B. - La mise en oeuvre de la lex loci delicti
Des problèmes de la mise en oeuvre de la lex loci
delicti se dédoublent : celui de l'ineffectivité du rattachement
(1°), et celui de la dissociation géographique des
éléments matériels du délit (2°).
52 Cass. civ, 25 mai 1984 : Rev. Crit. DIP
1949, p.89, note H. Batiffol ;
53 H. Batiffol, note sous Cass. 1ère
civ, 19 avril 1988, Rev. Crit. DIP 1989, p.68
1° Le premier problème :
l'ineffectivité du rattachement
L'essence de la règle de conflit est de cristalliser,
dans le rattachement choisi, l'élément propre à
désigner dans tous les cas la loi à laquelle la situation est
reliée par les liens les plus étroits ou significatifs. Or, le
locus delicti ne satisfait pas toujours cet objectif : alors
même que les éléments matériels du délit sont
situés dans le ressort d'une loi donnée, il arrive que la
localisation qui en résulte n'apparaisse pas convaincante au regard de
l'ensemble des circonstances. C'est la raison pour laquelle cette règle
de conflit traditionnelle est critiquée, notamment, par la doctrine
anglo-saxonne.
Au fur à mesure, cette méthode du rattachement a
vocation à être abandonnée, au profit du principe de
proximité, qui vient de la conception américaine «
méthode de proper law ». L'idée est de chercher une
loi étatique, qui est estimée la plus étroitement
liée à la cause. On va prendre en considération des
rattachements personnels communs des parties, notamment le rattachement de
domicile habituel.
2° Le seconde problème : la
dissociation géographique des éléments matériels du
délit
En justifiant le rattachement à la lex loci delicti par
l'attente des intéressés, on considère implicitement que
tous les éléments matériels du délit sont
situés dans un même ressort unique. Or, tel n'est pas
nécessairement le cas. Il peut bien arriver que le dommage et le fait
générateur puissent survenir dans des ressorts des Etats
différents.
Cette hypothèse a longtemps pu être
considérée comme exceptionnelle, parce que dans les cas
traditionnels de responsabilité civile, le fait générateur
et le dommage immédiat étaient localisés dans le ressort
d'une même loi. Dans cette
hypothèse, va-t-on retenir la loi du lieu où le
fait dommageable s'est produit ou celle du lieu où le dommage a
été survenu ?
La méthode de la règle de conflit veut que la
difficulté présentée soit résolue en
précisant le rattachement retenu dans l'hypothèse complexe. Pour
s'en tenir d'abord au cas tranché où le dommage, d'une part,
l'acte générateur, de l'autre, sont intervenus chacun dans des
Etats différents, il y aurait lieu de choisir à titre
général l'un de ces deux rattachements. Notons à cet
égard qu'en cas de dommage unique même, il peut y avoir
hésitation sur la définition du lieu du dommage lorsque celui-ci
se prolonge : subi en un lieu donné, ses conséquences se font
sentir en un ou d'autres lieux.
En faveur du fait générateur,
c'est-à-dire du lieu où le défendeur agissait, on fait
valoir l'injustice qu'il y aurait de faire peser sur lui une
responsabilité qu'il n'avait pas de raison d'envisager, ainsi que le
caractère préventif, parfois même encore punitif, de la
responsabilité civile. Mais, en adoptant ce rattachement, on permet
à une personne de placer délibérément ses
activités en un lieu dont la législation lui est favorable,
sachant que celle-ci sont destinées à produire effet ailleurs.
En faveur du lieu du dommage, on fait valoir qu'une personne
doit normalement pouvoir compter sur la protection en vigueur dans le lieu
où elle se trouve lorsqu'elle est atteinte, que la responsabilité
civile a en droit moderne une fonction avant tout réparatrice et que
c'est par le dommage qu'est constitué le droit à
réparation. Mais aussi, il peut paraître anormal que le
défendeur soit tenu en application de la loi du milieu de la victime
dans des cas où il n'avait aucune raison de prévoir
l'intervention de cette loi.
En fait, les deux rattachements envisagés opposent
l'attente respective des parties en présence. Un moyen de satisfaire
l'une et l'autre serait l'application cumulative des deux lois. Mais, elle fait
sans doute la part trop belle à l'auteur de l'acte. On a plus souvent
proposé l'application alternative de l'une et de l'autre loi,
cela constitue inversement pour lui une faveur discutable. Il
conviendrait plutôt dans ce cas que le choix soit opéré par
le juge, notamment en fonction de la légitimité respective des
attentes des parties.
L'extrême difficulté d'un choix
général se traduit dans la diversité des
législations qui ont envisagé la question : la loi de l'acte
générateur54 , la loi du dommage55.
D'autres placent les deux rattachements sur le même pied56 ou
offrent le choix au demandeur57 ou désignent la loi la plus
favorable à la personne lésée58. Ces facteurs
peuvent encore être combinés de différentes
manières59.
Face à ces difficultés de choisir un
rattachement prédéterminé valable pour tous les cas
complexes, une résolution de l'Institut de droit international
adoptée en 1969, après avoir posé le principe du
rattachement des délits à la lex loci delicti, ajoutait que
« un délit est considéré avoir été
commis dans le lieu auquel la situation est la plus étroitement
liée, eu égard à tous les faits reliant le délit
à un lieu donné, depuis le commencement du comportement
délictuel jusqu'à la réalisation du préjudice
»60. Mais, une telle formule ne fait que
réénoncer la directive qui préside à la solution de
tout conflit de lois. Elle n'est pas propre à assurer la
prévisibilité que l'on attend d'une règle de conflit.
54 Code civil portugais de 1966, art. 45.1 ; loi
autrichienne du 15 juin 1978, art. 48
55 Loi turque de 1982, art. 25.2 ; loi du Royaume-Uni
de 1955 ; loi néerlandaise sur le conflit de lois en matière
d'acte illicite.
56 Loi tchécoslovaque de 1963, art. 15
57 Loi italienne de 1955, art. 62 ; loi allemande de
1999, art. 40 EGBGB.
58 Décret-loi hongrois de 1979, art. 32 ; loi
yougoslave de 1982, art. 28
59 La loi suisse de 1987 (art. 133.2) et le Code civil
du Québec (art. 3126) désignent la loi du fait
générateur ; mais la loi du dommage s'applique si l'auteur devait
prévoir l'effet produit ; V. aussi la loi péruvienne (Code civil
de 1984, art. 2079)
60 RC 1970.152. La loi du Royaume-Uni de 1955
désigne, lorsque les événements constituant le
délit se sont produits en différents pays (et tout en formulant
certaines règles plus précisés), la loi du pays où
les éléments les plus significatifs se sont produits (sec. 11, 2,
c.).
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