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Problème fondamental 2 : difficulté de la production agricole « c'est comme si on traitait un malade qui est dans un stade irrémédiable »Monsieur M a de nouveau relevé un problème fondamental de l'agriculture lorsque l'enquêteur lui a posé la question sur les conséquences escomptées du Projet Nô-Life vis-à-vis des localités (ou sociétés locales : chiiki shakai) de la Ville de Toyota. Cette fois-ci, il a exprimé son point de vue économique en commençant par l'interrogation suivante : « Pourquoi, aujourd'hui, la production agricole connaît-elle une telle difficulté, alors qu'elle était autrefois une activité communautaire au sein de la population ? » Monsieur M attribue la cause des difficultés pour la production agricole au système étatique du contrôle alimentaire, où l'Etat soutenait le marché du riz, un système où l'Etat « payait cher et vendait pas cher »518(*). Et la nouvelle loi alimentaire entrée en vigueur en 1994 est venue bouleverser ce système du soutien national au marché du riz qui fonctionnait par l'intermédiaire de la coopérative agricole. Citons l'explication de Monsieur M : « On gérait le prix en amont avec le financement de l'Etat. Et si on bouleverse le taux de prix entre l'amont et l'aval, ce qui fait que le prix versé aux producteurs est moins élevé que le prix à la distribution, du coup, les agriculteurs produisent moins. Et ils commencent à vouloir vendre leurs produits par eux-même. La distribution devient ainsi moins réglée. Donc, le point de départ était que le marché du riz était soutenu par l'Etat, ce qui venait compléter le revenu des agriculteurs. Et maintenant, on essaie de les faire produire et vendre librement. Du coup, c'est la Coopérative agricole qui est obligée de gérer la distribution par elle-même. Mais cela ne peut pas marcher... L'Etat n'a plus de financement maintenant. C'est pour cela que l'agriculture est tragique. Puis, dans un tel contexte, l'administration vient en aide pour combler cette absence des aides du gouvernement qui étaient mises en place auparavant. C'est l'état actuel de l'administration qui est douloureux. Franchement dit, c'est comme si on traitait un malade qui est dans un stade irrémédiable... » Il s'agit du contexte de la libéralisation du marché du riz au Japon via la déréglementation de la distribution, l'abolition du principe de l'intervention étatique avant l'entrée des produits dans le marché, et la priorité donnée au principe du marché. Monsieur M continue son explication en abordant le problème de la surproduction que cette politique a provoqué. « (...) La conséquence du soutien national au marché du riz ne concerne pas seulement les agriculteurs individuels, mais la surprodution du riz que tous les agriculteurs avaient produit. Cette surprodution coûte extrèment cher à l'Etat pour la gérer. Aujourd'hui, l'Etat est obligé de modifier cette politique. C'est la position actuelle de la politique agricole nationale. Et du côté des agriculteurs, aujourd'hui, c'est eux qui sont responsables d'eux-même. Il faut produire du riz ou d'autres produits, de manière concurrentielle. La situation est ainsi défavorable pour les agriculteurs aujourd'hui. Leur revenu est réduit de moitié par rapport à l'époque où le marché était soutenu. Donc ils n'ont plus de travail et quittent l'agriculture. Les opérateurs de la Coopérative s'occupent de plus en plus de la production, mais ils sont obligés de tenter d'élargir leur échelle de production en fonction du coût de production qui augmente de plus en plus. Ainsi, ils ne deviennent pas riches pour autant. Du côté des propriétaires ruraux, leurs terrains sont conservés grâce à ces opérateurs et à la Coopérative, sinon, ils les laisseraient en friche. Et finalement, si on ne conserve pas les terrains agricoles, l'agriculture n'a plus besoin d'exister! Ce n'est pas bien de dire comme ça, mais la base de la politique agricole est avant tout la base économique et le sol... » Dans cette explication, Monsieur M nous montre que le mécanisme économique de l'agriculture japonaise qui est bloqué. Et là, l'enquêteur lui a posé la question suivante « Dans un tel contexte, qu'est-ce qu'apporteraient au niveau local l'idée de `produire et consommer localement' et de la `vente directe' ? » Pour Monsieur M, ce type d'approches « d'en bas » ne viennent pas pour autant relever l'agriculture japonaise. « C'est le contraire. Il est impossible de relever l'agriculture japonaise par ce type d'approches d'en bas. 'Produire et consommer localement' ou la `renaissance de la communauté (community no saisei)' etc., c'est impossible. La base, c'est le calcul économique. On vous ordonne de récolter et vendre par vous-même alors que l'on vous avait empêché de les gérer par vous-même. Telle est la réalité. Donc, on n'a qu'à s'en aller... » D'après Monsieur M, la structure politico-économique s'impose irréversiblement à l'agriculture avec une nouvelle politique de la libéralisation du marché... Et le Projet Nô-Life ne semble pas pouvoir apporter une solution décisive face à ce problème déterminé par la structure du haut. Quelle pourrait alors être la clé de la future réussite du Projet ? La réponse finale de Monsieur M est bien basée sur le principe du « bien-être public », mais la finalité reste toujours « insaisissable » pour l'administration publique... * 518 Au Japon, on appelle ce système du soutien national au marché avec l'expression « gyaku-zaya (marge à l'inverse) ». |