B - Exclusion de l'anti-suit injunction en matière
d'arbitrage
270. On aurait pu alors penser que la solution serait la
même en cas de convention d'arbitrage conclue par les parties. Mais la
Cour de Cassation précise que cette solution vaut seulement <<hors
du champ d'application de conventions ou du droit communautaire È. Selon
le Professeur Philippe Thery, cette réserve << interdit tout
recours à l'injonction pour faire respecter une convention d'arbitrage,
parce que la confiance légitime qui doit régir les rapports entre
juridictions des Etats membres impose de laisser à la juridiction saisie
le soin de statuer sur sa compétence3 È.
271. En ce sens, dans une décision rendue le 10
février 20094, l'actuelle Cour de Justice de l'Union
Européenne avait déjà considéré que <<
l'adoption, par une juridiction d'un Etat membre, d'une injonction visant
à interdire à une personne d'engager ou de poursuivre une
procédure devant les juridictions d'un autre Etat membre, au motif
qu'une telle procédure serait contraire à une convention
d'arbitrage, est incompatible avec le règlement CE n° 44-2001 du
Conseil È. En l'espèce, un navire endommage un embarcadère
situé sur le territoire italien, suite à quoi la
société propriétaire de l'embarcadère obtient une
garantie de ses assureurs. Il se trouve que le navire était
affrété par la même société et que le contrat
d'affrètement contenait une convention d'arbitrage. Par
conséquent, la société engage pour le surplus non garanti
par les assureurs une procédure arbitrale à Londres. Mais les
assureurs exercent un recours subrogatoire contre la société
propriétaire devant une juridiction étatique italienne.
La Hight Cour, sur la demande de la société
propriétaire, délivre une injonction à l'encontre des
1. P. Thery, RTD Civ. 2010, p. 372.
2. P. Thery, RTD Civ. 2010, p. 373.
3. P. Thery, RTD Civ. 2010, p. 372. 4 CJCE, grande ch., 10
février 2009, n° C-185.
assureurs pour qu'ils abandonnent la procédure mise en
oeuvre en Italie et suivent la procédure arbitrale, ce que ces derniers
contestent. Une question préjudicielle est alors posée à
la CJCE afin de savoir si un Etat membre a le droit de prononcer une anti-suit
injunction pour protéger une procédure arbitrale. Ce à
quoi, la CJCE répond par la négative.
272. Cette solution est très controversée,
critiquée par les uns1, saluée par les
autres2, mais nul doute qu'elle n'est pas favorable à
l'arbitrage. L'approche communautaire tranche donc avec la <<conception
libérale >> de l'arbitrage, qui prévaut en France mais
aussi au Royaume Uni3. Et on peut regretter, outre le fondement
contestable de la décision4, que cette solution traduise
l'absence de volonté de la Communauté Européenne de
soutenir l'arbitrage, dans un espace oü prédominent les relations
économiques5. Car, on le sait, le recours à
l'arbitrage est plébiscité dans les relations
d'affaires6.
273. Pour conclure, la pratique des anti-suit injonctions
semblait, au départ, être une technique visant à
étendre les pouvoirs des juges étatiques pour rendre
exécutoires des sentences arbitrales internationales et ainsi
régir de façon extra-territoriale l'aptitude des parties à
conna»tre d'un arbitrage. En réalité, on ne peut pas dire
que le prononcé d'anti-suit injunction soit systématiquement un
instrument tendant à l'essor de l'arbitrage et à une meilleure
coordination avec la justice étatique, comme en témoigne le
développement des anti-suit injonctions offensives.
274. Quant au droit communautaire, il ne semble pas vouloir
prendre de mesures visant à encourager le développement de
l'arbitrage. Pour autant, le mot de la fin n'est pas certain, car des rapports
commandés par la Commission Européenne pourraient encore changer
la donne, s'ils sont pris en compte. En effet, l'un d'eux7
préconise de conférer << une compétence exclusive au
juge du lieu de l'arbitrage pour toutes les mesures prises à l'appui
d'une procédure arbitrale >>. Il en résulterait que toute
décision judiciaire concernant un arbitrage ayant son siège dans
l'Union européenne serait exécutée et reconnue comme une
décision judiciaire ordinaire. Ce rapport recommande aussi de mettre en
oeuvre << une règle de litispendance ordonnant au juge saisi de
surseoir à statuer si le juge du lieu de l'arbitrage est saisi d'une
action déclaratoire concernant l'existence, la validité ou
l'étendue d'une convention d'arbitrage >>8. Ce qui
consacrerait plus largement les effets du principe
1 C. Kessedjian, D. 2009, p. 981 et s.
P. Thery, RTD Civ. 2009, p. 357 et s.
2 P. Delebecque, RTD Com. 2009, p. 644.
3 En ce sens, P. Thery, RTD Civ. 2009, p. 358.
4 V.C. Kessedjian, D. 2009, p. 981 et s.
5 En ce ses, P. Thery, op. cit.
6 cf supra, Introduction.
7 Rapport français en vue de l'Etude relative à
l'application du Règlement CE 44/2001 à la demande de la
Commission européenne coordonné par les Professeurs Hess,.
Pfeiffer et Schlosser, dit rapport Hess.
8 V.C. Kessedjian, D. 2009, p. 981et s.
de compétence-compétence, déjà
reconnus par le droit francais.
En dépit des réticences de l'actuelle Cour de
justice de l'Union européenne à soutenir l'arbitrage, cette
institution est pleinement reconnue par la justice étatique. Et les
procédures arbitrales et collectives se coordonnent, tant en France que
dans le cadre international.
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