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la déconcentration de la gestion foncière au Cameroun: une analyse du décret numéro 2005/481 du 16 décembre 2005

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par Willy TADJUDJE
Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2005
  

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§2 - La décentralisation, une technique favorable à la gestion patrimoniale du foncier commun

En tant qu'instrument favorable à une gestion foncière efficace, la décentralisation doit passer par une rupture de la gestion monopolistique du foncier par l'Etat295(*) (A). Ainsi, elle pourrait promouvoir une gestion patrimoniale des ressources foncières par les acteurs locaux (B).

A - La rupture préalable de la gestion monopolistique du foncier par l'Etat

La terre est la première forme de richesse, en ce qu'elle confère des pouvoirs et des prérogatives énormes à son possesseur ou propriétaire. Comme les colons, l'Etat se comporte aujourd'hui en maître incontesté et incontestable de la gestion des ressources foncières296(*).  La législation laisse croire que le domaine national qui comprend deux dépendances297(*) est administré par l'Etat en vue d'en assurer une utilisation et une mise en valeur rationnelles. 298(*) Mais, à l'heure de la promotion de la bonne gouvernance dans tous les secteurs de la vie humaine, il faudrait bien que l'Etat accepte d'intégrer les acteurs locaux et leurs aspirations dans les processus de gestion de ces ressources.

Néanmoins, ces acteurs locaux devraient eux aussi être sérieux par rapport aux missions qui pourraient être ou seraient les leurs. En effet, il existe le risque que la décentralisation rende les questions foncières plus politiques et renforce les pouvoirs d'une élite sur les ressources foncières locales. A cet effet, le jurislateur devrait être prudent à ce niveau, car il importe que le pouvoir de tutelle soit bien défini et qu'il s'exerce convenablement299(*).

L'épreuve de la décentralisation consiste alors à transférer des compétences aux acteurs publics locaux, afin d'asseoir une gestion foncière où toutes les parties prenantes y interviennent pleinement. A cet effet, il convient de repréciser le contenu exact de la notion de domaine national. En réalité, c'est à ce niveau que se situe le centre du problème car, il faut constater que l'affirmation forte de la seule légitimité de l'Etat comme maître de la terre, se concrétise dans la généralisation, depuis les indépendances, d'une nouvelle notion, celle de domaine national, enveloppe multi contenus, mais justifiant toujours une idée unique : l'Etat est le seul acteur à pouvoir revendiquer le droit sur les terres qui ne sont pas appropriées, et à tout le moins, le seul à pouvoir en disposer, même sans les intégrer d'abord dans son propre domaine300(*).

La notion de domaine national est donc à redéfinir, car dans la plupart des législations des pays francophones africains, les textes législatifs participent, à travers la définition du domaine national, à l'érection de l'Etat en maître absolu de la gestion des terres301(*), surtout communes.

Même lorsque la décentralisation est amorcée, elle est généralement assez mal conduite de telle manière que des problèmes surgissent parfois très prématurément. Dans cette perspective, il n'est pas exclu que malgré son aménagement, que l'Etat continue d'exercer l'essentiel de son contrôle sur les ressources communes locales, se refusant ainsi d'abandonner ses prétentions et droits sur la gestion du foncier302(*). Dans le même ordre d'idées, la décentralisation dans ce contexte apparaît aujourd'hui très largement comme une déconcentration plus ou moins « habillée » d'une autonomie locale qui paraît très limitée, faute de base certaine de légitimité, aussi bien politique que fonctionnelle303(*).

B - La promotion d'une gestion patrimoniale du foncier

Au-delà de la gestion foncière où le monopole de l'Etat est encore avéré, des efforts peuvent être orientés en vue de décentraliser et de rendre patrimoniale la gestion d'autres ressources naturelles, à l'instar de celles forestières et fauniques.

En effet, la loi de 1994 suscitée semble friser cette approche par la création des forêts et territoires de chasse communautaires. Cette possibilité constitue un moyen de lutte contre le gaspillage et la destruction anarchiques des ressources naturelles, par la focalisation des appétits des autochtones riverains sur ces forêts et territoires. Ces espaces, à la suite de leur création, doivent être dotées d'un plan simple de gestion approuvé par l'administration chargée des forêts, et toute activité y menée doit se conformer audit plan. Ce plan simple de gestion oblige ainsi tous les membres de la communauté à gérer les ressources avec parcimonie, tout en se souciant de leurs pérennisation et durabilité. Aussi, l'administration chargée des forêts doit-elle leur apporter une assistance technique gratuite.

La loi de 1994 n'opère pas la gestion participative forestière uniquement entre l'administration forestière et les communautés villageoises. Elle va plus loin en offrant des forêts aux collectivités décentralisées par classement, et les encourage à en planter304(*).

La création d'une forêt communale entraîne des avantages considérables pour la commune bénéficiaire. D'abord, des revenus directs seraient générés à son profit à travers la vente du bois et d'autres produits forestiers non ligneux et, éventuellement la promotion de l'écotourisme. Ensuite, des emplois pourraient être crées dans la commune (pisteurs, agents de la cellule technique de foresterie, etc.). Enfin, le bien-être des populations serait atteint car la forêt communale est une surface gérée de commun accord avec les populations locales, citoyens communaux, et bénéficiaires de la foresterie communale. Malheureusement, « à ce jour, peu de forêts communales ont été classées au profit des communes »305(*). En effet, celles-ci se « sont focalisées sur les redevances forestières annuelles et très peu sur l'opportunité qu'offre la loi d'améliorer la gouvernance locale et de créer un pôle de développement à travers la création des forêts communales »306(*).

En ce qui concerne les ressources fauniques, à la suite de la loi de 1994 précitée, le décret no 95/466/PM du 26 juillet 1995 fixant les modalités d'application du régime de la faune, en ses articles 25 et suivants définit les règles gouvernant la création de territoires de chasse communautaires au profit des communautés riveraines. Il suffit donc ici, comme en matière forestière, d'organiser la gestion de ces territoires sur la base des principes issus de la négociation patrimoniale pour que l'exploitation des ressources fauniques soit rationnelle sous toutes les logiques en présence.

Il ressort des développements précédents que la décentralisation et la patrimonialisation de la gestion des ressources naturelles ont déjà des embryons de rampe de leur lancement au Cameroun. Mais, si la concrétisation de la décentralisation de cette gestion reste encore attendue, c'est parce que l'Exécutif le veut.

Sur le plan patrimonial, l'Exécutif camerounais semble d'autant ignorant que l'approche patrimoniale, si vulgarisée en Afrique de l'ouest, est inconnue en Afrique centrale pour défaut de doctrine tant en la matière qu'en matière foncière en général. Le décret no 2005/481 aurait pu consacrer cette approche en prescrivant les modalités spéciales du bornage des terres patrimoniales, pourquoi pas de leur immatriculation. Car, de telles terres, en tant que biens indivis à perpétuité, peuvent être immatriculées pour leur sécurisation certaine.

Quoi qu'il en soit, le jurislateur de 2005 n'a pas cru devoir emboîter le pas à celui de 1994 et réserve encore à l'Etat l'exclusivité des pouvoirs, en matière de gestion foncière. Au regard des avantages qu'offrent la décentralisation et la patrimonialisation dans les domaines forestier et faunique, il est presque certain que les pouvoirs publics finiront par intégrer les acteurs locaux dans la gestion des ressources foncières, parce qu'aucune réglementation ne peut être définitive. Au contraire, elle est susceptible de modifications et d'être complétée au gré des évolutions et des exigences sociales.

Conclusion du chapitre 2

Les développements de ce dernier chapitre ont permis de réaliser que le rapprochement de l'administration foncière des usagers tel que promu par le décret de 2005 a été insuffisant pour atteindre des résultats satisfaisants. Il devient donc important de renforcer un tel rapprochement en engageant par exemple la départementalisation de la gestion foncière. Cette technique constitue une amplification de la provincialisation dans la mesure où la procédure d'immatriculation devra se dérouler sans aller au delà des limites du département, partie intégrante de la province.

Une autre stratégie consiste à mettre l'accent sur la participation de tous les acteurs sociaux dans les processus de gestion foncière. On parle alors de décentralisation de la gestion foncière. Dans cette perspective, l'Etat, plus que n'importe quel autre acteur, est interpellé pour son rôle particulièrement déterminant dans la mise en oeuvre et la réussite de projets de cette envergure. En effet, plusieurs auteurs plaident de plus en plus pour l'avènement, en Afrique noire francophone, d'une gestion foncière patrimoniale et décentralisée307(*). Il en est de même des bailleurs de fonds et des organismes internationaux intéressés par les questions foncières et environnementales308(*).

En définitive, le Cameroun a une alternative : soit il maintient sa législation actuelle en conservant la déconcentration de la gestion foncière dans sa présente nomenclature et en rejetant toute autre politique foncière, soit alors il s'engage progressivement sur la voie de l'une des deux pistes proposées ci-dessus. Il faut dire qu'embrasser la première proposition serait une façon pour l'Etat de refuser d'envisager une politique foncière démocratique.

Conclusion du titre second

Tout au long de ce titre, on s'est attelé à justifier le caractère insuffisant ou inachevé du rapprochement entre l'administration foncière et les usagers, tel que cela se dégage des dispositions du décret de no 2005/481. C'est ainsi que deux directions ont été empruntées à cet effet. Tout d'abord, il a été question de relever les difficultés qui empêchent le déploiement harmonieux de la gestion foncière actuelle. Des problèmes aussi bien inhérents à l'administration qu'extérieurs à celle-ci ont été soulignés. Par la suite, on a essayé de proposer des solutions en vue de parvenir à une administration foncière beaucoup plus proche des populations ou à une gestion foncière patrimoniale et décentralisée.

En définitive, la combinaison réussie de la décentralisation et de la patrimonialisation de la gestion foncière serait le gage du développement concret et durable du monde rural et par conséquent de tout le territoire309(*). Il importe donc que le jurislateur camerounais intègre la matière foncière dans les compétences transférées aux collectivités publiques décentralisées dans le cadre de la décentralisation administrative310(*).

* 295 Pour plus de précisions sur la question de l'Etat comme maître de la terre, lire BACHELET (M), Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire, Paris, LGDJ, 1968, p. 298 et s..

* 296 Voir l'analyse de la question, telle que menée par LAVIGNE DELVILLE (P) et CHAUVAU (J-P), « Quelles politiques foncières en Afrique noire rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité », Quelles politiques foncières pour l'Afrique ?, Ministère de la Coopération/Karthala, Paris, 1998, pp. 731-736 ; MELONE (S), La parenté et la terre dans la stratégie du développement, l'expérience camerounaise, étude critique, édition KLINCSIECK, Paris, 1972, p. 174 ; OWONA MANY (G B), L'état actuel du contentieux de l'immatriculation en droit camerounais, mémoire de DEA, Université de Yaoundé II, 2005, p. 4.

* 297 Voir article 15 de l'ordonnance no 74/1 du 06 juillet 1974 fixant le régime foncier.

* 298 Article 16 §1 du texte précité.

* 299 Voir ROCHEGUDE (A), op. cit., ibidem.

* 300 ROCHEGUDE (A), idem, p. 26.

* 301 Au Gabon par exemple, le domaine national inclut le domaine privé et le domaine public de l'Etat, plus les terrains vacants et sans maître. Au Mali, le domaine national est le cadre juridique qui accueille l'ensemble des terres classées en fonction de leur statut foncier, aussi bien public que privé, domanial que foncier. Au Sénégal, « constituent de plein droit le domaine national toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n'a pas été transcrite à la Conservation des Hypothèques (...)» (Article 1 de la loi no 64-46 du 17 juin 1964, relative au domaine national).

* 302 Voir DIOP (M), op. cit., p. 163.

* 303 ROCHEGUDE (A), idem, p. 16.

* 304 Voir article 30 de la loi de 1994 précitée.

* 305 Voir GTZ (Cameroun), « Brochure d'information sur les forêts communales », projet d'appui à la gestion durable et à la certification des forêts communales, 2007, p. 4.

* 306 Voir GTZ (Cameroun), ibidem.

* 307 Voir à cet effet, DIOP (M), ROCHEGUDE (A), LE ROY (E) ... tels qu'ils ont été cités ci-dessus, au cours de la deuxième partie de ce mémoire.

* 308 C'est le cas notamment du FIDA (Fond International de Développement Agricole), de la FAO (Fond des Nations Unies pour l'Alimentation), du PAM (Programme Alimentaire Mondial), du CIRADR (Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural), de la Commission européenne, de la Banque mondiale, etc.

* 309 Lire LE ROY (E), « Comment aborder la sécurisation foncière de l'agriculture moderne à la périphérie de Libreville (Gabon) ? », communication au colloque « citadins et ruraux en Afrique à l'aube du 3e millénaire », Université catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, 29-31 octobre 1998, passim.

* 310 Lire DIOP (M), op. cit.,  p. 163.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault