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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon


par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège
Traductions: Original: fr Source:

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Généalogie de l'idée de l'agriculture de type Ikigai

Revenons sur le contexte de la construction du Projet Nô-Life. Nous allons maintenant tenter de rechercher l'origine de l'idée de l'agriculture de type Ikigai au sein des acteurs concernés.

Racine agricole et rurale

Dans le milieu agricole et rural, nous pouvons trouver des formes initiales de l'agriculture de type Ikigai en remontant à la période bien antérieure à l'établissement du Plan de 96.

Sur ce point, nous avons interrogé Monsieur O qui est ingénieur retraité de l'Institut Départemental de la Recherche Agronomique (IDRA), et actuellement invité comme enseignant dans la formation Nô-Life. Il a commencé sa carrière en tant que conseiller agricole pendant trois ans dans la coopérative agricole d'Inabu706(*). Il a ensuite été conseiller agricole dans un Centre pour l'Amélioration et la Vulgarisation agricole (ECV) dans le département d'Aichi. Puis, après avoir passé un coucours national pour devenir ingénieur spécialisé dans la production du riz, il est devenu ingénieur agricole dans l'IDRA qui dirige les conseillers agricoles au sein des Centres pour l'Amélioration et la Vulgarisation situés dans le département d'Aichi. Il a pris sa retraite à l'âge de 60 ans en 1997. Ainsi, il a travaillé au total pendant 40 ans comme conseiller et ingénieur agricole dans le département d'Aichi.

Il nous a expliqué que dans un projet qu'il a dirigé dans le cadre d'un projet qu'il a dirigé dans le cadre d'un projet d'un ECV de la Ville d'Anjô707(*) à la fin des années 80, les deux types d'agriculture : industriel et ikigai étaient déjà définis. La thématique principale de ce projet était de créer une « agriculture qui peut payer le salaire (hôshû no shiharaeru nôgyô) ». A cet effet, dans un Plan fondamental de l'ECV, il a divisé les zones agricoles situées dans le territoire concerné, en ces deux type d'agriculture, par le critère de la rentabilité potentielle.

Concernant l'agriculture de type industriel, la thématique était notamment de payer suffisamment de salaire au partenaire du gestionnaire de l'exploitation, c'est-à-dire l'épouse. Le montant du salaire visé pour un partenaire que Monsieur O nous a donné, était de 150 000 - 200 000 yens (environ 1000 - 1333 euros) par mois. Par contre, la catégorie de la population agricole ciblée pour l'agriculture de type d'Ikigai était bien les femmes et les personnes âgées au sein des foyers agricoles pluriactifs. Le montant de revenu varie selon les cas, mais il était au minimum de 800 000 - 1 000 000 yens (environ 5333 - 6666 euros) par an. Ceci, d'après l'expression de Monsieur O, en sorte que les personnes âgées « puissent offrir de l'argent de poche à leurs petits enfants ». Derrière ce projet, il y avait également un contexte où la revendication de la participation sociale des femmes était grandissante. Ce projet a connu un grand succès si bien que plus tard le « modèle d'Anjô » fut diffusé dans tout le Japon plus tard. « Pour cette époque-là, dit Monsieur O, ça a vraiment fait date ».

Nous pouvons situer cette histoire de Monsieur O dans la continuité avec le contexte du Projet Nô-Life. D'abord, nous pouvons la mettre en parallèle avec l'expérience du « Marché du mardi soir » que Monsieur S a connu depuis le début des années 80 dans la Coopérative agricole de Matsudaira située dans une zone de moyenne montagne. L'objectif était également de permettre aux femmes et aux personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs de gagner un revenu agricole708(*).

Donc, dans les années 80, l'idée de l'agriculture de type Ikigai était déjà bien présente dans les actions menées par les agents du secteur agricole afin de développer la production agricole par les femmes et les personnes âgées des foyers agricoles qui étaient marginaux par rapport aux exploitations professionnelles. Puis, il faut remarquer que, dans ces deux tentatives, l'importance était bien accordée au but lucratif de la production agricole. Et la valeur d'Ikigai était présente dans le sens où elle sert à motiver cette population à bien mener leur production agricole.

Le concept de « Second Life Academy » que Monsieur S a proposé plus tard pour le Plan de 96, était également adressé aux personnes des foyers agricoles pluriactifs (dans l'idée de Monsieur S), mais cette fois-ci, les retraités salariés, à savoir les hommes.

Nous pouvons ensuite remarquer que l'objectif du montant de revenu agricole annuel fixé par le Projet Nô-Life pour les stagiaires est le même montant que celui qui était fixé dans le projet que Monsieur O avait dirigé à Anjô : environ 100 000 yens (6666 euros). Est-ce une coincidence ? Nous n'avons pas posé cette question aux acteurs, mais nous pouvons constater un trait commun entre le Projet Nô-Life et ces approches historiquement menées par les agents du secteur agricole. De ce point de vue, nous pouvons considérer que l'agriculture de type Ikigai telle qu'elle est conçue par le Projet Nô-Life se situe dans la même ligne que la politique de la modernisation agricole, dans le sens où le seul critère de la productivité (rentablilité) détermine le type de production agricole.

Il faut admettre que, si nous pouvons entendre la « crise » agricole par la stagnation de la production agricole due au problème de la surproduction (réduction de la surface rizicole), et à l'avancement du phénomène de la pluriactivité dans les territoires de la Ville de Toyota ou de la Ville d'Anjô, les tentatives du développement de l'agriculture de type Ikigai venaient compléter la politique de la modernisation productiviste qui s'avérait en partie défaillante, plutôt que pour la mettre en cause ou la changer. Et le terme d'Ikigai semble avoir bien été efficace pour engendrer cette politique aussi bien du côté des agents (une valeur morale et productiviste) que du côté des producteurs cibles (motivation).

Cependant, il ne faut pas oublier que, du côté des producteurs cibles (foyers agricoles pluriactis à faible productivité), nous avons supposé trois éléments qui pouvaient également être facteurs de leurs actions : besoin d'autonomie socio-économique ; motivation pour continuer la production agricole ; maintien de l'identité professionnelle en tant que Nôka (agriculteurs / agricultrice ou foyer agricole). (voir la partie de l'acteur 3)

Enfin, la politique de l'agriculture de type Ikigai s'est ainsi effectuée donc par l'interaction entre les agents du secteur agricole (ECV, CAT) et les producteurs cibles. Et l'idée de l'agriculture d'Ikigai a pu se constituer dans ce jeu d'interaction, un outil symbolique très subtil et efficace pour gérer une situation d'incertitude du secteur agricole ou une crise agricole. Ceci tout en permettant à la politique de la modernisation agricole antérieure de réparer sa « panne » constituant la cause de l'incertitude ou la crise, et de se rejustifier ainsi pour pouvoir poursuivre une politique de même nature qu'avant.

* 706 Inabu est un village situé dans la zone de moyenne montagne ayant fusionné avec la Ville de Toyota en 2005.

* 707 La ville d'Anjô est une région agricole en plaine située au Sud-est de Toyota.

* 708 Dans le cas du Marché du mardi soir, l'activité suscitée était la vente directe des produits du terroir.

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