Paragraphe 2 : Le public considéré aux fins
de l'appréciation du risque de confusion
La confusion est un état d'esprit, c'est l'état de
ce qui n'est pas clair. Ainsi comprise, la confusion est donc sise dans
l'esprit de quelqu'un qui prend quelque chose pour quelque chose d'autre.
Appliquée au droit des marques, la confusion est celle
qui, au sens de l'article 23 de la loi n°36- 2001, s'installe «
dans l'esprit du public » car c'est dans son application
au destinataire final de la marque que la confusion revêt un sens et
devient, par la même, susceptible d'appréciation.
1 Dans chaque espèce, le risque de confusion
revêt un sens précis et une manifestation particulière.
C'est le cas de ces décisions dans lesquelles la confusion a
été retenue : (BOURGEOIS c/ BATTIKH) : TPI,
Tunis, jugement n°12716 du 6 juin 1982. RTD 1995. p. 299 ; (ROYAL
CROWN INK U.S.A c/ S.C.B.G) : TPI, Sousse, jugement n°477 du 20
décembre 1982. RTD 1986. p. 569 ; (DIXAN c/ DEXEL) :
TPI, Tunis, jugement commercial n° 11380 du 18 janvier 2003.
(inédit) voir annexe n°9. Confirmé en appel par CA Tunis,
Arrêt commercial n°1810 du 19 janvier 2004. voir annexe n°10 ;
(CRISTAL c/ KRISTAL) : TPI, Tunis, jugement N° 64616 du 5
juillet 1983. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1. p.
145 ; (KIRI c/ RIKI) : TPI, Tunis, jugement N°460/08 du
23 octobre 1983. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997, n°1.
p. 148 ; (SONY c/ SONYA) : CA, Tunis, Arrêt N°1593
du 13 février 1987. Bulletin de la Doctrine et de la Jurisprudence 1997,
n°1. p. 150 ; (MAKNI c/ MAKNI AUDIO) : TPI, Tunis,
jugement n°81656 du 17 mai 1993. Cité par KTARI (S) :
pré-cit. R.J.L, mai 1997. p. 83 ; (WELLASTRATE c/ BEL
STRATE) : TPI, Tunis, jugement n°19598 du 27 décembre
1988. BOUDEN (O): op. cit. Annexe p. 170 ; (SUNSILK c/
SUPERSILK) : TPI, Tunis, JUGEMENT n°11049 du 4 mars 1985. BOUDEN
(O): op. cit. Annexe p. 103 ; (BENDIX c/ ALIF) : TPI, Tunis,
correctionnel n°18444 du 11 novembre 1989. BOUDEN (O): op. cit. Annexe p.
191.
Lors de l'appréciation du risque de confusion, le juge
se placera fictivement dans la situation d'un public de consommateur pour
savoir si confusion il y a ou non. La question qui se pose donc est celle de
savoir quel consommateur doit-on considérer à cette fin ?
S'agit-il d'un consommateur averti qui manifeste une attention
particulière à l'élément marque ou doit-on par
contre apprécier le risque de confusion par rapport au plus commun des
consommateurs ?
Raisonnablement, une jurisprudence à la fois ancienne
et constante a estimé, à juste titre, que le risque de confusion
doit être apprécié à l'égard d'un «
consommateur ordinaire d'attention moyenne »,1
ce n'est ni un esprit brillant ni un illettré, c'est une personne
douée de capacités mentales ordinaires. En effet, on ne peut
qu'approuver ce choix judicieux du moment qu'il rend compte de la
majorité écrasante du public des consommateurs.
Le consommateur est généralement conçu
comme l'antithèse du professionnel, c'est en effet une personne qui
acquiert ou utilise un bien ou un service à des fins privées.
Néanmoins, il n'y a pas lieu de distinguer, aux fins de
l'appréciation de la confusion, si le destinataire d'un quelconque
produit ou service est professionnel ou non car, même si l'on doit
admettre sa prise en compte, la qualité de professionnel ne joue -
semble t-il - qu'à titre de circonstance aggravante dans
l'esprit du juge toutes les fois où la contrefaçon se
révèle l'oeuvre d'un professionnel. 2
Une fois qu'on a admis le caractère ordinaire de la
personne à l'égard de laquelle s'apprécie le risque
confusion, on doit admettre par la même que cette entreprise doit
être opérée dans des conditions normales ou ordinaires qui
rendent compte du fait que le consommateur n'a pas forcément les deux
marques en question sous les yeux afin de les comparer.
De même, il faut considérer l'effet
d'accoutumance qu'exerce la marque qui par une sorte d'osmose fidélise
le public. Dans cette optique, il semble utile de citer une
considération décrivant cette situation : « La
marque de fabrique attire le consommateur final qui la retient et lui manifeste
un intérêt particulier s'il trouve satisfaction dans le produit
qu'elle désigne, en conséquence, il ne portera plus attention,
dorénavant, au nom du fabricant quiconque soit-il
».3
Dans le même sens, la Cour de Cassation a
rappelé, dans l'arrêt du 8 mai 2001,4 que la confusion
s'apprécie à l'égard « de l'acheteur
d'attention moyenne qui ne prête pas attention aux ressemblances de
détail dans les produits, qu'il se procure de temps à autre,
mais » garde en tête « une perception
d'ensemble de la marque qui les désigne sans s'attarder sur ses
particularités circonstanciées, ainsi, il ne garde (de
la marque) dans son esprit qu'une impression d'ensemble propre à
l'induire en confusion chaque fois qu'on lui mette sous les yeux une autre
marque qui lui ressemble sommairement ».
La jurisprudence tunisienne semble s'inscrire dans le droit fil
de cette démarche qui illustre pertinemment l'attitude du consommateur
tunisien à l'égard de la marque en général, par
1 Cass-civ n° 65931 du 8 mai 2001. Bull Civ 2001,
p 103. Les tribunaux utilisent souvent des formules équivalentes tel que
: consommateur ou acheteur ordinaire, moyennement attentif, d'attention ou
d'observation moyenne, etc.
2 TPI, Tunis, Jugement commercial n° 2703 du
11 avril 2000. (DRYPERS corporation c/
CIPAP). Voir annexe n°6. Les juges ont considéré
qu' « en vertu de son statut de professionnel, un commerçant doit
être en mesure de connaître pertinemment les marques notoires dans
son secteur d'activité, car étant soumis au droit commercial, il
se doit d'être loyal, diligent et de bonne foi afin de ne pas porter
atteinte à la règle de la confiance dans le domaine commercial
».
3 TPI, Sfax, jugement commercial n°970 du 14 mars
2000. (SCHWARZKOPF c/ JASMINAL) voir annexe n°1.
4 Cass-civ, n° 65931 du 8 mai 2001. Bull Civ
2001, p 103.
ailleurs, il est arrivé que les juges demandent l'avis de
personnes présentes à la salle d'audience sur l'existence du
risque de confusion entre deux marques dont l'une est la contrefaisante.
A notre sens, cette pratique ne peut qu'engendrer une grave
dénaturation de l'entreprise d'appréciation du risque de
confusion car il n'y a pas de meilleur moyen pour éclairer le jugement
qu'une expertise, d'autant plus que la personne interrogée sera
tentée de prendre en compte des éléments
extrinsèques aux marques elles-mêmes tels que les produits
eux-mêmes, les formes, les couleurs, l'emballage etc. Il en a
été ainsi dans deux affaires. 1
En définitive, on doit entendre par le risque de
confusion dans l'esprit du public au sens de l'article 23, la
possibilité d'une confusion créée, dans l'esprit d'un
consommateur d'attention moyenne, par la ressemblance de deux marques, l'une
originale et l'autre présumée contrefaisante, appliquées
à des produits ou services, selon le cas, identiques ou similaires.
Outre la condition de l'existence d'un risque de confusion, la
constitution du délit de contrefaçon au sens de l'article23
diffère selon qu'il s'agit des actes interdits pour des objets
similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ou des
actes répréhensibles du fait de leur application des objets
identiques ou similaires à ceux couverts par la marque
usurpée.
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