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Rapport de pouvoirs entre les sept agentsEnfin, le compromis tel qu'il est constitué pour la construction du Projet Nô-Life, est-il équilibré ou déséquilibré ? Pour répondre à cette question, nous allons examiner le rapport de pouvoirs établi entre les sept acteurs institutionnels à partir du schéma ci-dessous. Dans ce schéma, nous pouvons facilement repérer la forte emprise qu'ont des agents appartenant au monde agricole professionnel (BPA, CAT, BDPA, ECV, GASATA), sur la réalisation du Projet Nô-Life, par rapport aux deux autres agents (SCI, CFLS) qui n'y sont qu'indirectement impliqués. Parmi les cinq agents appartenant au monde agricole professionnel, quatre agents (BPA ; CAT ; l'ECV : vulgarisateur agricole ; GASATA : groupement d'arboriculteurs professionnels) s'impliquent directement dans les activités de la formation Nô-Life. Le BDPA (administration agricole départementale) conserve un rôle de tutelle. Lors du contrôle final du stage individuel sur l'état d'entretien des cultures, quelques responsables de ces cinq agents sont présents pour donner leurs commentaires. Puis, traditionnellement, ces cinq agents constituent entre eux des liens de partenariat. Si bien qu'ils sont constamment en contact dans leurs activités routinières liées au monde agricole professionnel. Ce qui renforce leur lien social. BPA Monde agricole professionnel Monde services publics locaux (Municipalité) CAT BDPA ECV GASATA SCI CFLS Monde syndical et salarial : Lien de partenariat traditionnel : Lien de partenariat indirect pour le Projet Nô-Life : Lien de partenariat direct pour le Projet Nô-Life Schéma : Rapport institutionnel dans le Projet Nô-Life En fait, les deux autres agents ne sont qu'indirectement impliqués dans les activités du Projet Nô-Life. Le SCI (agent des services publics locaux pour Ikigai des personnes âgées), maintient juste son rapport avec le Centre Nô-Life via son propre projet « Ferme-école des personnes âgées » qui joue le rôle médiateur entre les personnes âgées en général et le Centre Nô-Life. En effet, cette école peut être une première étape pour apprendre pendant un an les pratiques agricoles en tant que débutant, et ensuite s'inscrire éventuellement au Centre Nô-Life pour passer à l'étape suivante. Mais, nous l'avons vu, l'écart est net entre la position du SCI et le monde agricole professionnel. Pour le SCI, les activités agricoles pour les personnes âgées ne peuvent avoir de siginification qu'en relation avec l'amélioration de la qualité de vie ou de le lien social et territorial des personnes âgées. Et par là, l'agriculture peut avoir un lien avec l'aménagement de la Ville dans le sens du paysage ou de l'aménité, mais le développement agricole au sens sectoriel et productiviste n'entre pas dans l'approche du SCI. Si le CFLS joue le rôle de médiateur entre les retraités salariés résidant dans la Ville de Toyota et le Projet Nô-Life via une offre d'informations auprès de ses adhérents, il ne s'implique pas dans les activités de la formation Nô-Life. De même, ces dix dernières années, il a établi un lien de partenariat avec la Municipalité via diverses thématiques concernant la vie locale (aménagement urbain, animation etc) dans lesquelles la thématique de la promotion d'Ikigai des personnes âgées est abordée en terme de la qualité de vie et du lien social et territorial. La thématique de l'agriculture l'intéresse également, mais elle est traitée dans le cadre de sa politique syndicale à l'échelle nationale, soit pour l'autosuffisance alimentaire, soit pour la préservation de l'environnement naturel et rural. Selon son point de vue (informellement énoncé lors de notre entretien), le Projet Nô-Life ne pourrait pas contribuer au développement agricole dans le sens sectoriel et productiviste. A cet effet, la mobilisation des personnes âgées actives sera incertaine et insuffisante. Ainsi, il n'a pas l'intention de plus s'impliquer dans le Projet Nô-Life.
« Ambiguïté structurale » ?Enfin, à partir de ce schéma, nous pouvons également repérer la position ambigüe du BPA marquée par sa double appartenance d'un côté au monde des services publics, de l'autre au monde agricole professionnel. Cette double appartenance traduit bien l'ambiguïté du principe du Projet Nô-Life. Sur cette ambiguïté de la position du BPA, nous pouvons évoquer la notion de l' « ambiguïté structurale » que P. Bourdieu emploie dans un de ses derniers ouvrages737(*). Ceci pour analyser le comportement d'un agent public (ingénieurs du DDE : Direction départementale de l'équipement) occupant une position dominante dans l'application locale de la politique du logement dans le Val d'Oise. Selon Bourdieu, cette ambiguïté est due à la « double dépendance » de cet agent basé sur la situation de « champ local738(*) » où s'impose la double relation structurée, d'un côté verticale (hiérarchie bureaucratique et ministère de tutelle) et de l'autre horizontale (préfet et collectivités locales). Et cette ambiguïté de la position, déterminée non seulement par des champs structurés et complexes, lui permet de jouer stratégiquement pour « s'assurer une forme d'indépendance autorisant les compromis, les exceptions et les transactions et, par là, d'importants avantages matériels et symboliques »739(*). Ainsi, selon Bourdieu, malgré la possibilité de l'opération d'une transaction singulière dans un champ territorial, la position dominante des agents bureaucratiques et de leurs « protégés (notables) » sera assurée via une violence symbolique vis-à-vis des agents faibles (« les assujettis » et « les administrés »)740(*). Ce point de vue relève que des contraintes structurales peuvent même exister dans une situation de champ local où les agents peuvent s'arranger de manière flexible comme dans le cas du Projet Nô-Life. Cependant, nous nous gardons d'appliquer directement à notre cas l'analyse structuraliste de Bourdieu, car le Projet Nô-Life ne s'inscrit pas dans une politique générale comme la politique du logement. C'est d'abord un projet portant une thématique locale et nouvelle, spécifiquement élaboré entre des agents relevant de différents champs (bureaucratique, agricole). Si des contraintes structurales peuvent peser généralement sur ce processus tant sur les agents bureaucratiques que sur les agents du secteur agricole, elles ont été « mises en parenthèses » par un compromis initialement établi entre ces agents. Autrement dit, l'ambiguïté structurale de la position du BPA a « cédé » sa place pour que celui-ci entre en compromis institutionnel pour lancer le Projet Nô-Life, sans pour autant effacer son influence latente sur ce compromis. * 737 Bourdieu, 2000 : 166. * 738 Le « champ » est un des concepts centraux élaborés par Bourdieu. Pour la définition générale, nous pouvons se référer à son ouvrage « Questions de sociologie » (1984) (« Quelques propriétés des champs »(p.113-120). Il est d'abord un « état du rapport de force entre les agents ou les institutions engagées dans la lutte » (Bourdieu, 1984 : p.114). Et ils luttent dans l'enjeu du monopole de ces capitaux spécifiques. Ils sont ainsi dans une relation de concurrence en ayant chacun ses propres intérêts, stratégie et position. Nous pouvons généralement considérer le champ comme « structure de la distribution du capital spécifique »(Ibid.) dont l'accumulation s'effectue « au cours des luttes antérieures », et qui « oriente les stratégies ultérieures » des agents constitutifs du champ. Puis, ce rapport de forces entre les agents peut se traduire comme un rapport dominant - dominé déterminé par l'inégalité de la distribution du capital spécifique. A travers les luttes entre les agents y compris les nouveaux entrants qui essaient de « faire sauter les verrous du droit d'entrée » (Ibid. p.113) et entre souvent en opposition face aux dominants qui essaient « de défendre le monopole et d'exclure la concurrence » (Ibid.). La structure du champ est ainsi « au principe des stratégies destinées à la transformer, est elle-même toujours en jeu » (Ibid. : p.114). * 739 Ibid. * 740 Ibid. : 171-172. |