B. - L'incertitude de l'arrêt Jakob Handte
La mise à l'écart de l'article 5-1° par la
CJCE aurait dû se traduire normalement par la compétence de
l'article 5-3°. N'a-t-elle pas dans son arrêt Kelfelis37
affirmé , qu'est délictuelle « toute demande qui vise
à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur, et qui
ne se rattache pas à la matière contractuelle » au sens de
l'article 5-1° ? De plus, on peut être surpris que la Cour de
justice n'ait pas adopté en leur totalité les conclusions de son
Avocat général et ne se soit pas prononcée sur l'article
5-3°.
Le mutisme de la CJCE paraît pouvoir s'interpréter
de deux façons : soit les magistrats, se bornant à
répondre littéralement à la question posée, ont
37 CJCE, 27 sept. 1988, aff. 189/87, arrêt
préc.
implicitement fait référence à la
jurisprudence Kelfelis38, auquel cas l'interprète est en
droit de déduire l'applicabilité de l'article 5-3° à
la cause (1°), soit au contraire, la CJCE a voulu corriger ce que la
formule de l'arrêt Kelfelis a de trop catégorique et voulu
signifier qu'il fallait en l'espèce, revenir à la règle de
principe de l'article 2 de la convention de Bruxelles (2°).
1° L'applicabilité de l'article 5-3°
Rappelons que l'article 5-3° dispose que « le
défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant (...)
en matière délictuelle ou quasi-délictuelle peut
être attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable
s'est produit ».
Chacun connaît les difficultés auxquelles
l'application de cette disposition a donné lieu, dans le cas où
l'événement générateur du dommage et le dommage
sont survenus dans des endroits différents. Les signataires de la
convention n'ayant pas, en effet, cru devoir préciser la notion de
« fait dommageable » se sont naturellement posés la question
de savoir s'il convient de retenir comme compétent, le tribunal du lieu
de l'acte illicite ou au contraire celui du lieu de réalisation du
dommage. Les éléments de réponses avancés par des
auteurs français ne permettaient pas de répondre avec certitude
à l'interrogation. Selon M. HUET, tous les arguments susceptibles
d'être présentés en faveur de l'un des
éléments de rattachement (lieu de réalisation du dommage
ou lieu de survenance du délit) peuvent être retournés et
servir d'appui à l'autre. C'est la raison pour laquelle seul un
système de cumul des facteurs de rattachement apparaissait juridiquement
concevable. La CJCE a, dans son arrêt du 30 novembre 197639,
confirmé ce système d'option cumulative. Or, où localiser,
en l'espèce, l'un et l'autre événement ?
Dans l'hypothèse de l'action du sous-acquéreur
contre le fabricant, si l'on voit le fait générateur dans le
manquement à son obligation de fournir des biens de
38 Ibid.
39 Rev. Crit. DIP 1977, p. 568, note P.
Bourel
qualité convenue, ce fait générateur sera
réputé comme survenu sur le lieu d'exécution de
l'obligation de fourniture. Sa localisation obligera donc à un recours
à la méthode du conflit de lois.
Quant au lieu de réalisation du dommage, dans des
conclusions inspirées de l'arrêt Dumez40, l'Avocat
général a situé le dommage non au siège du sous-
acquéreur, mais au lieu où le vendeur intermédiaire avait
reçu la marchandise. A son avis, seul ce dernier devrait pouvoir
être considéré comme la victime immédiate du fait
dommageable. Le sous-acquéreur ne serait qu'une victime par ricochet
insusceptible à ce titre d'entrer en ligne de compte pour la
localisation du dommage. Cette opinion semble, cependant, ne pas convaincre. En
effet, en aucune façon, le sous-acquéreur ne paraît devoir
être assimilé à une victime souffrant par ricochet du
préjudice subi à titre principal et de manière
immédiate par un autre que lui. Car, s'interroge-t-on de quel
préjudice souffre donc le vendeur intermédiaire ?
La mise en oeuvre de l'article 5-3° ne serait pas exempte de
toute hésitation, ce qui fournit sans doute une raison de plus de ne pas
recourir à cette disposition.
Pour tout cela, il paraît raisonnable d'attribuer au
silence de la CJCE la volonté d'une retraite pure et simple en ce
domaine vers l'article 2 de la convention disposant que « sous
réserve des dispositions de la présente convention, les personnes
domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont
attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de
cet État. Les personnes qui ne possèdent pas la
nationalité de l'État dans lequel elles sont domiciliées y
sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux
».
40 CJCE, 11 janv. 1990 : aff. C 220/88 :
JDI 1990, p. 503, obs. J-M. Bischoff ; Rev. crit. DIP 1991,
p. 154, note B. Ancel. Par cet arrêt, la Cour de justice a jugé
que « le lieu où le fait dommageable s'est produit », au sens
de l'article 5-3°, doit s'entendre du lieu où le dommage initial
s'est produit à l'exclusion donc de toute prise en considération
du préjudice propre subi par la victime par ricochet.
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