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La photographie du territoire, entre donnée personnelle et donnée publique

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par Azéline Boucher
Université Paris Descartes - Master 2 - Droit des Activités Numériques 2017
  

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B/ L'image des biens

Le droit à l'image du bien n'est plus débattu et plus à débattre. Ainsi, le propriétaire du domicile n'a pas de droit exclusif sur son image (1). Il pourra néanmoins agir en cas de trouble anormal (2).

1. Le principe : l'absence de droit exclusif sur l'image du bien

Avec la démocratisation des appareils photographiques et l'amélioration de la qualité de l'image à la fin des années 1980, de nouvelles questions se sont posées quant à l'exclusivité sur l'image d'un bien.Toute personne peut-elle photographierla maison d'un tiers ? Le droit de propriété s'étend-il à l'image du bien ?

En 1999, la Cour de cassation fonde le droit à l'image du bien sur les attributs du droit de propriété, considérant que « l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire»29(*). Elle étendalors, de façon démesurée, le droit de propriété de l'article 544 du Code civil et le placeau-dessus de la liberté d'informer ou de la liberté d'expression du photographe. Ainsi, le propriétaire d'une maison est également le propriétaire de toute image de cette maison.

Dans un arrêt de 200130(*), la Cour reprend la solution de 1999 en y ajoutant une condition : pour être répréhensible, « l'exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur doit porter un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du propriétaire ». Cette exigence du trouble certain devait ainsi permettre de trouver un équilibre entre la liberté d'expression de l'auteur de la photographie et le droit de propriété.

En 2003, Patrick Bloche et Jean-Marc Ayrault,alors députés, rédigent une proposition de loi visant à donner un cadre juridique au droit à l'image et à concilier ce dernier avec la liberté d'expression31(*). Ils dénoncent un droit absolu à l'image et suggèrent d'introduire un article 544-1 au sein du Code civil selon lequel « Chacun a droit au respect de l'image des biens dont il est propriétaire. Toutefois, la responsabilité de l'utilisateur de l'image du bien d'autrui ne saurait être engagée en l'absence de trouble causé par cette utilisation au propriétaire de ce bien. »Ils espèrent ainsi codifier la jurisprudence de 2001. Néanmoins, la proposition n'aboutira pas.

En 200332(*) également, la Cour de cassation dénonce pour la première fois le fondement selon lequel le droit à l'image serait un attribut du droit de propriété. Elle retient la protection du respect de la vie privée pour sanctionner la publication dans la presse de la photographie d'une résidence, accompagnée du nom du propriétaire et de sa localisation précise.

C'est un arrêt d'assemblée plénière du 7 mai 2004, société civile particulière Hôtel de Girancourt33(*), qui a toutefois posé les fondements de ce « non-droit » à l'image du bien. « Le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci. », « il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal. » Ainsi, lorsque la reproduction de l'image d'un bien cause un préjudice anormal au propriétaire de ce bien, l'auteur de l'image est responsable du préjudice causé34(*). Cette jurisprudence est constante35(*).

L'exploitation de l'image d'un bien n'est donc plus rattachée à la propriété de ce bien. Ainsi, le droit d'exploiter l'image d'une maison n'est plus réservéà son propriétaire. Il n'y a alors pas besoin d'obtenir son consentement.La collecte des photographies de façades prises par les capteurs de Google Street View et leur diffusion sur Internet ne nécessitent plus l'accord des personnes concernées. Le trouble anormal reste sanctionné. Le géant du net a néanmoins trouvé une parade pour prévenir une action en responsabilitéen proposant un « signalement des photos inappropriées ».

Reste à savoir comment les services de Google apprécient le caractère « inapproprié » de la photographie et sur quel fondement : trouble anormal du propriétaire ou préjudice de la personne liée au domicile ?

Ce processus de signalement semble s'aligner avec le trouble anormal caractérisé par les juges de la première chambre civile. Pour autant, ces mêmes juges ont précisé que le trouble anormal était celui du propriétaire, et non du locataire, de l'habitant ou de toute autre personne liée au domicile. Comment Google peut-il alors vérifier la qualité de l'internaute lui signalant un trouble ? Ce signalement serait plutôt à rapprocher de la responsabilité de droit commun. Dès lors qu'un individu, propriétaire ou locataire, subit un préjudice du fait de la diffusion de la photographie de son logement sur Internet, il peut demander à Google de flouter cette image. Si Google s'y refuse, l'individu pourra toujours l'attraire en justice selon divers fondements.

L'action contre le photographe n'est plus rattachée au droit de propriété mais à un régime de responsabilité pour trouble anormal. Seul le propriétaire est en droit d'agir selon la solution de l'arrêt de 2004. Cela peut paraitre paradoxal puisque le fondement s'est pourtant écarté du droit de propriété. En outre, le propriétaire n'est pas toujours l'habitant de la demeure photographiée. Ses locataires peuvent alors être les victimes directes du « trouble anormal ». Quel recours ont-ils ? Ils pourront envisager d'agir contre l'auteur de la photographie sur le fondement de la responsabilité de droit commun si la diffusion de cette photographie leur cause un préjudice.La responsabilité est subordonnée à cette preuve. Aussi, la victime, dans cette hypothèse,peut être l'habitant, le propriétaire, le locataire, le sous-locataire ou toute autre personne qui présente un lien avec la demeure photographiée et qui se trouve lésée.

Il est intéressant de souligner que s'il n'est plus nécessaire de demander l'accord du propriétaire pour diffuser la photographie de sa demeure, le photographe doit toujours obtenir l'autorisation de l'auteur ou de ses ayant-droits pour reproduire et diffuser les photographies d'une oeuvre architecturale (Article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle). L'image constitue, en effet, une atteinte au droit de reproduction de l'auteur. En revanche, si l'oeuvre ne constitue pas le sujet principal de la photographie, le photographe sera en mesure de se passer d'une telle autorisation. L'exception de panorama pourrait, en effet, trouver à s'appliquer36(*).

Dans un arrêt de 200637(*), la Cour de cassation s'est également penchée sur la photographie de l'intérieur du domicile. Les juges ont considéré que « le droit de chacun au respect de sa vie privée s'étend à la présentation interne des locaux constituant le cadre de son habitat » et que « l'utilisation faite des photographies qui en sont prises demeure soumise à l'autorisation de la personne concernée ». Il n'y a donc pas besoin de démontrer un trouble anormal pour caractériser l'atteinte du fait de la publication des photographies de l'intérieur d'une demeure puisque les juges se fondent sur l'article 9 du Code civil.De même, c'est l'habitant qui agira pour faire respecter son droit à la vie privée et non le propriétaire subissant un trouble anormal. Enfin, l'exploitation d'une telle photographie demeure soumise à l'autorisation de la personne concernée, ce qui n'est plus le cas pour l'exploitation de la photographie de la façade.

La question se pose alors de savoir si la diffusionde la photographie aérienne ou spatiale du domicile, c'est-à-dire la photographie « du dessus » du domicile, nécessite le consentement de la personne concernée, comme c'est le cas pour la photographie de l'intérieur d'une demeure ; ou si elle peut s'effectuer librement à condition qu'elle ne provoque pas un trouble anormal pour cette même personne, comme c'est le cas pour la photographie de la façade d'une demeure ?

La solution adoptée pour préserver le respect de la vie privée à l'intérieur du domicile pourrait trouver à s'étendre à l'exploitation d'une photographie aérienne ou spatiale. En effet, dans les deux situations, l'image représente ce qui n'est pas accessible aux yeux depuis la voie publique : l'intérieur du logement pour l'une ; les accès à la propriété, sa surface, celle des espaces verts l'entourant et l'aménagement de ces espacespour l'autre.

La vie privée s'étend à l'intimité de l'individu, c'est-à-dire ce qu'il ne montre pas au public. Il en est ainsi d'une maison qui n'est rendue visible aux yeux de tous que par l'une de ses façades. Le reste de la demeure et du terrain, caché du public (entouré de palissades ou de haies par exemple),fait donc partie intégrante de l'intimité de cette personne. Selon nous, la diffusion d'une prise de vue aérienne ou spatiale, dès lors qu'elle permet d'identifier des caractéristiques du logement qui ne sont pas visibles depuis la voie publique, et qu'elle ne découle pas d'une mission de service public38(*), devrait être soumise à l'autorisation de l'habitant39(*).

En pratique néanmoins, large est la diffusion sans autorisation d'images aériennes ou spatiales représentant des parcelles clôturées. En veut pour seule preuve Google Earth. Ainsi, il semblerait que ce soit la jurisprudence relative à la photographie des façades qui s'applique. Le principe de la liberté d'exploitation, et donc de la liberté d'expression et d'information, l'a emporté au détriment de la protection de l'intimité des personnes concernées. L'exception du trouble anormal trouve, selon nous, toujours à s'appliquer,bien qu'ilne soit pas possible de « signaler un problème » sur Google Earth40(*).

2. L'exception : le trouble anormal

Le propriétaire d'un immeuble peut s'opposer à l'exploitation de l'image du bien dès lors qu'elle lui cause un trouble anormal.

Ce trouble anormal ne saurait néanmoins constituer le dommage de l'article 1240 du Code civil. La différence entre les deux notions est une différence de degré et non de nature. En l'absence de définition, le professeur Reboul-Maupin41(*) se réfère à un arrêt de la 1ère chambre civile du 5 juillet 200542(*) pour considérer que le trouble anormal se caractérise notamment par une perturbation de la tranquillité et de l'intimité. Le parasitisme, la concurrence déloyale, l'atteinte à la sécurité, aux droits de la personnalité ouaux droits de propriété intellectuelle peuvent également caractériser le trouble anormal. En revanche, la seule exploitation commerciale de l'image du bien ne suffit pas à constituer ce trouble43(*). Ainsi, la conception retenue du trouble anormal semble relativement large puisqu'il ne se réfère pas uniquement à la vie privée.

L'admission par les juges reste néanmoins difficile. Critère éminemment subjectif, l'appréciation du trouble anormal se faitin concreto. Le rapport de cause à effet entre l'image diffusée et le préjudice causé par le trouble qui résulte de la diffusion doit être direct.

Un auteur44(*) propose, au contraire, d'objectiver le trouble anormal. Il considère ainsi que « l'utilisation d'une image représentant un bien non accessible depuis la voie publique, à l'insu du propriétaire, constituerait un trouble anormal en raison de la violation du droit de se clore ». Le trouble anormal serait alors caractérisé dès lors que la photographie permet de visualiser ce qui n'est pas accessible aux yeux du public depuis la rue : l'espace privé.L'auteur considère encore qu'il conviendrait de « fixer le seuil d'anormalité en fonction de la fréquence d'utilisation de l'image d'un bien. Ainsi, plus l'image sera diffusée, plus l'anormalité sera patente ». Le trouble, en effet, n'est pas lié au seul fait de photographier la maison. C'est la publication de l'image, et au-delà son impact, qui cause un dommage au propriétaire.Il convient, selon nous, pour caractériser l'anormalité,de rajouter à ce critère de diffusion massive un critère de localisation. En effet, plus l'image du domicile permettra de localiser celui-ci et plus le risque de trouble sera démultiplié45(*). De même, l'augmentation croissante de la résolution des photographies sera un élément important à prendre en considération pour qualifier ce trouble.

Il semblerait donc que Google Earth, en publiant en ligne (ce qui équivaut à une diffusion massive et continue) les images représentant des demeures qui ne sont pas accessibles depuis la voie publique, participe à aggraver le trouble causé aux propriétaires de ces demeures.

En effet, depuisla mise en ligne de ce système, plusieurs affaires ont fait émule auprès de la population. Elles portaient notamment sur de la prospection répétée et continue, pour des vérandas46(*) plus particulièrement, sur des cambriolages pour lesquels les malfaiteurs avaient utilisé des prises de vue aérienne afin de déterminer les points d'accès47(*) ou encore sur des absences de déclaration de constructions de piscine aux services fiscaux48(*).

Google Earth associe l'image du bien à son adresse. Aussi, la preuve d'une atteinte ou d'un trouble anormal lié à la seule diffusion des photographies (sans adresseet donc sans localisation)semble plus difficile à apporter. Le critère de l'empreinte géographique nous apparait donc pertinent.

Le contrôle du trouble anormal s'opère encorea posteriori. Il convient d'apporter la preuve d'un trouble anormal pour pouvoir engager la responsabilité de l'auteur. Il n'est donc pas possible d'interdire, a priori, la diffusion de la photographie, encore moins le simple fait de prendre cette photographie.

Pour autant, si cette photographie du domicile permet d'identifier un individu, alors le régime de protection des données personnelles trouverait à s'appliquer. Le propriétaire, le locataire ou le sous-locataire pourrait bénéficier sans discrimination de cette réglementation dès lors qu'il est identifié par la photographiedu bâtiment.

* 29Cass. 1ère civ., 10 mars 1999, Bull. civ. I, n°87, p.58, D.1999, p.319, concl. J. Sainte-Rose, RTD Civ. 1999, p.859, obs. F. Zenati

* 30 Cass. 1ère civ., 2 mai 2001, D.2001, p.1973, note J.-P. Gridel, RTD Civ. 2001, p.618, note Th. Revet

* 31 Proposition de loi n°1029 à l'Assemblée nationale visant à donner un cadre juridique au droit à l'image et à concilier ce dernier avec la liberté d'expression, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juillet 2003, présentée par Patrick BLOCHE et Jean-Marc AYRAULT

* 32Cass. 2ème civ., 5 juin 2003, Bull. civ. II n°175, p.150, D.2003, p.2461, note E. Dreyer

* 33Cass. Ass. Plén., 7 mai 2004, sté civ. Particulière Hôtel de Girancourt, Bull. 2004 A. P. n°10, p.2, D.2004, p.1545, note J.-M. Bruguière et E. Dreyer, D.2004. Somm. 2046, obs. N. Reboul-Maupin, JCP G 2004.II, p.10085, note C. Caron

* 34 MALAURIE Philippe et AYNES Laurent, « Les Biens », Defrénois, collection Droit civil, 5ème édition, Lextenso, janvier 2013, p.81

* 35Cass. 1ère civ, 5 juillet 2005, Bull. civ. I, n°297 ; Cass. 1ère civ., 28 juin 2012, D.2012, p.2218, note F. Pollaud-Dulian

* 36L'article 39 de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a pour ambition d'introduire un 11° à l'article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, l'auteur ne pourrait interdire « les reproductions et représentations d'oeuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial ».

* 37Cass. 1ère civ., 7 novembre 2006, Bull. civ. I, n°466, D.2007, p.700, note J.-M. Bruguière

* 38 L'article 2 du décret statutaire de l'IGN dispose que l'établissement a pour mission de réaliser la couverture en imagerie aérienne ou satellitaire de l'ensemble du territoire national.

* 39 L'atteinte à la vie privée du propriétaire qui n'habite pas les lieux serait plus difficile à démontrer.

* 40Seul Google Street View propose cette fonctionnalité.

* 41REBOUL-MAUPIN Nadège, « Droit des biens », 6ème édition, HyperCours, droit privé, Dalloz, août 2016, p. 32

* 42 Cass. 1ère civ., 5 juillet 2005, Bull. civ. 2005 I n°297, p.248

* 43 CA Orléans, 15 février 2007, n°06/00988, CCE 2007, n°78, note C. Caron

* 44 DORSEMAIRE G., « Le trouble anormal en droit privé », mémoire de master 2 en droit des contrats et des biens, direction G. LOISEAU, 2004-2005, n°52s.

* 45 Notamment, l'individu sera plus facilement identifiable.

* 46 23ème rapport d'activité 2002, Commission nationale de l'Informatique et des Libertés, La documentation Française, édition 2003, pp.142-143

* 47 « Quand Google Earth devient l'arme des cambrioleurs », Faits divers, Le Parisien, 8 juin 2009

* 48 HERY Jean-Jacques, « Grâce à Google Maps, le fisc découvre 300 piscines de particuliers non déclarées », Europe1, 2 mars 2017

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