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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon


par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège
Traductions: Original: fr Source:

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Hisorique de la formation de la zone de production

Pourquoi et comment est-il parvenu à avoir une telle prise de conscience pour réagir contre l'urgence du délabrement de sa zone de production non de manière à mener à bien seulement sa propre production individuelle, mais de manière à renforcer l'entraide entre arboriculteur et même à intéresser le public ?

Pour répondre à cette question, rappelons ici l'historique de la « réussite » collective du Pays de Sanage qui s'est constitué en une zone de production de la pêche et de la poire, en suivant l'explication de Monsieur N.

Situé dans une zone ensoleillée au piéd du Mont de Sanage595(*), le pays de Sanage était au début un pays où étaient plantés beaucoup d'arbres de Kaki. Mais ils furent dévastés par le Typhon du Golf d'Ise (Isewan Taihû) de 1959596(*). Puis, depuis vers 1965, les agriculteurs commençaient petit à petit à planter, à titre expérimental, les pêchers dans la montagne. Et depuis 1970, la conversion aux autres cultures (légumes ou fruits) était suscitée par la « politique de la réduction de la surface rizicole (gentan seisaku) » de l'Etat, avec des subsides. C'est dans ce contexte que les « pêchers sont descendus de la montagne ». Au début, plusieurs petits groupes de producteurs dont chacun était constitués par 4-5 personnes, réunissaient par eux-même leurs fruits pour les distribuer au marché. Vers 1975, lorsque les arbres plantés sur le terrain des rizières avaient bien grandi, les groupes de producteurs professionnels (non des foyers pluriactifs) ont mis en place un système de calibrage collectif dans un local commun. Ensuite, les gens (« papis et mamies ») des foyers agricoles pluriactifs ont commencé à y participer. Enfin, en 1997, à l'initiative de la CAT, un grand centre de calibrage fut construit avec une série d'équipements modernes pour rationnaliser la distribution des produits de ces arboriculteurs. Aujourd'hui, le Pays de Sanage constitue la plus grande zone de production de pêches et de poires dans le Département d'Aichi, avec leur propre marque comme « Pêche de Toyota (Toyota no Momo) » et « Poire de Toyota (Toyota no Nashi) ».

La pêche et la poire constituent ainsi les atouts décisifs dans le développement historique de l'agriculture de l'après-guerre au Pays de Sanage. D'un côté, celles-ci constituent, aujourd'hui, plus ou moins des symboles de l'identité collective et historique des arboriculteurs de ce pays. Ceci est non seulement dû à leur réussite économique, mais également dû à l'organisation collective des arboriculteurs autour de ces produits depuis une quarantaine d'années. Mais de l'autre côté, cette identité collective et historique a un caractère éphémère : elle ne peut pas être confondue avec l'identité traditionnelle ou communautaire, car l'introduction de ces produits était liée à la politique nationale des années 70, et on ne peut pas ignorer le fait que sa réussite était clairement due à la haute croissance économique japonaise.

D'ailleurs, la pêche et la poire ne sont pas considérées, chez Monsieur N, comme des produits à être transmis de génération en génération. Tout d'abord, les parents de Monsieur N ne faisaient pas de pêches ni de poires avant que Monsieur N ait commencé à les planter. Puis, d'après Monsieur N, « tous » les arboriculteurs du Pays de Sanage, ne pensent pas forcément à faire reprendre leurs vergers par leur fils: « Cela m'est égal, dit Monsieur N, si mes enfants reprennent mes vergers ou pas. Pour moi, je l'ai fait jusqu'à aujourd'hui, parce que il n'y avait que ça à faire. Mais s'il y a d'autres façons de vivre pour mes enfants, ce serait bien aussi, je pense. » Et ses enfants n'ont jamais participé au travail de Monsieur N lorsqu'ils étaient petits : « Aide ? dit Monsieur N, Ils n'ont jamais fait. Mon fils ainé et le troisième ont fait un lycée agricole, mais ils ne m'ont jamais aidé. D'ailleurs, je ne leur ai même pas demandé. Ils ne pensent peut-être même pas que je me donne beaucoup de peines pour mes vergers. D'ailleurs je ne travaillais pas non plus de manière extrèmement dure. Au contraire, ils se demandaient peut-être 'pourquoi notre père reste tout le temps à la maison ?'(rire) »

Par contre, le sentiment du refus du délabrement des vergers de Monsieur N peut s'expliquer par le fait que le délabrement risque de dévaloriser la relation sociale historiquement constituée entre arboriculteurs dont l'oeuvre est la zone de production elle-même. Mais l'intention de ne pas perpétuer forcément ses vergers via une succession familiale, mais de recourir au public pour valoriser ses vergers, semble être liée à un raisonnement plus particulier de la part de Monsieur N et des autres arboriculteurs professionnels. Nous pouvons supposer que Monsieur N et les autres arboriculteurs professionnels reconnaissent bien que leur réussite de la production de la pêche et de la poire n'est pas seulement l'oeuvre de leur propre travail à eux, mais également celle de la situation historique impliquant une dimension plus globale (politique de la réduction de la surface rizicole, haute croissance économique etc). C'est sans doute pour cela qu'il ne considère pas forcément ses vergers (en tout cas, sa production de la pêche et de la poire) comme des biens à transmettre absolument à ses fils.

Puis, l'idée de rendre public la gestion de ses vergers et sa zone de production lui permet de concilier son intérêt de maintenir la zone de production comme étant l'oeuvre de sa relation sociale et historique, et son renoncement à la perpétuation de ses vergers comme biens de sa famille (ceci contrairement à ce que les chercheurs imaginent souvent concernant la gestion de patrimoine familial chez les agriculteurs).

C'est ce qui pourra expliquer pourquoi - on abordera plus bas - Monsieur N accorde davantage de l'importance à la continuation des activités agricoles des foyers agricoles pluriactifs dont ce sont souvent des personnes âgées qui entretiennent les vergers en l'absence de leurs enfants qui travaillent à l'extérieur. En effet, le GASATA est créé notamment afin d'aider ce type d'arboriculteurs et de rendre possible la continuation de leur production. Il s'agit des arboriculteurs du pays de Sanage de la « première génération » qui précède la génération de Monsieur N. Le problème que Monsieur N a relevé est qu'il n'arrive pas à proposer à ces gens de la première génération, de nouvelles démarches associatives comme le GASATA ou la Journée de la peinture ou le Projet Nô-Life. Car ils ont tendance à « suivre les autres » qui sont plus jeunes et plus dynamiques et ne considèrent les groupements de producteurs ou la coopérative agricole que comme un moyen pour la vente de leurs propres produits. Du coup, ce fut toujours avec des arboriculteurs plus jeunes de la « troisième génération » (30 - 40 ans) que Monsieur N a mené ses démarches associatives. Mais l'incertitude de la continuation des activités agricoles pèse le plus sur ces foyers de la première génération597(*).

* 595 Sanage-san situé au nord du Pays de Sanage, dont le point culminant est 628.9m.

* 596 Un des trois grands typhons historiques au Japon de l'ère de Shôwa.

* 597 D'après Monsieur N, environ 20 arboriculteurs professionnels et « un quart » des foyers agricoles de son village sont pluriactifs et gérés par les grands parents. Et environ 60 membres au total font partie des groupements de producteurs de la pêche et de la poire. Par ailleurs, d'après la statistique de la Ville de Toyota pour l'an 2000, dans le village de Monsieur N, il y a 56.22ha de vergers sur 66.33ha de la surface totale. Et 42 foyers dont 12 professionnels, 13 pluriactifs de la première catégorie (qui gagnent plus que la moitié des revenus de leur foyer avec leurs activités agricoles) et 17 pluriactifs de la deuxième catégorie (qui gagnent moins que la moitié des revenus de leur foyer avec des activités agricoles.) Au pays de Sanage, grâce à sa production fruitière, le pourcentage du nombre des foyers professionnels sur le nombre total des foyers agricoles est le plus élevé : 15% (62 sur 412) par rapport à 8% pour l'ensemble de la Ville de Toyota (269 sur 3238) (Toyota-shi, 2004 : 150-154)

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