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Du bricolage à la transaction sociale...Ici, les types des ressources mobilisées dans ce processus sont divers et complexes tels que les types humains et sociaux (personnel, organisation, relation sociale et représentations), économiques (matériel, foncier, financier) et politiques (décision politique, législations). Et l'ensemble des actions s'est effectué en relation avec des agents de champs sociaux différents à base territoriale, aux niveaux des contextes, des secteurs et même des échelles institutionnelles. D'où la nécessité de la réalisation d'une série de transactions sociales entre agents intersectoriaux. D'ailleurs, comme nous l'avons vu avec en nous référant à Lévi-Strauss, le bricolage s'effectue par le biais d'un « compromis entre les structures de l'ensemble instrumental et du projet ». La transaction sociale nous semble ainsi constituer, avec le bricolage, le moteur de l'ensemble des actions temporelles (processus) de la construction du Projet Nô-Life614(*). Paradigme de transaction socialeLa transaction sociale n'est pas un concept bien défini, mais celui qui est suscetible d'être un « paradigme » qui permet d'appréhender la vie sociale comme « une forme de séquence d'ajustements successifs »615(*). En se référant à quelques recherches récentes s'inscrivant dans ce cadre616(*), sans toutefois être exhaustif, nous pouvons relever un certains nombre de traits caractéristiques de ce cadre d'analyse. Ensuite, nous allons montrer, selon l'approche proposée par Mormont (1994), dans quelle mesure ce cadre pourrait être pertinent comme grille d'analyse pour comprendre le processus du Projet Nô-Life. Caractéristiques du paradigme de la transaction socialeVers un dépassement de la dichotomie holisme - individualisme ?Le cadre de la transaction sociale semble vouloir dépasser une série de concepts dichotomiques régissant la pensée sociologique tels que : individuel / collectif ; liberté / contrainte ; stratégie / norme ; rationnel / irrationnel ; formel / informel, négociation / imposition etc. Et l'approche nous semble marquer une attitude scientifique « non réductionniste » qui s'attache à articuler la complexité et la diversité des situations et comportements des acteurs. Notons que cette notion est d'origine belge et qu'on trouve sa source dans l'ouvrage « Produire ou reproduire ? » de Jean REMY et Lilianne VOYE paru en 1978617(*). Selon l'explication donnée par M. Blanc618(*), ces auteurs ont nettement pris leurs distances avec les principaux courants dominants de la sociologie « française » contemporaine, c'est-à-dire à l'égard de la position structuraliste de P. Bourdieu, de celle des mouvements sociaux de A. Touraine et de celle de l'individualisme méthodologique de R. Boudon619(*). Notons brièvement les différences marquées par le paradigme de la transaction sociale par rapport à ces trois courants. Par rapport à la position structuraliste qui s'attache à démontrer le mécanisme de la reproduction des structures dominantes ainsi que des relations de type dominant-dominé entre les agents, le paradigme de la transaction sociale postule que les acteurs dominés produisent également des structures sociales, et qu'ils sont capables d'élaborer des projets620(*). Par rapport à la position des mouvements sociaux, « la logique d'opposition frontale entre les mouvements sociaux et l'Etat est très simplificatrice621(*) ». Et elle ne permet pas de comprendre les situations qui se situent entre les deux comme celle de la coopération conflictuelle. Par rapport à la position de l'individualisme méthodologique, il s'agit d'une prise de distance par rapport à son approche utilitariste consistant au souci individuel de compatibiliser les bénéfices et les coûts. A côté de celle-ci, l'approche de la transaction sociale admet également l'action des individus de se contraindre, car la contrainte peut servir de cadre stabilisateur. * 614 D'ailleurs si la notion du bricolage peut nous servir comme point de vue de « base » pour analyser l'acte créateur des agents, elle a une certaine limite pour appéhender le processus entre les êtres humains ayant des natures sociales différentes. Ceci nous semble dû au fait que la notion du bricolage est conçue par Lévi-strauss par sa réflexion sur la relation entre la culture et la nature, et que Lévi-strauss présuppose toujours dans son approche structuraliste l' « esprit humain » qui est la structure inconsciente et universelle de l'homme : dans son ouvrage « Anthropologie structurale » (1958), l'universalité de l' « esprit humain » est ainsi présupposée : « l'activité inconsciente de l'esprit consiste à imposer des formes à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les esprits, anciens et modernes, primitifs et civilisés - (...) - il faut et il suffit d'atteindre la structure inconsciente, sous-jacente à chaque institution ou chaque coutume, pour obtenir un principe d'interprétation valide pour d'autres institutions et d'autres coutumes » (Lévi-strauss, 1958 : 28) D'où notre distance à l'égard d'un tel présupposé spécifique à l'anthropologie structurale, et la nécessite de prendre un passage, dans nos points de vue de recherche, de l'anthropologie (telle qu'elle est construite par Lévi-strauss) à une approche sociologique. * 615 « La transaction sociale n'est pas un concept rigoureux », « mais elle est un paradigme » (Blanc, 1994 : 10). La définition du paradigme donnée J. Rémy et L Voyé est ainsi (citée par M. Blanc) : « plus qu'une somme de concepts, le paradigme est l'image de base à partir de laquelle s'imagine une interprétation de la réalité. Le paradigme est ainsi le principe organisateur et inducteur de la construction d'hypothèses et d'interprétations théoriques » (Rémy et Voyé, 1978, cité par Blanc, 1994 : 10) * 616 L'ensemble des ouvrages collectifs suivants nous fournissent divers points de vue fondamentaux pour construire cette approche : Blanc, 1992 ; Blanc et al., 1994. * 617 Nous pouvons évoquer que la recherche menée par ces auteurs porte sur le contexte particulier à la société belge marquée par le fameux conflit complexe entre les flamands et les wallons. Cette origine belge du concept de transaction sociale n'est pas « un hasard », comme le commente M. Blanc : « Déchirée par des conflits linguistiques, religieux, politiques et économiques qui se superposent sans coïncider, la Belgique devrait être une société bloquée et pourtant elle ne fonctionne pas trop mal ! Il fallait donc inventer le concept de transatcion pour `lire' ces compromis pratiques entre acteurs qui sont contraints à cohabiter alors qu'ils restent en conflit. » (Blanc, 1992 : 13.) * 618 Blanc, 1992 : 7-9. * 619 Curieusement, ces trois courants théoriques constituent chacun un des quatre cadres principaux de la sociologie française contemporaine après la Seconde Guerre mondiale, expliqués par P. Ansart : structuralisme génétique (Bourdieu) ; sociologie dynamique (Balandier et Touraine) ; approche fonctionnaliste et stratégique (Crozier) ; individualisme méthodologique (Boudon) (Ansart, 1990). * 620 Blanc, 1992 : 8. * 621 Ibid. |