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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon


par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège
Traductions: Original: fr Source:

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Transaction sociale et processus de la construction du Projet Nô-Life

Ensuite, nous allons essayer de réorganiser le processus de la construction du Projet Nô-Life selon le cadre de transaction proposé par Mormont631(*) développé selon le contexte de sa recherche en matière de gestion de l'environnement. Nous allons voir les quatre points de vue qu'il propose dans sa conclusion pour penser le paradigme de transaction : 1 Interdépendances et incertitudes entre objet d'intervention (nature ou environnement) et dispositifs politiques et sociaux ; 2 Redéfinition des règles du jeu ; 3 Modèles transactionnels : cadres institutionnalisés d'engagement et d'anticipation ; 4 Transaction : grille d'analyse des interdépendances.

Puis, nous verrons entre le point 2 et le point 3, la notion du transcodage que nous considererons comme outil pertinent pour comprendre la mise en relation de divers acteurs d'une action publique. Situer cette notion dans le paradigme de transaction sociale nous paraît également pertinent pour éclairer celui-ci dans son processus concret.

1 Interdépendances et incertitudes entre objet d'intervention (nature ou environnement) et dispositifs politiques et sociaux

D'abord, selon Mormont, le problème de l'environnement suppose deux niveaux d'incertitudes naturelle et sociale enchevêtrées dues aux interdépendances contextuelle et sociale. C'est-à-dire que, la validité des connaissances scientifiques concernant l'environnement dépend fortement des contextes variés en termes naturel et social auxquels elles s'appliquent632(*). En l'occurence, on doit recourrir à une mise en place de systèmes incitatifs : codes de bonne pratique agricole, diffusion et vulgarisation technique, incitants économiques à utiliser des matériels plus sûrs etc633(*). Puis, l'efficacité de toutes ces mesures dépend largement de dispositifs sociaux qui acceptent ces mesures634(*).

Notre contexte ne concerne pas directement le problème de l'environnement, mais celui du vieillissement de la population. Autrement dit, c'est le problème du monde « humain » mais au niveau « bio-physique », car la population vieillit naturellement.

En fait, l'interdépendance et l'incertitude aux niveaux contextuel et social sont également grandissantes dans ce domaine.

Du côté de la population vieillie ou en vieillissement, la catégorie « bio-physique » des personnes âgées de moins en moins homogènes est difficile à identifier face à l'augmentation du nombre des personnes âgées en bonne santé. Mais le risque existe toujours ou au moins potentiellement (surtout les affections chroniques comme le diabète, les rhumatismes, les troubles des organes de la digestion). En plus, les frontières entre les personnes âgées en bonne santé, celles qui sont dépendantes, et celles qui sont malades sont de plus en plus floues. Ce qui pose un grand problème pour la « gestion » du vieillissement635(*).

Du côté de la politique sociale, les coûts économiques sont grandissants et menaçants pour les régimes de retraite et la sécurité sociale. Un trait significatif : il y a de plus en plus de jeunes qui ne côtisent plus pour le régime national de pension, ce qui menace la viabilité du système du régime. Ce phénomène semble lié à la méfiance à l'égard du système national et à l'instabilité potentielle ou présente dans leur situation économique636(*).

Puis, l'interdépendance sociale est effectivement grande. La politique du vieillissement doit de plus en plus compter sur l'autonomie individuelle et le lien social et territorial pour assurer son efficacité. Surtout depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'Assurance des aides aux personnes âgées dépendantes en 2000, la gestion des affaires relatives à cette loi est confiée aux agents locaux concernés dont les collectivités territoriales combinées avec les acteurs publics et privés concernés. D'où la thématique du vieillissement actif au niveau international, ainsi que la thématique d'Ikigai légitimée comme une politique locale du vieillissement au Japon.

Donc, sur le contexte contemporain du vieillissement au Japon, nous pouvons également dire que, comme le mentionne Mormont sur la mise en place de systèmes incitatifs agri-environnementaux, « l'efficacité [des mesures] dépend largement de dispositifs sociaux qui acceptent ces mesures637(*) ».

D'ailleurs, nous devons ajouter que le contexte du Projet Nô-Life ne s'inscrit pas seulement dans le contexte du vieillissement de la population générale, mais également dans celui de la crise de la politique agricole. Elle se traduit par la diminution et le vieillissement de la population agricole et le délabrement des terrains agricoles, dont la politique de la modernisation agricole amorcée dans les années 60 n'a pas pu régler la situation, face à la logique de plus en plus puissante du marché et du monde industriel dans le contexte de la Haute croissance économique. Loin d'améliorer la situation, cette politique a très vite causé un effet suicidaire tant pour l'appareil politique que pour la population agricole : surproduction du riz et réglementation de la production rizicole (réduction de la surface rizicole) depuis 1970638(*).

* 631 MORMONT, M. (1994), Incertitude et engagement. Les agriculteurs et l'environnement : une situation de transaction (Chapitre 10), in Vie quodienne et démocratie : Pour une sociologie de la transaction sociale (suite), L'Harmattan : p.209-234.

* 632 Ex 1 : Mesures des pesticides en agriculture dans la toxicologie. Les mesures sont difficiles à réaliser exactement en raison d'incertitudes résidant dans l'environnement réel. D'où une situation où le risque est supposé comme potentiel (Mormont, 1994 : 219) Ex 2 : Rejets de pesticides dans les milieux auquatiques. Des normes juridiques sont très difficiles à imposer en raison de la diversité des modes d'usages de ces pesticides selon les cultures, les sols, et les conditions climatiques (Ibid. : 220)

* 633 Ibid.

* 634 Ibid.

* 635 Comme nous l'avons vu dans la partie 2, l'évaluation des degrés de dépendance (yô-kaigo do) d'une personne âgée est sensible, d'autant plus qu'elle déterminera la qualité et la quantité des services dont cette personne dépandante pourra bénéficier.

* 636 En ce moment, le régime de pensions est un des sujets politiques les plus sensibles au Japon.

* 637 Mormont, 1994 : 220.

* 638 De ces constats, nous pouvons également évoquer des éléments explicatifs pour la question suivante : pourquoi au Japon (du moins au niveau local de manière dispercée), met-on en relation la crise agricole avec le vieillissement de la population générale, alors que l'environnement n'est pas pris en compte, nous semble-t-il en tout cas, avec autant d'importance et de sensibilité qu'en Europe ?

- L'agriculture japonaise, telle qu'elle est historiquement constituée dans la civilisation japonaise, dérange moins l'environnement naturel que celle occidentale qui est beaucoup plus extensive et historiquement basée sur un défrichement massif de la forêt (grandes cultures, élevage extensif, raisins...). Au Japon, il est impossible de défricher de la même manière qu'en Europe, car la forêt est essentiellement montagnarde et très dense. Et cette forêt a toujours géré, directement et effectivement, la ressource en eau et les désatres naturels (pluies, érosion, typhons, innondation etc). Et ceci tout en coexistant avec les rizières montagnardes à petite échelle qui constituent elle-mêmes également des réservoirs d'eau : ce qui n'est pas le cas pour les cultures céréalières en Europe !

- En matière de la ressource en eau, au Japon, la qualité et la quantité en ressource en eau sont considérables. Au Japon, la riziculture extensive et « chimique » ne pollue pas l'eau souterraine autant qu'en Europe occidentale. Car les engrais et les pesticides sont filtrés par l'eau des rizières. S'y ajoute l'abondance du flux de l'eau et de la pluie (pluviométrie japonaise trois fois plus importante qu'en Europe !) De plus, au Japon, l'eau potable provient essentiellement de l'amont des rivières, et pas des nappes phréatiques comme en Europe occidentale. Du coup, la pollution de l'eau souterainne par l'agriculture est moins mise en cause. Si l'élevage intensif a été très fortement contesté par la population urbaine au Japon depuis les années 60, c'était à cause de dérangements humain et urbain (odeurs) plutôt que du dérangement écologique.

- Enfin, nous pouvons évoquer l'accéssibilité importante de la population urbaine à la production agricole au Japon. Car la petitesse naturelle et historique de l'agriculture japonaise et la situation de pluriactivité développée par l'industrialisaton, ont fortement hybridé la population agricole avec la population et le système urbains. Berque explique ainsi la configuration urbaine-rurale en comparaison avec celle française, ainsi en 1973 « (...) une imbrication des franges urbaines et de la campagne, dont la banlieue parisienne ne donne pas idée ; là, antinomie entre la grande culture et le résidentiel, opposition accusée par le relief ; ici, que ce soit autour d'Osaka, de Nagoya ou de Tôkyô, rien d'abord qui rappelle les espaces découverts des plateaux de grande culture de la région parisienne ; puis, la rizière comme l'habitat ont la même prédilection pour les mêmes espaces plans ; enfin, l'habitat ne diffère pas sensiblement de la ville à sa couronne et à la grande banlieue, à ceci près qu'il se desserre relativement : c'est mutatis mutandis comme si l'on trouvait le même habitat pavillonnaire du plateau de Saclay à la plaine d'Issy-les-Moulineaux et à Montparnasse. » (Berque, 1973 : 324)

- Toutefois, nous pouvons également évoquer l'impact que peut avoir le vieillisement de la population générale dans la campagne française par rapport à la mobilité des personnes âgées. « Les mobilités de retraites vers les espaces ruraux ont un peu contribué à leur regain démographique au cours des dernières décennies (...). L'accroissement de cette population dans les vingt prochaines années est une donnée (en 2020, un Français sur trois aura plus de 60 ans) ». Mais ce facteur implique beaucoup d'incertitudes sur les comportements et modes de vie futurs des personnes âgées. « Mais il y a beaucoup d'incertitutdes sur les facteurs ou variables explicatifs des comportements et modes de vie futurs des personnes âgées : les ressources et contraintes budgétaires des retraités, la répartition territoriale de l'offre d'équipements et de services d'accompagnement en matière de soins et de santé, les types d'activités que les seniors pratiqueront dans l'avenir sont par exemple objet d'incertitudes, et pour certains aspects de controverses. »(Perrier-Cornet, 2000, 39-40) N'est-il pas aisé d'y ajouter comme facteur explicatif, soit le contexte du « vieillissement actif », soit, pourquoi pas, celui d'Ikigai à la française ?

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