Section 2 : LES TROIS CATEGORIES DE MAGISTRATS
CONTITUTION N ELS
L'une des principales innovations de la proposition de loi
organique de la C.P.A.J de l'AN de la RDC est la diversité des
magistrats constitutionnels qui officierons dans la cour .
Il parait donc essentiel de distinguer à coté
des juges constitutionnels proprement dits, d'une part : des magistrats du
parquet (1) et d'autre part des conseillers
référendaires (2). Toutefois, la question de
l'efficacité de cette diversité se pose (3)
Paragraphe 1 : Les magistrats du parquet, l'oeil du
pouvoir exécutif ?
Selon une loi classique de la science administrative, toute
institution tend naturellement à développer ses
compétences, ses moyens, son personnel, son influence33 On
est presque tenté de dire que la future cour constitutionnelle
congolaise ne dérogera pas à cette loi.
Parmi les trois sortes de magistrats qui y officieront, les
magistrats du parquet constituent une catégorie assez originale.
En effet, la juridiction constitutionnelle, n'étant pas
une juridiction comme les autres ; l'institution du parquet
général près la cour constitutionnelle exerçant les
fonctions de ministère public peut paraître
incongrue34.
Il faut par ailleurs observer que ce choix, sauf erreur, n'a
été fait par aucun des pays se rattachant au modèle
kelsenien de la justice constitutionnelle.
Toutefois la proposition de loi organique de l'AN de la RDC,
n'invente pas cette catégorie, elle ne fait que retranscrire une
invention du constituant congolais qui en 2006 prévoyait
dans l'article 149, al, 1er de la constitution :que la cour
constitutionnelle, composante du pouvoir
33 G.DRAGO « reformer le conseil constitutionnel
» le CC N·°105 chez pouvoir P.77
34 S.BOLLE. AC.P. 8
41 judiciaire à ce titre indépendant du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif. Est dotée, à
l'instar des autres juridictions d'un parquet.
Il revenait au législateur organique de déterminer
le statut de ses membres(A) et de circonscrire leur
fonction(B).
C'est à la lumière des propositions de la C.P.A.J
sur ces deux points que va porter ce paragraphe.
A) Composition et Statut des magistrats du
parquet
Le ministère public ou le parquet est l'autorité
qui peut exercer l'action publique pour les infractions causant un trouble
à l'ordre public et qui représente les intérêts les
plus généraux devant toutes les juridictions de l'ordre
judiciaire.
Ainsi reprenant l'article 149 alinéas 1 de la
constitution de 2006, l'article 11 de la proposition de loi organique, institue
un parquet général près la cour constitutionnelle qui
exerce les fonctions de ministère public. Les magistrats du parquet sont
placés sous l'autorité d'un procureur général de la
république près la cour constitutionnelle.
Ce parquet est doté d'un secrétariat
dirigé par un premier secrétaire nommé par une ordonnance
du président de la république. Mais curieusement le texte est
silencieux quant à l'identité de l'autorité qui sera
chargée de proposer un nom pour ce poste, doit on déduire de ce
silence que la nomination du premier secrétaire du parquet relève
d'un pouvoir discrétionnaire du président de la république
? Si la réponse est affirmative cela pourrait être une entorse au
principe d'indépendance de cette institution.
conformément à l'article 13 de la proposition de
loi organique , le parquet général est composé d'un
procureur général, d'un premier avocat général et
de deux avocats généraux près la cour constitutionnelle
.
42 Pour ce qui est du statut de ces magistrats,
l'alinéa 2 de l'article 11, précise qu'ils ont le statut des
magistrats et sont nommés pour un mandat de six ans par ordonnance du
président de la république, sur proposition du conseil
supérieur de la magistrature, Ladite proposition est limitée par
une obligation de quinze ans d'expérience. Au regard de cet article, les
magistrats du parquet ont les mêmes droits et devoirs statutaires que les
autres magistrats ; est ce compatible avec leur éminente position
institutionnelle ? Est-il recommandable que, conformément à la
loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006, ils puissent, par exemple faire
l'objet de poursuites disciplinaires et êtres, le cas
échéant révoqués ?
En sommes , il convient de s'interroger sur
l'indépendance du parquet général près la cour
constitutionnelle et sur les raisons qui ont conduit à envisager qu'ils
ne bénéficient pas des garanties exorbitantes du droit commun
reconnues aux membres de la cour constitutionnelle 36 .Et pourtant , le
régime des incompatibilités , tel que prévu par l'article
28 de la proposition de loi organique ; interdit une série des fonctions
politiques et publiques qui sont à la fois incompatible pour les
magistrats du parquet et pour les juges constitutionnels proprement dits .
Pourquoi poser plus d'obligation que de droit aux magistrats du parquet ?
B) quel rôle pour le parquet ?
Certes, d'après l'article 11 alinéas 3 de la
proposition de loi organique ; un décret délibéré
en conseil des ministres sur proposition de la cour fixera l'organisation le
fonctionnement et les avantages du parquet près la cour
constitutionnelle.
En l'état actuel du droit, nous nous contenterons de
quelques indices que nous donne la proposition de loi.
Le rôle du parquet doit être bien compris .Sans
être un membre de la cour, il apporte une aide précieuse à
cette dernière.
43 En effet son rôle sera tout à fait
significatif dans le règlement du contentieux constitutionnel. Il
ressort de l'article 36 de la proposition de loi, que le ministère
public recevra communication du dossier de procédure en vue de formuler,
dans un délai de 15 jours francs, un avis -écrit après la
conclusion des parties et avant l'intervention du rapporteur. D'autre part
c'est après avis du ministère public que le président de
la cour constitutionnelle confiera le dossier à un membre de la cour
pour rapport, c'est ce qui est prévu dans l'article 38 de la proposition
de loi. On le voit, le parquet à un rôle considérable
à la fois dans le procès constitutionnel mais aussi dans
l'organisation de la cour constitutionnelle.
Cette position du parquet permet de s'interroger sur son
indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.
Le danger d'un parquet au service du gouvernement n'est pas
à écarter ; ce qui constituerait une dérive face aux
préconisations qu'a faites naguère Hans Kelsen :
« Une institution tout à fait nouvelle mais
qui mériterait la plus précieuse considération serait
celle d'un défenseur de la constitution auprès du tribunal
constitutionnel qui, à l'instar du ministère public dans la
procédure pénale , aurait à introduire d'office la
procédure du contrôle des actes irréguliers qu'il
estimerait irréguliers .Il va de soi que le titulaire d'une semblable
fonction devrait être revêtu de toutes les garanties imaginables
d'indépendance vis à vis tant du gouvernement que du parlement
»37.
Le véritable rôle du parquet reste difficile
à déterminer .Ni le statut, ni le rôle très
important de ce dernier, permet de déterminer sa principale mission. Si
il vrai que l'influence du parquet est loin d'être négligeable
devant la cour constitutionnelle ; cette reconnaissance, loin de faire taire la
polémique l'accentue. Cette polémique sur l'existence d'un
parquet représentant un « agent » du pouvoir
exécutif est d'autant plus renforcé que ce système sera
une totale innovation ; car en Afrique comme en Europe , un parquet
rattaché à la cour constitutionnelle n'existe pas .
44 Paragraphe 2 : Des conseillers
Référendaires : Innovation ou mimétisme ?
« ...Le nombre de membres du conseil constitutionnel
nuit objectivement, malgré la grande qualité de ses membres,
à la recherche d'une information qu'il faut complète dans un
temps limité... mieux vaudrait y associer des assistants de justice et
des collaborateurs plus nombreux et plus stables, ainsi que des
référendaires attachés directement à chaque membre
du conseil ... »38 ,cette affirmation de guillaume Drago,
peut justifier , la création d'un corps de conseillers
référendaires au sein de la future cour constitutionnelle
congolaise .
Il ressort de l'article 19 de la proposition de loi organique,
qu'un corps des conseillers référendaires est créé
.Ces conseillers sont placé sous l'autorité du président
du président de la cour constitutionnelle.
Avant d'évoquer la nécessité de ce corps
supplémentaire(B), il convient de voir, d'abord le
statut des futurs conseillers refendaires (A) .
A) Conseillers référendaires :
Assistants ou juges ?
La proposition de loi organique, recommande la mise en place
au sein de la cour constitutionnelle sans définir un statut pour ce
corps .il ressort tout juste de l'article 21 du texte que les conseillers
seront recrutés par concours réservés aux porteurs d'un
diplôme de licence. Certes, le texte ne précise pas si un
licencié en mathématiques ou en lettres peut se présenter
au concours ; néanmoins, il fixe un quota de trois quarts de conseillers
référendaires qui doivent être des juristes justifiant
d'une expérience de quinze ans.
Cette rédaction imprécise pourra poser des
problèmes d'interprétations d'abord parce que le texte ne
précise pas l'origine professionnelle du quart restant des conseillers
.Pourront ils êtres
38 G..DRAGO. « reformer le conseil
constitutionnel ».Conseil constitutionnel N°105 chez pouvoir P78
45 recrutés en dehors des juristes ? Quelle valeur
ajoutée pour une bonne administration de la justice constitutionnelle
peut-elle être attendue de non juristes ? 39Cette
interrogation est d'autant plus justifiée, que le critère de
l'origine professionnelle (juriste) peut empêcher le recrutement sur des
critères tribaux, régionaux ou politiques. Par ailleurs se pose
la question des épreuves d'examens de recrutement, car ils ne peuvent
êtres les mêmes si les non juristes sont autorisés à
participer. Le texte est aussi silencieux sur la composition du jury qui sera
appelé à départager les candidats, sur quel
critères seront-ils choisis ? En définitif quel statut pour ce
corps ? À toutes ces questions le texte ne rapporte aucune
réponse précise.
Ce silence est d'autant plus étonnant que le texte du
député Mohamed BULLE proposait dans son article 11 un corps de
conseillers référendaires réservé aux juristes
ayant des compétences « éprouvées » .Ce
même article proposait un double moyen de recrutement : d'une part un
concours réservé aux juristes et organisé par la cour
constitutionnelle et d'autre part une possibilité de recrutement sur les
mérites des juristes notamment par rapport à leurs publications.
Pourquoi avoir abandonné cet article qui sans être parfait
était beaucoup plus clair que celui du texte de la C.P.A.J ? Le texte
d'origine prévoyait également que le statut des conseillers sera
fixé par le règlement intérieur de la cour
constitutionnelle, qu'en sera-t-il maintenant que la proposition de loi ne dit
rien sur un éventuel statut ? seule certitude, le nombre de conseillers
référendaires ne pourra dépasser soixante (60) membres
c'est ce qui ressort de l'alinéa 2 de l'article 19, mais là
aussi, seul le seuil est fixé le nombre exact des membres reste
inconnu.
En l'absence d'un statut définis, nous ne pouvons
savoir si les conseillers référendaires seront des juges
constitutionnelles ou des assistants ? Même si la réponse semble
être plus proche de la deuxième hypothèse, c'est au texte
de dire « expressis verbis ».
B) Un corps de conseillers, avec quel rôle ?
39 S.BOLLE.OC . P . 78
46
La proposition de L.O est totalement silencieuse sur le
rôle que joueront les conseillers référendaires à la
cour. La seule certitude, c'est qu'ils seront rattachés au
président de la cour comme le stipule l'alinéa 1er de
l'article 19 mais cela ne répond nullement à la question.
Alors pourquoi ce nouveau corps ? En l'absence d'une
réponse textuelle claire, nous pouvons déplorer que la C.P.A.J
n'ait pas retenue l'article 11 du texte de l'honorable BULLE qui
définissait le rôle des conseillers, je cite «ils ont
pour tâche d'assister les magistrats de la cour à
l'accomplissement de leur mission » .Cet article avait un double
mérite : d'abord, il précisait le rôle des conseillers puis
il justifiait leur présence. Or, à la lecture de la proposition
de LO, nul ne peut dire quel sera le rôle exact de ce corps des
conseillers .Ce manque de clarté est d'autant plus regrettable que leur
intervention éventuelle, à un stade quelconque de la
procédure devant la cour constitutionnelle, n'est mentionnée
nulle part40. A quoi serviront les 60 conseillers
référendaires ?
Seront-ils des assistants rattachés aux membres de la
cour, à l'instar des assistants parlementaires, ou des juges
constitutionnels de second rang, délestant les membres de la cour des
tâches fastidieuses ? Voila autant des questions que se pose M BOLLE.
Il nous semble que la difficulté de définition
du rôle exact des conseillers référendaires s'explique par
le fait que les députés de la C.P.A.J, ont fait le choix de
s'inspirer de la loi spéciale sur la cour d'arbitrage
belge41.
En effet, il existe auprès des juges constitutionnels
vingt quatre référendaires qui sont chargés de les
assister. Même si le rôle d'assistant n'est pas dévolu aux
conseillers référendaires
congolais, deux points nous confortent dans notre analyses :
d'une part la procédure de recrutement qui est comme en Belgique par
voie de concours et d'autre part la condition de possession d'une licence ou
d'un doctorat en droit .
47 Pourquoi les députés congolais ne sont-ils
aller au bout de cette inspiration en reprenant le statut des
référendaires belge pour l'adapter aux réalités
locales ?.
Tel qu'il est présenté dans le texte, le corps des
conseillers référendaires congolais relève plus d'un
mimétisme juridique que d'une innovation.
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