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4 Prise de position vis-à-vis de l'agriculture de type IkigaiPour ce schéma, nous avons essayé de déterminer la position des enquêtés en rapport avec leurs positions occupées dans les deux derniers schémas, ainsi que les réponses obtenues pour la question d. sur la vision de l'« agriculture de type Ikigai » telle qu'elle est proposée par le Centre Nô-Life : combinaison d'Ikigai des personnes âgées et l'agriculture avec l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Le résultat, c'est que la plupart des enquêtés (sauf M. Nichizawa et M. Kamihata qui poursuivent cet objectif) ont finalement pris leurs distances avec le pôle de la production matérielle à but lucratif en répondant « impossible » ou « trop contraignant » sur l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Sinon, sur l'idée de considérer l'agriculture comme Ikigai, la plupart des enquêtés ont donné chacun une réponse positive à leur manière. Puis, nous avons réuni dans le « Groupe distancié » quatre personnes qui ne considèrent pas forcément l'agriculture comme leur Ikigai, ou mettant fortement en doute cette idée. Il s'agit de M. Shioya, M. Suzuki, Mme. Tsuzuki et M. Imai. Groupe distanciéPourquoi ces quatre personnes se sont retrouvées en dehors du cercle de l'agriculture de type Ikigai au travers de la formation Nô-Life ? Sont-ils totalement désintéressés par le Projet Nô-Life ? Quels sont finalement les facteurs de ce décalage entre la vision officielle de l'agriculture de type Ikigai et leurs visions personnelles ? Ces facteurs sont-ils extérieurs et généraux liés au Projet Nô-Life ou intérieurs et particuliers aux contextes individuels de ces enquêtés ? Parmi ces quatre enquêtés, à part M. Suzuki, trois enquêtés sont originaires d'un foyer agricole local qui avaient, au départ, comme motivation le maintien de leurs biens agricoles familiaux. Mais leurs raisonnements sont variés en rapport avec leur trajectoire, leur ancrage social et leur construction de la vie. Qualité de vie (individuelle) Lien social et territorial Production matérielle (lucrative) M. Katô : 2 / 4 M. Kobayashi : 2 M. Imai : 2 Mme. Tsuzuki : 1 Mme. Katô : 2 Mme. Mizutani : 2 Mme. Konno : 2 M. Suzuki : 1 / 2 M. Shioya : 1 M. Nichizawa : 4 Mme. Kawamura : 4 M. Itô : 1 M. Shimizu : 1 M.Isomura : 1 M. Naruse : 1 M. Kamihata : 1 / 2 : Position claire : Indifférent, relativiste, interrogation Schéma : prises de position visà-vis de l'agriculture de type Ikigai Les numéros 1- 4 sont les types des trajectoires. Groupe distancié Groupe neutre Groupe productiviste M. Shioya reconnaît « ne pas faire partie des gens de ce type » (agriculteurs de type Ikigai) promu par le Centre Nô-Life, dans le sens où il n'a pas l'intention de mener ses activités agricoles dans le but de dégager un million de yens de revenu agricole. Il considère ses activités agricoles comme un « loisir » tout en mettant l'accent sur le fait qu'il prend plaisir à aller tous les jours aux champs s'occuper de légumes, ce qui constitue son nouveau « rythme de vie » après la retraite. Puis, il met en doute notamment l'idée du Projet Nô-Life de faire s'investir les salariés retraités dans les activités agricoles avec un but lucratif. Pour lui, ce n'est pas une idée raisonnable tant que « cela ne paiera pas ». D'une part, sa réflexion vis-à-vis de l'investissement économique dans les activités agricoles est liée à sa trajectoire : il a déjà arrêté sa production rizicole il y a 20 ans en raison de la politique de la réduction de la surface agricole ayant donné des subsides pour la mise en jachère des rizières. Il a ainsi mis en jachère ses 0.3ha de rizières. Depuis cela, il n'a plus jamais cultivé du riz. Il souligne que la production rizicole à petite échelle n'est pas rentable par rapport à l'investissement nécessaire pour les plantes, les machines, les engrais etc. Maintenant, il a seulement un tracteur datant de plus de trente ans pour labourer seulement les terrains pour les « gérer ». D'autre part, son raisonnement se base sur le fait qu'il a construit un style de vie qui est très riche en terme de loisirs : voyage à l'étranger dans des milieux de type « non exploré » (ex. le profond de montagnes en Chine, la Patagonie en Argentine, voir l'aurore etc. ; nombreuses activités d'apprentissage : Shamisen, Minyô (chant populaire japonais), Kîkô et la conversation en anglais etc. Devant ces loisirs, l'agriculture n'a pas la priorité. Et il « n'[a] pas de temps » de se consacrer à cela. D'ailleurs, ce qui constitue Ikigai pour lui est « faire ce que l'on aime ». Mme. Tsuzuki montre une attitude indifférente vis-à-vis de l'idée de considérer l'agriculture comme Ikigai. Elle n'est pas venue suivre la formation Nô-Life pour cela, mais c'était parce que « par hasard », « il y avait des rizières et des champs » chez elle. Pourtant, cela ne veut pas dire qu'elle est indifférente à l'égard du Projet Nô-Life par sa propre volonté. Cette attitude est d'abord liée à son ancrage familial. Chez elle, il y a 0.65ha de rizières, 0.2ha de champs secs. Et c'est sa belle-mère qui s'occupe encore de la plupart des cultures principales. Donc, Mme. Tsuzuki, qui est d'abord femme au foyer dans sa famille, n'a pas encore la responsabilité de s'occuper des cultures. Si bien qu'elle vient aider sa belle-mère avec son mari qui est salarié, uniquement pour les périodes chargées comme la plantation et la récolte du riz. C'est pourquoi elle n'avait jamais cultivé des légumes avant la formation Nô-Life. Puis, comme elle habite à six avec ses beaux-parents, son mari, ses deux enfants lycéens, elle doit remplir beaucoup de tâches en tant que mère (repas scolaires des enfants) et femme au foyer (repas de la famille, ménage etc). En plus de cela, elle a beaucoup d'autres occupations personnelles et sociales qui dépassent largement le niveau domestique : tennis comme loisir et plusieurs activités bénévoles : membre de l'association des parents des élèves ; membre d'une commission de la santé des parents-enfants au lycée ; chargée de la communication dans une coopérative de consommation etc. Cependant, elle suggère que, plus sa belle-mère sera âgée, plus elle aura de « choses à faire ». De ce fait, nous pouvons dire que, comme elle n'a que 48ans, il est encore trop tôt pour qu'elle puisse consacrer beaucoup de temps aux activités agricoles familiales. De ce point de vue-là, son acte de participer à la formation Nô-Life peut être considéré plutôt comme positif car c'est une anticipation de sa future occupation familiale. Pour M. Imai, l'agriculture n'est pas Ikigai, mais une obligation familiale à l'égard de biens agricoles familiaux. Ceci est lié à la circonstance défavorable de son foyer agricole. D'abord, il a été obligé de reprendre les travaux agricoles de sa famille suite à la perte de son père (il y a cinq ans) et son beau-frère (il y a un an). Et ceci alors qu'il a pris sa préretraite à la poste il y a trois ans (à l'âge de 54ans). En plus, l'échelle des terrains agricoles de sa famille est petite depuis la génération de son père qui était pour cela déjà pluriactif dans sa jeunesse. Maintenant, il cultive du riz sur 0.2ha de terrains et des légumes seulement sur 0.03-0.04ha. M. Imai n'arrive pas encore à cultiver tous ses terrains et laisse 0.05ha en jachère, ou en friches qui sont « pleines de mauvaises herbes (kusa bôbô) ». C'était dans une telle circonstance qu'au début, il avait trouvé une sympathie pour le slogan de « former les porteurs de l'agriculture » du Projet Nô-Life. Mais, au cours de la formation Nô-Life, il s'est vite rendu compte qu'il n'était pas le type d'agriculteurs que le Projet voulait former. Pourquoi finalement est-il arrivé à cette réflexion ? En effet, il n'a pas vraiment l'intention de vendre ses produits (sauf du riz), parce que cela nécessite plus de temps et de techniques. Pour lui, dégager plus d'un million de yens de revenu agricole imposera trop de contraintes. Pourtant, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas de motivation pour produire : la preuve est que cela fait plus de dix ans qu'il est abonné à une revue agricole intitulée l' « agriculture contemporaine (gendai nôgyô)758(*) », et qu'il les « lisai[t] toutes » auparavant, lorsqu'il ne consacrait pas beaucoup de temps à s'occuper des terrains de la famille comme ces dernières années. Ceci était afin de connaître les moyens les plus économes d'entretenir ses cultures à petite échelle. Mais la méthode que la formation Nô-Life lui a enseignée est celle de l'agriculture conventionnelle qui demande une utilisation standardisée de produits chimiques. Et c'est à ce niveau-là que M. Imai ressent un décalage avec le Projet Nô-Life. Autrement, s'il n'arrive pas à développer plus ses activités agricoles, c'est parce qu'il travaille tout seul en ce moment, alors que sa femme continue à travailler de son côté. Ce qui peut physiquement et psychologiquement constituer un poids pour M. Imai. C'est pourquoi il suggère que, quand elle prendra sa retraite, ils pourront peut-être travailler la terre ensemble et s'y investir plus... D'ailleurs, il a souligné qu'il était encouragé par le fait que le même type de personnes que lui se réunissent dans le Projet Nô-Life. Cela montre qu'il a une motivation potentiellement importante pour développer ses activités agricoles plus tard. M. Suzuki est, comme nous l'avons vu dans le schéma du changement d'idées, fortement déçu par la formation Nô-Life dans la filière de l'arboriculture. Il n'arrive plus à « croire à l'idée du maire » qui a lancé le Projet Nô-Life. Il est confronté au dilemme entre la contrainte économique trop grande pour s'investir dans l'arboriculture et son engagement fort pour le monde agricole. Ce dilemme est pour lui douloureux, d'autant plus qu'il était un des stagiaires les plus engagés dans les activités de la filière de l'arboriculture, alors que beaucoup de stagiaires de cette filière se sont désintéressés de leur stage dans les vergers, en s'intéressant à d'autres cultures comme les figues ou cultiver des légumes. (cas de Mme. Konno et Mme Kawamura) Sinon, il considère Ikigai dans le sens de la construction d'un autre type de vie que la vie salariale. D'ailleurs, il rêvait de mener une vie basée sur l'autoproduction et l'autoconsommation dans la montagne depuis l'âge de 50ans (il est originaire d'un foyer agricole de Shizuoka). Sa volonté de monter une association de stagiaires avec M. Itô est révélatrice de son engagement pour le monde agricole. Et cet acte montre également qu'il trouve des problèmes dans le Projet Nô-Life et essaie de chercher des solutions à sa propre initiative. Pour M. Shioya, M. Imai et M. Suzuki, leur éloignement du monde de l'agriculture de type Ikigai semble être lié à l'orientation de la formation Nô-Life formulée par l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Certes, chacun perçoit toujours les choses à sa manière dans son ancrage particulier. Mais la contradiction, semble moins se trouver dans l'histoire ou la convenance personnelles de chacun, que dans le fait même que ces trois hommes correspondants le plus au type de personnes visé par le Projet Nô-Life (jeunes salariés retraités), n'ont pas été convaincus par l'orientation de la formation Nô-Life. Ceci nous semble vrai d'autant plus qu'ils continuent chacun à leur manière à s'intéresser aux activités agricoles. Et M. Imai et Mme. Tsuzuki, eux aussi, pourront être plus dynamiques en terme des activités agricoles en fonction de changements ultérieurs de leur situation familiale (retraite de l'épouse pour M. Imai, vieillissement de la belle-mère pour Mme. Tsuzuki). * 758 Revue mensuelle japonaise publiée par Nôbunkyô depuis les années 1940 (après la fin de la deuxième guerre mondiale). |