Groupe neutre
Ensuite, parmi les enquêtés situés dans le
cercle de l'agriculture de type Ikigai, nous avons encerclé dans le
« Groupe neutre » dix personnes considérant
l'agriculture comme Ikigai, mais conservant une distance avec l'orientation
productiviste du Projet Nô-Life traduite par l'objectif d'un million de
yens de revenu agricole.
Un bon nombre parmi eux ont exprimé un doute manifeste
sur l'objectif d'un million de yens de revenu agricole (M. Shimizu, M. Isomura,
Mme. Katô, Mme. Konno, Mme Mizutani, Mme Kawamura) ou sur la
méthode enseignée par la formation qui est trop productiviste et
pas très économe (M. Itô, M. Kobayashi, M. Naruse et M.
Katô). Parmi eux, Mme Kawamura, M. Naruse et M. Katô ont surtout
l'intention de mener une production de type plus écologique.
Ce qui caractérise ce groupe est qu'ils ont l'intention
de garder un rapport économique dans leur prise de position (sauf M.
Itô qui n'a plus l'intention de mener une production quelconque et M.
Katô qui reconnaît devoir chercher un travail en dehors de ses
activités agricoles pour vivre)
Parmi ces enquêtés nous pouvons remarquer que les
personnes du type de trajectoire 2 (ou 2/4 ou 4) impliquant une situation de
crise (insuffisance) au niveau du capital socio-culturel, ont tendance à
prendre position plus proche du pôle de la production matérielle
(Mme. Kawamura, Mme Katô, Mme Konno, Mme Mizutani, M. Kobayashi). C'est
qu'ils ont l'intention d'établir le lien entre leur construction de
capitaux socio-culturels et un certain niveau d'activités
économiques. Nous allons voir les raisonnements de chacun au cas par
cas.
Mme Kawamura, suite à son divorce et sa situation
précaire depuis cinq ans, a besoin de construire à la fois de
nouveaux capitaux économiques et socio-culturels. Mais son exigence
économique n'est pas pour autant de gagner sa vie, mais de maintenir son
autonomie relative à sa situation familiale (être chargée
par sa fille). C'est ainsi qu'elle a l'intention de gagner « de
l'argent de poche de tous les jours ».
Puis, Mme. Katô qui a un capital économique
suffisant pour elle-même, essaie de construire un capital
économique pour répondre à une situation de crise de sa
famille : fils au chômage et mauvaise relation conjugale. Mais elle est
confrontée au risque trop élevé qu'implique un
investissement économique à faire dans la production de fraises
en serre. En fait, le prêt agricole départemental que le Centre
Nô-Life propose aux stagiaires, est un système plutôt
destiné aux agriculteurs professionnels qu'aux salariés
retraités qui n'ont ni assez d'expériences pour cela, ni un
objectif purement professionnel ou économique.
Mme. Konno est en quête d'un certain niveau de capital
économique pour faire face à la crise au niveau du capital
socio-culturel dans le sens où elle risquait de perdre
l'équilibre entre les trois aspects personnels en tant qu'individu
(« territoire de soi-même »), épouse et
mère de trois enfants. C'est pour répondre à cette crise
qu'elle a choisi de mener à son initiative une production agricole avec
sa famille à long terme, pour s'assurer à la fois une
économie domestique plus stable, une meilleure relation familiale
(épouse et mère) et une occupation personnelle pour son autonomie
individuelle. Et elle trouve qu'elle est bien placée pour mener cette
activité en raison de son âge encore jeune (35ans).
Sa prise de position nous apparaît, en fait,
bouleversante par rapport à la position officielle du Centre
Nô-Life qui vise d'abord les salariés retraités
majoritairement à dominante masculine dans son approche de l'agriculture
de type Ikigai. En effet, elle s'affirme comme une seule personne placée
dans une position idéale par rapport aux trois pôles de
l'agriculture de type Ikigai, alorsqu'elle constitue un type de stagiaire de
Nô-Life tout-à-fait imprévu par les agents gestionnaires du
Projet Nô-Life ! (jeune femme, originaire d'un foyer non agricole, sans
aucune expérience agricole)
Mme. Mizutani, confrontée à une situation
précaire de son fils comme Mme. Katô, essaie de construire un
capital économique avec de nouvelles activités agricoles avec sa
famille. Mais elle se retrouve dans sa situation personnelle avec une
série de conditions incertaines (motivation incertaine de son fils,
financement, difficulté pour réaliser la rentabilité
etc)
M. Kobayashi a connu deux pertes successives de membres de sa
famille en 2003 (décès de l'épouse suite au cancer du
poumon, celui des parents suite à un incendie). C'est pourquoi il a pris
sa préretraite à la même année, et a
hérité des biens agricoles de sa famille. Dans le but de
maintenir et transmettre les biens agricoles familiaux qui étaient
auparavant entretenus par ses parents, il participa à la formation
Nô-Life depuis 2005. Et il affirme finalement que cet objectif du
maintien et de la transmission est son Ikigai.
Il est potentiellement motivé pour développer
ses cultures sur 1.2ha de rizières et de champs secs qu'il a
hérité de ses parents, même s'il n'arrive pas encore
à tous les cultiver tous en raison de sa compétence encore
insuffisante. S'il hésite encore à exercer la vente de ses
produits en raison de contraintes du marché qui seront imposées
à la production, il a quand même l'intention d'entrer dans un
groupement de producteurs dans deux ou trois ans, quand sa compétence
sera plus grande.
En même temps, il trouve la méthode
enseignée par la formation Nô-Life trop coûteuse en terme de
l'utilisation de machines et de produits chimiques, et surtout non
adaptée aux besoins réels des stagiaires. Il pense qu'il vaut
mieux que le Centre Nô-Life enseigne également des méthodes
sans traitement chimique.
Sinon, pour le reste de personnes du Groupe neutre ayant le
type de trajectoire 1(sauf M. Katô), chacun a son engagement à sa
manière dans la vision de l'agriculture de type Ikigai, même si
dans une situation relativement stable au niveau des capitaux économique
et socio-culturel.
M. Katô reste relativiste vis-à-vis de l'objectif
d'un million de yens de revenu agricole. Cette attitude n'est pas simplement
due au fait qu'il s'intéresse uniquement à l'autoconsommation.
Mais elle est liée au fait qu'il est dans une situation de crise au
niveau des capitaux économique et socio-économique
(chômeur, dépression) : Comme il sait qu'il faut maintenant
avoir un autre travail en dehors des activités agricoles pour pouvoir
vivre économiquement, il n'a pas l'intention de se consacrer davantage
à ses activités agricoles. Puis, comme il a encore un fils allant
au collège avec lequel il faut passer du temps dans sa famille, il
envisage de s'investir davantage dans ses activités agricoles
après que son fils aura grandi.
M. Naruse porte un intérêt à long terme
concernant ses activités agricoles comme une occupation principale
après sa retraite. Sinon, il hésite entre l'autoconsommation et
la vente en raison de contraintes liées au marché.
M. Itô, 43ans, porte également un
intérêt à long terme pour l'agriculture en pensant au
problème qu'il rencontrera dans 10-15ans : celui d'Ikigai. Il montre une
motivation identitaire et sociale pour son implication dans le monde agricole
à travers l'idée de monter une association de stagiaires dont il
discute avec M. Suzuki. Son acte est comme le cas de M. Suzuki,
révélateur de son engagement qui pourrait être porteur de
perspectives à l'initiative de stagiaires eux-mêmes,
c'est-à-dire non à l'initiative d' « en
haut » émanant d'agents institutionnels, pour l'avenir du
Projet Nô-Life.
M. Shimizu est très critique vis-à-vis de
l'objectif d'un million de yens de revenu agricole. Pour lui, c'est un objectif
qu'il ne faut pas annoncer aux stagiaires, car il est absolument impossible
à réaliser. Ce sentiment contestataire se base sur ses
expériences de la vente de Kaki ainsi que celles du passé
liées à son foyer agricole qui n'a pas pu continuer sa production
agricole depuis une quarantaine d'années.
Son intérêt pour la participation à la
formation Nô-Life porte aussi sur le long terme : il pense à son
futur successeur auquel il pourra confier la gestion de ses terrains agricoles.
Il considère ses activités agricoles comme quelque chose de
différent d'un simple loisir mais indéfinissable.
Pour M. Isomura, la question d'Ikigai est également une
préoccupation importante. Il a rapidement opéré un
changement radical de son mode de vie : celui de type salarial à celui
de type « paysan » qui implique un mode d'utilisation du
temps complètement différent. D'après lui, c'est ce que
beaucoup de salariés retraités n'arrivent pas à
réaliser en général, à cause de leur tendance
d'être dépendant de l'entreprise, dite l' « homme
de l'entreprise (kaisha ningen) ».
S'il a une position plutôt équilibrée
vis-à-vis des trois pôles de l'agriculture de type Ikigai, mais il
pense néanmoins que trop de contraintes imposées à la
production par le marché risquent d'empêcher beaucoup de
stagiaires de Nô-Life de continuer leurs activités agricoles.
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