant cette défensive de la Cour Constitutionnelle contre l'atteinte à la séparation des pouvoirs qui s'était manifestée par l'attribution des pouvoirs juridictionnels à la C.N.R.A.R. qui est un organisme administratif, le problème reste toujours d'actualité.

D'autres « commissions administratives » ayant la même nature et le même objet ont été recréées, en l'occurrence la C.N.R.S. et la C.N.T.B. La seule leçon tirée par l'Exécutif et le Législatif de l'arrêt susmentionné est qu'ils se sont gardés de reprendre la disposition selon laquelle les décisions de ces commissions ont valeur de jugements coulés en force de chose jugée, ne pouvant être attaqués que par tierce opposition.

Pour le reste, la lecture des textes créateurs de ces administrations de mission en charge de la réhabilitation des sinistrés laisse voir une attribution des fonctions juridictionnelles qui sont à tout le moins dissimulées. Ce qui a suscité une controverse sur la nature juridique de ces commissions et celle de leurs décisions.

En effet, selon une certaine opinion, les fonctions juridictionnelles de ces commissions ne ressortent pas explicitement des textes créateurs, et en considération du critère organique, ces commissions ne prennent que des actes administratifs. Ceci suppose que le recours juridictionnel contre toutes les décisions de ces commissions est de la compétence de la Cour Administrative. Cette opinion est décelable parmi la plupart des fonctionnaires de la C.N.T.B. qui veulent écarter le risque de la déclaration d'inconstitutionnalité de leurs décisions en application du précédent susmentionné. Ils soutiennent qu'ils agissent en qualité de médiateurs et non de juges. Cependant, les partisans de cette thèse éprouvent des difficultés dans la qualification juridique des décisions de la C.N.T.B. à cause de l'absence du cadre légal de la médiation ici chez nous121, et des lacunes des textes juridiques qui instituent cette entité administrative; d'autant plus qu'elle a mis en place une procédure de résolution des litiges très proche du droit judiciaire privé.

120 G. GATUNANGE, op. cit., p.15

121Voir G.WAKANA, La législation sur les méthodes alternatives (ou non judiciaires) de résolution des conflits, Bujumbura, 2008, Global Rights, p. 6

Selon une seconde opinion, différente de la précédente, l'interprétation des textes créateurs desdites commissions permettrait d'affirmer que ces dernières disposent des pouvoirs juridictionnels. Cette opinion domine dans le milieu universitaire. Elle souligne la persistance du risque de remise en cause des actes juridictionnels de ces commissions.

C'est ainsi que G.WAKANA écrit que « comme indiqué dans la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, la C.N.TB. risque d'tre qualifiée de simple commission administrative dont les solutions ne peuvent pas être considérées comme ayant la force de chose jugée. D'autre part poursuit-il, la loi qui organise la C.N.T.B. stipule en son article 22 que les décisions de la C.N.T.B. sont susceptibles de recours devant les juridictions compétentes, comme s'il s'agit de l'application du principe du double degré de juridiction consacré par notre système judiciaire. En d'autres termes, la C.N.T.B. serait une sorte de juridiction non prévue par le Code d'Organisation et de Compétence Judiciaires, ce qui serait encore une fois une violation de l'article 205 de la Constitution du 18 mars 2005, et partant inconstitutionnelle en application de lalurisprudence ci-haut citée. Le risque est donc là de revenir à la case départ. »1 2

Mais bien avant, G.GATUNANGE avait mentionné en 2004 que la question de l'inconstitutionnalité des décisions de la C.N.R.A.R. reste pleinement d'actualité, puisque l'Accord d'Arusha prévoit la création d'une Sous-commission ad hoc qui, à bien des égards, ressemble aux commissions

précédentes.123

3. Esquisse de solution

On peut trouver une solution à la question de la nature juridique des commissions en charge de réhabiliter les sinistrés et celle de leurs décisions qui concilie les divergences de vue en présence.

En effet, nous considérons que ces commissions sont des organismes administratifs, plus précisément des administrations de mission qui, de façon dérogatoire, font office de juridictions pour apurer rapidement le contentieux qui met en cause les sinistrés. Ce genre d'administrations prennent alors des actes « administratifs juridictionnels ».124

122G. WAKANA, op.cit., p.5

123G.GATUNANGE, op. cit., p.15

124 Voir A.BOCKEL, Droit administratif, Dakar-Abidjan, Les nouvelles Editions Africaines,

1978, p.165

La notion d'acte « administratif juridictionnel » est le résultat de la définition fonctionnelle des actes juridiques, ce qui constitue une dérogation à la définition organique des actes juridiques soutenue par la première opinion.

Le législateur étant le maître de la légalité, il arrive qu'il confie des fonctions juridictionnelles, à titre exceptionnel, à certains organismes administratifs. A ce titre, ils édictent des actes juridictionnels et non administratifs. Ces hypothèses sont à distinguer de celle où l'organe est juridictionnel par lui-même. Ce sont des structures administratives exerçant normalement des fonctions administratives qui, sans modifier forcement leur composition, font office de juridictions. Donc, les administrations de missions antérieures à la C.N.T.B. relativement à son mandat posaient comme elle, une partie des actes juridiques de nature juridictionnelle.

Nous pensons que la Cour Constitutionnelle ne devrait pas condamner de manière absolue et en tout temps les actes juridictionnels d'un organisme administratif. En cas de saisine éventuelle du cas d'espèce, elle devrait être amenée à tempérer sa rigueur et opérer un revirement de sa jurisprudence, en admettant la solution d'acte « administratif juridictionnel », à condition que ce soit à titre exceptionnel. Ainsi, le contexte historique de sortie de guerre et la nécessité de l'application de la Justice transitionnelle au Burundi, combinés avec d'autres raisons qui fondent l'usage de l'Administration de mission, justifient que des fonctions juridictionnelles soient confiées à des organismes administratifs tels que la C.N.T.B. et la C.V.R.

On ne doit pas perdre de vue que ces administrations de mission font partie des mécanismes de Justice transitionnelle prévus dans l'Accord d'Arusha. Dès lors, les juges de la Cour Constitutionnelle ne devraient pas aujourd'hui donner raison à ceux qui remettraient en cause les solutions exceptionnelles et alternatives issues de la C.N.T.B. et de la C.V.R. sans créer le risque de remettre en cause, ipso facto, l'Accord d'Arusha qui est en même temps la source de ces structures et même de la Constitution.

« Autre temps, autres moeurs »; et, pour des situations exceptionnelles, il faut des mesures exceptionnelles. Nous avons écrit lors de la définition que c'est la souplesse d'intervention de l'Administration de mission qui la fait bénéficier d'un régime juridique dérogatoire du droit commun administratif façonné par la loi et le juge pour garantir les droits des administrés et les exigences de l'intérêt général.

En résumé, le problème de la constitutionnalité des actes juridictionnels des organismes de mission trouve sa solution dans la notion d'acte « administratif juridictionnel » commandé par les circonstances exceptionnelles du moment ainsi que dans son bénéfice du régime juridique

dérogatoire du droit administratif commun. Cependant, les activités juridictionnelle et administrative sont aujourd'hui malaisées à distinguer. En réalité, la ligne de séparation manque de netteté et la question de savoir à quoi on reconnaît une juridiction ou une administration reste ouverte125.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille