Groupe productiviste
Concernant deux hommes de ce groupe, loin de se mettre
à la simple recherche de la rentabilité, l'un essaie de
construire sa vie économique et sociale dans une situation de crise,
l'autre essaie de construire après sa retraite une vie fortement
liée à son identité agricole et paysanne du passé,
qui n'a jamais été oubliée dans sa trajectoire, tout en
mobilisant ses expériences passées et sa relation sociale.
M. Nichizawa poursuit toujours son objectif professionnel dans
la formation Nô-Life, tout en s'appuyant sur sa passion, son
intérêt à long terme (« jusqu'à la
mort »). C'est également une urgence par rapport à ses
crises au niveau des capitaux économique et socio-culturel : il est
célibataire et chômeur à l'âge de 43 ans.
Pourtant, les contraintes lourdes pour l'investissement dans
la production de fraises en serre, constituent un grand souci pour lui.
M. Kamihata poursuit, de manière persistante, son
objectif économique (plus d'un million de yens de revenu agricole). Ceci
malgré sa situation relativement stable en terme économique et
socio-culturel. Sa tentative d'une nouvelle installation agricole avec la
formation Nô-Life semble être, en quelque sorte, une quête
identitaire liée à ses expériences passées en tant
qu'agriculteur.
Au travers de sa nouvelle installation agricole, il a
l'intention de contribuer au développement local et rural notamment dans
une zone de moyenne montagne. Il veut notamment avoir le lien avec la
population locale surtout des rapports de coopération avec les gens de
sa génération : baby-boomers qui avaient quitté leur terre
pour travailler dans le secteur automobile, et qui vont prendre leur retraite
comme M. Kamihata.
Par ailleurs, la mobilisation et la compréhention de sa
famille sont indispensables pour lui. Il travaille par ses activités
agricoles avec son épouse, son fils et d'autres personnes de sa famille
(ex. famille de sa soeur). Avec ses activités agricoles, il a
également l'intention d'éviter d'être dépendant de
ses enfants lorsqu'il sera âgé. Au contraire, avec sa tentative
d'une entreprise agricole familiale, il souhaite pouvoir laisser à ses
enfants un « chemin » pour leur avenir. Donc, son
engagement s'inscrit également dans le contexte social du
vieillissement.
Poids lourd de l'orientation productiviste du Projet
Nô-Life
Dans notre analyse des prises de position des stagiaires
enquêtés vis-à-vis de la vision de l'agriculture de type
Ikigai proposée par le Centre Nô-Life, nous avons constaté
une influence lourde de l'orientation productiviste de la formation
Nô-Life imposée sur les raisonnements des
enquêtés.
En effet, l'objectif d'un million de yens de revenu agricole
et la formation Nô-Life orientée par cet objectif constituant les
facteurs généraux et extérieurs aux contextes individuels
des enquêtés, font obstacle à leur accès au
pôle de la production matérielle à but lucratif dans leur
prise de position. Car cet objectif paraît trop productiviste,
contraignant voire irréaliste pour beaucoup de stagiaires. Ce qui
provoqua comme résultat leur éloignement général du
pôle de la production matérielle à but lucratif.
En plus, cette situation n'est pas seulement due au fait que
le niveau économique de l'objectif du Projet Nô-Life est trop
haut, mais plutôt au fait que cette orientation productiviste ne donne
pas la place aux autres espèces des capitaux dont les stagiaires ont
besoin, liées à leurs propres contextes économique et
socio-culturel. Et ces contextes, impliquant soit une situation de crise, soit
celle de stabilité à la suite de la trajectoire de chacun,
donnent aux stagiaires leurs propres motivations qui font ainsi la
diversité de leurs enjeux et représentations.
Dans notre analyse, on constate que l'agriculture de type
Ikigai donne souvent un sens aux stagiaires, dans la mesure où elle est
mise en relation avec leurs besoins du niveau socio-culturel. Et le pôle
de la production matérielle à but lucratif peut également
avoir un sens pour les stagiaires, mais à condition qu'il soit mis en
relation avec ce type de besoins. Sinon, l'agriculture de type Ikigai risque de
perdre sa propre valeur légitime au sein des représentations des
stagiaires.
En fait, ce constat-là nous permet de dépasser
l'interprétation générale que l'on donne souvent à
l'agriculture de type Ikigai d'un seul point de vue économique, comme
étant une activité économique qui dépasse le niveau
de loisir, mais moins important que le niveau professionnel (ex.
« agriculture qui permet de gagner de l'argent de
poche »)
Il faut dire que notre constat peut être dans le cas
rare chez des deux stagiaires du groupe productiviste. Leurs raisonnements
particuliers ancrés dans leurs contextes économique et
socio-culturel jouent fortement dans la détermination de leurs actions
économiques.
Dans le cas de M. Nichizawa, il paraît logique qu'il
poursuive du moins formellement un objectif purement économique,
à la différence des autres stagiaires plus âgés, car
il essaie de devenir agriculteur professionnel « pour gagner [sa]
croûte » dans une situation de crise assez urgente qui
nécessite une construction importante tant en terme de capital
économique qu'en terme de capital socio-culturel. D'ailleurs, dans son
cas, il lui faudrait dégager un revenu beaucoup plus élevé
que le niveau donné par l'objectif du Projet Nô-Life pour
réaliser son objectif professionnel. Dans ce cas, la formation
Nô-Life sera même inadaptée à ce besoin, car sa
production devra être celle de type plus industriel orienté vers
le marché. C'est pour cela qu'il s'intéresse à la
production de fraises en serre recommendé par le Centre Nô-Life et
la CAT (Coopérative agricole de Toyota).
Dans le cas de M. Kamihata, il essaie de réaliser
l'objectif donné par le Projet Nô-Life, par une approche familiale
et quasi professionnelle. En effet, il n'a pas comme motivation dans sa
tentative, à la différence des autres stagiaires,
l'autoconsommation de ses produits, mais plutôt la reconstruction de son
identité après sa retraite en tant qu'un agriculteur
professionnel qui a connu à la fois une réussite et un
échec dans les années 60 à Kagoshima. Et cette
identité se distingue nettement de celle d'un agriculteur pluriactif
ordinaire. C'est pour cela que sa prise de position est finalement
éloignée des autres stagiaires originaires d'un foyer agricole
local de la Ville de Toyota.
Ensuite, nous allons voir les réflexions données
par les points de vue des stagiaires sur l'ensemble du Projet Nô-Life.
Elles vont constituer une sorte de réponses finales au Projet
Nô-Life qu'ils ont vécu.
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