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Racine urbaineDu côté du milieu urbain, comme nous l'avons vu, le terme d'Ikigai était déjà en vogue dans les médias japonais dès la fin des années 60 : époque de la haute croissance économique où commençait à grandir l'interrogation sur l'amélioration de la qualité de vie des salariés ou sur la motivation pour le travail. Ikigai dans le milieu syndical japonais des années 70Pour mieux appréhender le contexte social où le terme Ikigai prenait un sens particulier dans son usage, nous pouvons évoquer que ce terme était massivement employé dans le milieu syndical japonais dès les années 70. Citons le célèbre reportage de Satoshi KAMATA qui nous le confirme. Ce reportage, intitulé « Jidôsha zetsubôkôjô (Usine automobile du désespoir) » a decrit, en se basant sur sa propre expérience d'ouvrier saisonnier de 1972 à 1973 dans une usine de l'Automobile Toyota dans la ville de Toyota, la réalité des conditions du travail et la vie des ouvriers des usines de l'Automobile Toyota709(*). Dans ce reportage, Kamata cite une annonce publiée dans « Shûkan toyota (Toyota hebdomadaire) » qu'il a trouvé par lui-même le 9 octobre 1972 dans l'usine où il était employé710(*). Cette annonce montre, dans le contexte du mouvement de la réunification des syndicats ouvriers du secteur automobile dans la « Fédération générale automobile (Jidôsha sôren) » en 1972, le slogan de cette Fédération, qui était le suivant « Par l'établissement d'une organisation sectorielle, réalisons une société de providence où sont présents Ikigai et le Sens du travail (hataraki gai) (sangyô betu soshiki wo kakuritsu si, hatarakigai ikigai no aru fukushi shakai no jitsugen wo hakarô) »711(*). Puis, quatre « bases de mouvement (undô no kichô) » et deux « principes des activités concrètes (gutaiteki katsudô hôshin) » sont présentés de la manière suivante : « Bases de mouvement » : a. Réalisation de la société de providence ; b. Recherche du Sens du travail (hatarakigai) et Ikigai ; c. Etablissement d'une organisation sectorielle puissante ; d. Démocratisation de l'industrie. « Principes des activités concrètes » : a. Elevation du niveau de vie ; b. Renforcement des activités pour la politique industrielle712(*) La politique des syndicats ouvriers de Toyota et de la Fédération générale automobile était marquée par sa position de « Coopération (kyôchô) » et non par la lutte de classe. Pour eux, la relation employeur-employé était officiellement considérée comme « une relation humaine »713(*). Ainsi, la grève n'a été effectuée qu'une seule fois (en 1949) jusqu'à nos jours par les syndicats de l'Automobile Toyota. Plus tard, la Fédération générale automobile jouera un rôle central pour créer Rengô en 1989. Selon la description de Kamata, à l'époque où il était employé, le syndicat ouvrier de Toyota mettait de plus en plus l'accent dans sa revendication sur la « restauration d'Ikigai » par le biais de l'augmentation du loisir des employés, au lieu de mettre en cause le problème du travail même, comme le mode de production et les conditions de travail714(*). A partir de cette illustration, nous avons pu constater un mode d'emploi du terme Ikigai qui sert d'outil symbolique bien efficace pour une meilleure intégration du salariat dans l'entreprise japonaise. Et ceci sans remettre en cause le productivisme capitaliste. De là, nous pouvons également comprendre le contexte sur lequel Umesao basait sa critique de la notion d'Ikigai. * 709 Kamata, 1983. Cet ouvrage a été traduit en français par Jean-Louis FOLGOET comme Toyota : l'Unine du désespoire. Journal d'un ouvrier saisonnier (1976), Les éditions ouvrières. * 710 Kamata, 1983 : p.77-78. * 711 Ibid. * 712 Ibid. * 713 Ibid. : p.253 * 714 Ibid. : p.171; 223. |