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la déconcentration de la gestion foncière au Cameroun: une analyse du décret numéro 2005/481 du 16 décembre 2005

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par Willy TADJUDJE
Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2005
  

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SECTION 2 - L'IMPORTANCE DE LA PRISE EN COMPTE DE LA DONNE INTERNATIONALE : L'URGENCE DE LA DECENTRALISATION DE LA GESTION FONCIERE

L'idéal en matière de rapprochement de l'administration foncière de l'usager est la décentralisation. La mise sur pied de la décentralisation266(*) de la gestion foncière267(*) au Cameroun devrait se faire progressivement dans la mesure où elle dépend étroitement de l'organisation de la décentralisation administrative. Au Cameroun, cette dernière semble prendre beaucoup de temps pour sa matérialisation effective, compte tenu de l'ampleur des mesures et des précautions qui conditionnent sa mise en oeuvre pérenne268(*).

Quoi qu'il en soit, il devient de plus en plus urgent d'envisager la décentralisation progressive de la gestion foncière269(*) parce que  le droit de la terre, les droits sur les terres, qui, ensemble, constituent le foncier, apparaissent comme un enjeu essentiel de la répartition des pouvoirs ainsi que de la légitimité des acteurs publics270(*). En outre, comme le remarque M. Alain ROCHEGUDE, « la décentralisation apparaît aujourd'hui comme un des moyens privilégiés de développement, de la gestion des hommes et des ressources ». En effet, poursuit l'auteur, « plusieurs pays africains se sont lancés dans ce processus. Cette approche nouvelle de développement pourrait être susceptible d'intégrer les traditions africaines dans la gestion des hommes et des ressources»271(*).

L'urgence de décentraliser la gestion foncière est donc signalée272(*), car la décentralisation est un mécanisme permettant d'aboutir à une gestion foncière démocratique, participative et surtout patrimoniale (§ 2). Avant d'examiner ce mariage entre décentralisation foncière et gestion patrimoniale, il échoit d'apporter au préalable, des clarifications conceptuelles (§ 2).

§1 - Les clarifications conceptuelles

Le scellage d'une alliance forte entre gestion patrimoniale (A) et décentralisation de la gestion foncière (B) devrait constituer aujourd'hui un enjeu majeur pour l'Afrique en quête de paix, de stabilité politique et de progrès socio économique.

A - La gestion patrimoniale du foncier

L'Afrique est aujourd'hui caractérisée par le concept de « l'entre deux »273(*). Cela signifie qu'elle évolue généralement avec deux sortes de politiques et de pratiques foncières qui s'imbriquent très peu. C'est ainsi qu'on a cumulativement la politique à base de la tradition et celle à base de la modernité. Du fait de la juxtaposition de ces deux approches, la loi s'oppose à la coutume, la propriété à la tenure ou possession, etc. On parle donc du paradigme de l'entre deux pour caractériser un ensemble d'innovations qui ne se situent pas en rupture, mais se présentent comme des adaptations ou des réinterprétations274(*) suivant la cosmogonie africaine.

Face à ce choc des systèmes, le Cameroun, tout comme les autres Etats africains ont eu du mal à promouvoir des modes de gestion foncière susceptibles de consensus auprès de tous les acteurs sociaux. C'est ainsi que les uns ont privilégié une gestion publique275(*) et les autres une gestion privée276(*). Face à ces deux modes antagonistes, le Pr. Etienne LE ROY a proposé une voie intermédiaire pour la gestion du foncier commun : la gestion patrimoniale277(*). Cette logique repose sur une conception de la terre et des ressources communes comme patrimoine commun278(*) et n'interdit pas une évolution vers la propriété privée car elle la considère d'ailleurs comme une des solutions à la sécurisation foncière279(*).

Dans le même ordre d'idées, si le Droit n'est pas seulement ce que disent les textes mais principalement ce qu'en font les usagers et/ou les citoyens, une politique juridique prônant une gestion durable et reproductible doit reposer sur une mobilisation et une responsabilisation de ses bénéficiaires. Il s'agit dès lors de promouvoir une gestion locale des ressources foncières qui ne se contente pas d'inverser la démarche descendante de la conception « participative »280(*) classique. Il convient plutôt de penser les problèmes avec une simplicité de moyens et d'interventions qui rendent incontournable la pratique d'une négociation avec les populations locales dans un rapport garantissant l'autonomie des choix et de décision des communautés locales. Ces exigences débouchent en fait sur ce qu'il est convenu d'appeler la négociation patrimoniale281(*).

L'esquisse d'une telle négociation existe déjà au Cameroun, du moins textuellement, dans le cadre de la gestion des ressources forestières et fauniques. En effet, la loi no 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la pêche et de la faune, marque un souci d'implication, malheureusement fort partielle, des acteurs locaux dans cette gestion. Elle permet ainsi aux communautés et aux communes d'acquérir et gérer des parties du domaine forestier national282(*). Elle prévoit également des possibilités de création de territoires de chasse communautaires, comme on le verra ci-dessous. Pour que cette gestion soit confiée effectivement et efficacement à ces acteurs locaux, une négociation patrimoniale préalable avec l'administration forestière ou faunique est nécessaire. Pour être fructueuse, elle mérite d'être menée dans le cadre d'une politique foncière préalablement et effectivement décentralisée.

B - La décentralisation de la gestion foncière

A l'origine de l'idée de décentralisation, il y a une reconnaissance de la liberté de l'organisme qui en bénéficie ; liberté qui s'analyse juridiquement dans la faculté de se donner soi-même des normes qui le régissent. La décentralisation se traduit concrètement par le transfert d'attributions de l'Etat à des institutions territoriales ou techniques juridiquement distinctes de lui et bénéficiant sous la surveillance de l'Etat, sinon d'une autonomie certaine, du moins d'une certaine autonomie de gestion. Elle se caractérise principalement par la personnalité juridique et l'autonomie financière reconnue à l'institution décentralisée. Mais, un certain contrôle de l'Etat subsiste, et c'est ce qu'on appelle en la matière, le pouvoir de tutelle283(*).

La décentralisation présente deux formes : la décentralisation territoriale ou géographique284(*) et la décentralisation technique ou par service. Cette dernière forme nous intéresse ici et se traduit par la transformation d'un service public sans autonomie en un établissement public doté de la personnalité juridique et de l'autonomie financière.

Comme on l'a indiqué ci-dessus, la décentralisation de la gestion foncière ne peut que suivre le modèle et les modalités de la décentralisation administrative. Cette précision suppose qu'il convienne d'analyser les textes portant orientation de la décentralisation pour avoir une idée de l'aménagement de la décentralisation de la gestion foncière au Cameroun. En parcourant la loi no 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation, il est plausible de relever qu'aucune mention relative à la gestion foncière n'y est faite. Il en est de même en ce qui concerne la législation burkinabé285(*).

Cette réalité rejoint tout à fait le point de vue de M. Alain ROCHEGUDE selon lequel  « le constat fait à travers l'examen d'une quinzaine de pays, y compris anglophone et lusophone, donc de tradition juridique différente de celle des pays francophones, est sans ambiguïté : pratiquement partout, (...) le foncier ne fait pas partie des compétences transférées ; l'Etat entend conserver la maîtrise de la terre, même si des évolutions inverses commencent d'être esquissées dans certains pays »286(*).

Si la décentralisation est perçue par le jurislateur comme l'« axe fondamental de promotion du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local »287(*), il se pose la question de savoir comment est-il possible de favoriser le développement local à travers la décentralisation, sans intégrer la gestion foncière, étant entendu que la terre est le principal instrument de production des richesses et de culture chez les ruraux288(*).

C'est dans le même sillage qu'est orienté une étude menée par M. Moustapha DIOP289(*). En effet, cet auteur y regrette la centralisation de la gestion foncière qu'a connue la Guinée jusque dans les années 96. Aujourd'hui que les choses ont changé positivement290(*), il ne manque pas de saluer les efforts des pouvoirs publics de ce pays lorsqu'il affirme que « cette politique tente surtout de faire une rupture radicale avec la politique de centralisation de l'ancien régime et son système de parti- Etat », tout en ajoutant allègrement que « cette nouvelle forme de gestion se propose d'attribuer des moyens aux collectivités pour qu'elles puissent s'administrer directement et librement avec la participation des populations »291(*).

La décentralisation de la gestion foncière doit donc être organisée de telle façon que des compétences soient pleinement transférées aux autorités locales, et que celles-ci aient des marges de manoeuvre leur permettant d'agir dans le sens de promouvoir le bien être des populations de la localité. Il faudrait donc allier le foncier et la décentralisation en révisant en profondeur la législation foncière292(*).

Aussi, étant donné que la décentralisation n'est qu'un mode de fonctionnement de l'Etat unitaire293(*), il faut dire que la tutelle de l'Etat n'est pas à négliger. En effet, « la place de l'Etat demeure de ce point de vue essentielle, celle du seul acteur capable, au moins en théorie, de dépasser les égoïsmes locaux pour imposer le partage, le souci du collectif difficilement perceptible au niveau local (...), l'égalité des citoyens, la sanction nécessaire quand la négociation ne fonctionne plus, etc. »294(*). Il revient, de la même façon à l'Etat, de bénir l'union entre décentralisation et gestion patrimoniale des ressources foncières.

* 266 Sur l'historique et l'évolution de la décentralisation en Afrique, voir LAVIGNE DELVIGNE (P), «  La décentralisation administrative face à la question foncière (Afrique de l'ouest francophone rurale) », Working papers on African societies n°39, 1999, p. 18.

* 267 La décentralisation ne concerne pas seulement la gestion foncière, mais la gestion de toutes les ressources naturelles au niveau local (voir dans ce sens IBRAHIMA DIALLO, Le droit de l'environnement au Sénégal (le droit et les populations rurales : vers un compromis entre le droit forestier étatique et le droit de la pratique), mémoire de DEA en Etudes africaines, Université de Paris Panthéon Sorbonne, juin 1998, pp. 17 et s. ; MUTTENZER (F), « La mise en oeuvre de l'aménagement forestier négocié ou l'introuvable gouvernance de la biodiversité à Madagascar », Bulletin de liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris ; no 26, septembre 2001, pp. 93 et s.).

* 268 Concernant la mise en oeuvre de la décentralisation, lire ROCHEGUDE (A), « Foncier et Décentralisation, Réconcilier la légalité et la légitimité des pouvoirs domaniaux et fonciers », Bulletin de liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris, no 26, septembre 2001 pp. 13-32. Cet auteur remarque que « cet exercice apparaît très difficile partout, même s'il faut constater que la région est souvent mise en attente, faute de moyens pour l'organiser et la faire fonctionner ». LAVIGNE DELVILLE (P) et CHAUVAU (J-P) présentent la même opinion (voir  « Quelles politiques foncières en Afrique noire rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité », Quelles politiques foncières pour l'Afrique ? Paris, Ministère de la Coopération/Karthala, 1998, pp. 731-736).

* 269 Sur la question de l'irréversibilité de la décentralisation de la gestion foncière et des ressources naturelles en Afrique, lire IBRAHIMA DIALLO, op. cit., pp. 17 et s..

* 270 ROCHEGUDE (A) : op. cit., p. 13.

* 271 ROCHEGUDE (A), « Les instances décentralisées et la gestion des ressources renouvelables », Quelles politiques foncières pour l'Afrique ? Paris, Karthala, Coopération française, 1998, pp. 403-423.

* 272 Voir LAVIGNE DELVIGNE (P), op. cit., p. 18 ; LE MEUR (P Y), « Décentralisation et développement local, espace public, légitimité et contrôle des ressources », Les cahiers du GEMDEV no 27, 2001, pp. 75- 90 ; ROCHEGUDE (A), op. cit., pp. 13-32.

* 273 LE ROY (E), « Comment aborder la sécurisation foncière de l'agriculture moderne à la périphérie de Libreville (Gabon) ? », communication au colloque « citadins et ruraux en Afrique à l'aube du 3e millénaire », Université catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, 29-31 octobre 1998, p. 1.

* 274 Certains auteurs parlent dans cette perspective de « transitions foncières » pour marquer la généralisation de la société capitaliste (voir LE ROY (E), idem, p. 2).

* 275 Ce mode de gestion est en perte de vitesse avec le reflux des expériences socialistes en Afrique (voir LEROY (E), idem, p. 4).

* 276 La gestion privée a contribué à la progression d'un capitalisme égoïste (voir LE ROY (E), idem, p. 4).

* 277 Voir LE ROY (E), KARSENTY (A) et BERTRAND (A), La sécurisation foncière en Afrique : pour une gestion viable des ressources renouvelables, Paris, Karthala, 1996, p. 301 et s..

* 278 « Un patrimoine est, par définition, inaliénable (ce qui le distingue fondamentalement de la propriété) et il est de nature intergénérationnelle (...), il a un caractère permanent, et il est intimement lié à l'identité de ses titulaires dont il est une composante essentielle » (voir LE ROY (E), KARSENTY (A) et BERTRAND, op. cit., ibidem).

* 279 Voir LE ROY (E), « Comment aborder la sécurisation foncière... », op. cit., p. 4.

* 280 La gestion participative est une technique qui permet certes d'aboutir à une organisation plus efficace de la gestion foncière, en privilégiant l'offre de meilleurs services. Mais, elle a ceci de négatif qu'elle n'améliore pas ce qui existe, elle ne tient pas compte des générations futures, et c'est la raison pour laquelle l'on privilégie de plus en plus la gestion patrimoniale (voir LAVIGNE DELVILLE (P), op. cit., p. 6).

* 281 LE ROY (E), idem, p. 14.

* 282 Voir articles 20 et s. de la loi de 1994 précitée.

* 283 Voir KEUTCHA TCHAPNGA (C), Cours d'institutions administratives et droit de la décentralisation, 1ere année de licence, Université de Dschang, Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, année 2001/2002, inédit.

* 284 Cette forme de décentralisation concerne les collectivités territoriales (voir KEUTCHA TCHAPNGA (C), ibidem).

* 285 Loi no 040/98/AN du 03 août 1998 portant orientation de la décentralisation au Burkina Faso.

* 286 ROCHEGUDE (A), op. cit., p. 19.

* 287 Article 2(2) de la loi no 2004/017 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation au Cameroun.

* 288 Voir LE ROY (E), « Au carrefour du public et du privé, la question foncière », La lettre de la CADE no 68, décembre 2003, p. 1, www.afrique-demain.org.

* 289 DIOP (M), « Légitimation, paradoxe et contradiction du caractère « public » du foncier en Afrique : du monopole foncier de l'Etat à la décentralisation des ressources foncières », Bulletin de liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris ; no 26, septembre 2001  pp. 141-163.

* 290 Le changement positif suppose le passage de la centralisation à la décentralisation administrative.

* 291 DIOP (M), op. cit., p. 163.

* 292 Voir BAKAYOKO (I), « L'Afrique à l'épreuve de la décentralisation : les enjeux de la transformation foncière, cas du Mali », Assemblée générale du CODESRIA, Maputo, décembre 2005, pp. 8 et s., www.codesria.sn.

* 293 A coté de la décentralisation, il y a la centralisation, la déconcentration et le régionalisme.

* 294 ROCHEGUDE (A), op. cit., p. 14.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus