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la déconcentration de la gestion foncière au Cameroun: une analyse du décret numéro 2005/481 du 16 décembre 2005

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par Willy TADJUDJE
Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2005
  

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§2 - La démystification de l'obtention du titre foncier

Même s'il est de l'essence de la propriété d'appartenir à un seul94(*), M. Joseph COMBY souligne que la révolution95(*) n'a pas crée la propriété, qu'elle a juste inventé le propriétaire, et l'a façonné comme un petit monarque absolu au milieu de son territoire exclusif96(*). L'appropriation de la terre voit le jour en Occident à partir de la Déclaration française des droits de l'Homme de 1789. Elle constitue aujourd'hui, aux yeux du Pr. Etienne LE ROY, un moyen d'encadrer et sécuriser les droits et pratiques des citoyens97(*). Cela suppose donc qu'il soit important d'assurer l'accès simple et facile d'un plus grand nombre au titre foncier, d'où l'idée de la démystification de son obtention. Cette démystification a une signification qu'il convient d'analyser (A) avant de s'attarder sur l'idée que les usagers s'en font (B).

A - La signification de la démystification de l'obtention du titre foncier

Etymologiquement, le substantif « démystification » vient du verbe « démystifier » qui signifie ôter, dissiper le caractère mystique d'une chose ou d'un phénomène. Il en résulte que ce qui est mystique inspire l'idée des pratiques que devraient seuls connaître et maîtriser les initiés. Or c'était à peu près le cas avec la procédure d'immatriculation et, pourquoi pas, avec le titre foncier. Il en résulte les volets suivants de cette rubrique : l'objectif du jurislateur à travers la démystification de l'obtention du titre foncier (1), d'une part, et les conséquences juridiques de cette démystification, d'autre part (2).

1 - L'objectif du jurislateur à travers la démystification de l'obtention

du titre foncier

C'est conscient des difficultés qu'éprouvait l'usager sous l'empire de l'ancienne procédure d'immatriculation que le jurislateur de 2005 a décidé de faciliter l'obtention du titre foncier au Cameroun. En effet, à cette époque, obtenir un titre foncier relevait d'un pur mystère, compte tenu des difficultés qui entouraient la délivrance de ce document.

Des propos de M. TALBA MALLA dans le journal Domaines-Infos98(*), il ressort que le décret du 16 décembre 2005 a réveillé chez les anciens demandeurs de titres fonciers de tristes souvenirs99(*). Le géomètre Henri NJOMGANG remarque par exemple que certains dossiers séjournaient parfois pendant plusieurs années dans les circuits du ministère avec pour couronnement final, des rejets fantaisistes100(*). Or s'il est aujourd'hui possible d'obtenir un titre foncier en moins de 12 mois, il s'ensuit que cette obtention a été démystifiée, qu'elle n'est plus réservée aux « seuls initiés ». La démystification suppose donc la simplification car, chaque usager peut aujourd'hui, en principe, obtenir aisément son titre foncier, sans avoir à subir des tracasseries. Touts comptes faits, le souci du jurislateur n'a pas seulement été la démystification de cette obtention. Il a également été question de démystifier le titre lui-même.

2 - La démystification du titre foncier 

Au-delà de la démystification de l'obtention du titre foncier, l'on s'aperçoit que le jurislateur de 2005 a également démystifié le titre foncier. Car, en réalité, « la  législation commence toujours par faire semblant de croire au droit de propriété, pour en multiplier les limites, contraintes et exceptions»101(*). En effet, parler de la démystification du titre foncier revient ici à faire allusion à sa dénaturation, liée à la perte de son absolutisme. Ceci est justifié dans une certaine mesure et dans la pratique par le fait qu'il n'est pas possible, même en France, de trouver un terrain sur lequel un propriétaire aurait tous les droits. Un tel terrain n'aurait aucune valeur102(*). Pour bien percevoir cette idée de démystification du titre foncier, il convient de partir de l'analyse de ses caractères. « Le titre foncier est inattaquable, intangible, définitif »103(*).

Parce qu'il est inattaquable, il ne peut en principe plus être contesté dès qu'il a été délivré. En d'autres termes, si celui qui l'a obtenu n'était pas le véritable titulaire des droits fonciers, il va quand même demeurer propriétaire du terrain. Mais, ce caractère est atténué par les dispositions de l'article 2 (3 et 4) (nouveau) du décret de 2005, lesquelles sont rappelées constamment, en cas de besoin, par le juge administratif104(*). Intangible, le titre foncier ne peut pas être modifié, sauf en cas de rectification105(*), et sous la responsabilité du conservateur foncier. Quant au caractère définitif, il signifie que le titre foncier s'octroie une seule fois sur la terre concernée106(*), qu'il n'est pas susceptible de prescription et qu'il n'admet pas de titre concurrent.

Curieusement, les caractères inattaquable et définitif sont aujourd'hui affaiblis par l'article 2(6 §1) (nouveau) du décret de 2005. Cet article dispose que « lorsque plusieurs titres fonciers sont délivrés sur un même terrain, tous sont déclarés nuls de plein droit, et les procédures sont réexaminées pour déterminer le légitime propriétaire ». Contrairement à la législation antérieure107(*), le décret de 2005 fragilise le titre foncier et, par conséquent, le droit de propriété. Avec cette disposition, le titre foncier n'est plus véritablement définitif et inattaquable. Encore qu'avec le décret de 1976, l'article 2 restreignait déjà l'absolutisme du titre foncier. En effet, le ministre avait, et a toujours compétence pour ordonner le retrait d'un titre foncier108(*), comme on le verra plus loin109(*).

Dans le même ordre d'idées, la démystification du titre foncier est également de plus en plus renforcée par le développement du recours à la fiducie110(*). En effet, le titre foncier qui matérialisait le droit réel principal par excellence, c'est-à-dire le droit de propriété, constitue avec la fiducie111(*), le symbole d'un droit réel accessoire, à travers son utilisation comme moyen de garantie des crédits112(*). Certes, il est vrai que l'idée d'une propriété absolue est difficilement imaginable113(*), mais on ne peut manquer de remarquer que cette pratique porte atteinte au fameux principe de l'article 544 du Code civil selon lequel « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Il est donc clair que le propriétaire contemporain n'est plus exactement ce « petit monarque absolu au milieu de son territoire exclusif »114(*), mais plutôt un propriétaire dépendant d'un faisceau de relations sociales. Aussi, relativement à la démystification de l'obtention du titre foncier analysée ci-dessus, il convient de s'interroger sur la réception et la perception de celle-ci par les usagers.

B - L'opinion des usagers sur la démystification de l'obtention du titre foncier

Chez les usagers, il existe des points de consensus (1) et de divergence (2) au sujet de la question de la démystification de l'obtention du titre foncier par le décret de 2005.

1 - La convergence des points de vue : l'admission massive de l'idée d'une amélioration de la procédure d'immatriculation depuis le décret de 2005

Après la publication du décret de 2005, les usagers du service public des Domaines et Affaires foncières ont aussitôt été flattés par la déconcentration, commencée par un autre décret de 2005115(*), et qu'il a essayé de concrétiser sur le plan pratique. C'est ainsi que les services compétents, conformément à la nouvelle procédure116(*), ont été très tôt visités par des usagers en quête du titre foncier117(*). C'est vrai qu'ils ne peuvent pas ne pas déplorer certaines situations118(*), mais lorsqu'il s'agit de faire une comparaison avec l'ancienne procédure, tous confirment unanimement que beaucoup de choses ont changé et qu'il est désormais plus facile à un usager d'obtenir le titre foncier sur son terrain coutumier.

A tout considérer, la sortie effective des titres de la réforme119(*), c'est-à-dire des titres fonciers obtenus dans une période comprise entre six et douze mois, a sûrement été un moyen pour l'administration foncière de redonner confiance aux usagers120(*), à un moment où ceux-ci continuaient d'estimer que l'obtention du titre foncier relève d'un pur mystère. Mais, malgré cela, nombreux sont encore ceux qui doutent des perspectives réelles de cette réforme.

2 - Les divergences de positions sur les perspectives du décret de 2005

Il ressort des conclusions des descentes que nous avons faites sur le terrain que beaucoup de Camerounais, bien que n'ignorant pas l'existence d'une réforme en matière foncière et des innovations qu'elle a introduites, font fi de celle-ci. C'est ainsi que bien qu'étant conscients de cette réalité, qu'ils n'aient pas malgré tout, l'intention d'envisager une quelconque procédure d'obtention du titre foncier sur leur tenure. Cette léthargie peut s'expliquer de deux façons. Premièrement, s'ils se comportent de la sorte, ce serait par ignorance de la valeur sécuritaire du titre foncier. A cet effet, le titre foncier ne serait pas pour eux quelque chose d'important, bref, il ne ferait pas partie de leurs habitudes. Deuxièmement, un pareil comportement pourrait s'expliquer par une perte de confiance envers les pouvoirs publics. Dans cette perspective, d'aucuns estiment que la réforme n'a pas produit des effets significatifs, comme pour dire qu'elle n'est pas allée plus loin que « dévêtir Saint Pierre pour habiller Saint Paul », bref, qu'elle n'est qu'une reconduction des mêmes tares de la législation foncière antérieure du pays.

Conclusion du chapitre premier

De ce qui précède ; il ressort que la provincialisation constitue un moyen de modernisation du droit foncier au Cameroun. Elle se manifeste par la reconfiguration des étapes et des compétences dans la procédure d'immatriculation, puisque l'essentiel de celle-ci se déroule désormais au niveau provincial. C

Quoi qu'il en soit, il convient d'être du même avis que DAVID (R) qui affirme que sa conception du droit est celle qui « vise à combiner dans une idée de justice des considérations tirées de la morale et de l'équité, et des considérations d'utilité sociale et d'efficacité matérielle »121(*) , car, à la lecture de ce propos, on a l'impression que c'est la même conception du droit qui a guidé le jurislateur de 2005.

Au demeurant, beaucoup reste à faire afin de susciter l'adhésion massive des citoyens à la pratique de l'immatriculation, compte tenu du fait qu'une réforme peut bien être originale sur le plan textuel, sans toutefois être bénéfique pour les usagers. Dans le cas d'espèce, il revient à l'administration de prendre des dispositions afin de demeurer crédible aux yeux desdits usagers. Heureusement, le jurislateur ne s'est pas seulement limité à promouvoir la provincialisation de la procédure d'immatriculation. Il l'a également étendu au règlement du contentieux de l'immatriculation.

* 94 MIRABEAU, cité par COMBY (J), « Un droit inviolable et sacré », ADEF, 1990, http://pagesperso-orange.fr/joseph.comby/impossible_propriété_absolue.html .

* 95 Il s'agit de la révolution française de 1789 à 1799. Au cours de cette période, la France a connu de profondes transformations politiques et sociales (voir Encyclopédie Microsoft Encarta 2007).

* 96 COMBY (J), ibidem.

* 97 LE ROY (E), « Comment aborder la sécurisation foncière de l'agriculture moderne à la périphérie de Libreville (Gabon) ? », Communication au colloque « citadins et ruraux en Afrique à l'aube du 3e millénaire », Université catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, 29-31 octobre 1998, p. 1.

* 98 Domaines-Infos no 001, février 2006, p. 10.

* 99 Il s'en souvient avec amertume lorsqu'il affirme qu'il a « suivi un dossier pendant 9 ans ».

* 100NJOMGANG (H), op. cit..

* 101 COMBY (J), op. cit..

* 102 COMBY (J), ibidem.

* 103 Article 1er  § 2 du décret no 76/165 du 27 avril 1976, fixant les conditions d'obtention du titre foncier.

* 104 Voir CS/CA, jugement no 03/04-05 du 24 novembre 2004, affaire SIGNE Albert et autres c/ Etat du Cameroun : « Qu'or, il résulte (...) que le ministre chargé des domaines peut, en cas de faute de l'administration résultant notamment d'une irrégularité commise au cours de la procédure d'obtention du titre foncier et au vu des actes authentiques produits, procéder dans les délais du recours contentieux au retrait du titre foncier irrégulièrement délivré et peut en cas de fraude du bénéficiaire, procéder audit retrait sans prescription de délai ».

* 105 Voir CS/CA, jugement no 46/05-06 du 15 mars 2006, affaire NEMBOT Jacques et NDE Maurice c/ Etat du Cameroun (MINUH).

* 106 Voir CS/CA, jugement no 41/05-06 du 17 janvier 2007, affaire EKODO Boniface c/ Etat du Cameroun.

* 107 Conformément à celle-ci, la priorité était accordée au premier à établir le titre foncier, et des sanctions civiles et pénales y étaient prévues à cet effet (voir article 8 de l'ordonnance no 74/1 du 06 juillet 1974).

* 108 Voir CS/CA, jugements no 76/04-05 du 27 avril 2005, affaire YONGO Marc ; no 124/05-06 du 27 juillet 2005, affaire Dame ENDALLE MOUDIO Hélène et autres c/ Etat du Cameroun (MINUH) ; no 115/04-05 du 29 juin 2005, affaire Dame LUM FUH Teresa c/ Etat du Cameroun.

* 109 Voir titre 1, chapitre 2, section 2, § 2, infra.

* 110 Lire ANOUKAHA (F),  Le droit de propriété dans l'acte uniforme OHADA, PUA, Yaoundé, 1998, pp.22 et 23 ; KALIEU (Y), « Réflexions sur les nouveaux attributs du droit de propriété : à propos de la propriété utilisée aux fins de garantie des crédits », A.F.S.J.P. de l'Université de Dschang, tome 1, volume 1, 1997, pp. 193-205 ; NDIAYE (C) et PLANCON (C), « Une piste de solution pour la réforme foncière au Sénégal : la fiducie, comme nouveau mode d'appropriation de la terre ? », www.foncier-developpement.org .

* 111 La fiducie peut être définie dans ce contexte comme étant une technique qui repose sur le transfert temporaire de la propriété d'un bien par une personne, le fiduciant, au profit d'une autre, le fiduciaire, généralement le créancier. Ce transfert doit être suivi, en cas d'extinction de la créance dont elle garantit le paiement, par un transfert en sens inverse. Le fiduciaire peut par cette opération devenir titulaire d'un droit de propriété dans sa plénitude.

* 112 Avec la fiducie, les caractères exclusif (le propriétaire peut seul user de la chose ou ne pas en user et qu'il a le droit d'en exclure toute personne) et perpétuel (le droit de propriété existe indépendamment de son usage et dure tant qu'existe la chose qui en est objet) du droit de propriété sont ainsi atténués (voir KALIEU (Y), op. cit., p. 193).

* 113 COMBY (J), op. cit., passim.

* 114 COMBY (J), ibidem.

* 115 Décret no 2005/178 du 21 mai 2005 portant organisation du ministère des Domaines et des Affaires foncières.

* 116 Il s'agit ici plus précisément des sous-préfectures ou services des chefs de district en ce qui concerne le dépôt du dossier et les délégations départementales des Domaines et Affaires foncières pour ce qui est de la suite de la procédure.

* 117 Un coup d'oeil sur l'annexe B-4, p. X permet d'avoir une idée sur les chiffres des nouveaux dossiers (immatriculation directe et mutation du titre foncier) à la DDDAF du Mfoundi. A la lecture de ces chiffres, on note une progression considérable surtout à partir des premiers mois de l'existence du décret.

* 118 Ces situations seront présentées et analysées au cours de la deuxième partie de ce mémoire.

* 119 Lire ONANA (R), op. cit., ibidem.

* 120 Redonner confiance aux usagers est une préoccupation générale dans la plupart des Etats africains depuis quelques décennies, comme cela a été le cas en Cote d'Ivoire à travers une réforme opérée en 1998 (voir AKA (A), « Analyse de la nouvelle loi de 1998 au regard de la réalité foncière et de la crise socio politique en Côte-d'ivoire », Bulletin de liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris, no 26, septembre 2001, p. 133).

* 121 DAVID (R), «Le dépassement du droit et les systèmes juridiques contemporains », Archives de Philosophie du droit, 1963, p. 19.

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