B. - L'hypothèse de la chaîne de contrats non
translative de propriété
Contrairement à la chaîne translative de
propriété, la chaîne non translative ne comporte aucun
contrat translatif, c'est-à-dire aucun contrat de vente dans la
chaîne.
Qualifiée par le juge français saisi de
délictuelle, c'est-à-dire exercée au sein de la
chaîne non translative de propriété, l'action en
responsabilité du créancier final contre le débiteur de
son débiteur relèvera, aux termes de l'article 46, alinéas
1 et 3 du NCPC, au choix du demandeur, soit de la juridiction du lieu où
demeure le défendeur, soit de la juridiction dans le ressort de laquelle
le dommage a été subi. L'application de l'option juridictionnelle
à l'hypothèse des groupes de contrats suppose d'abord que soient
précisés les termes de l'option.
Après l'entrée en vigueur du NCPC, l'article 46,
alinéa 3, dans sa rédaction originelle, permettait au demandeur
de saisir, outre le tribunal du domicile du défendeur, la juridiction du
lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage est
subi.
Si la localisation du lieu du domicile du défendeur ne
pose pas de problème particulier, il n'en va pas de même pour les
deux derniers chefs de compétence énoncés, à savoir
le tribunal du lieu de réalisation du dommage et le tribunal du lieu du
fait dommageable. La détermination du lieu de réalisation du
dommage est en effet susceptible de causer quelques difficultés, que le
dommage invoqué au soutien de l'action soit authentiquement
délictuel, ou au contraire purement contractuel.
Dans cette dernière hypothèse où le
préjudice subi s'identifie uniquement à la perte
financière dont le bien (ou le service) non conforme ou vicié est
frappé, le tribunal du lieu du domicile de la victime, qui est pris en
qualité de lieu fictif de situation du patrimoine de celle-ci,
semblerait compétent.
Lorsque le dommage invoqué est délictuel,
c'est-à-dire s'identifie à une atteinte effective à la
sécurité des personnes ou des biens, on peut considérer
que le tribunal du lieu de réalisation du dommage est celui du lieu
où la sécurité de la personne, ou de ses biens, s'est
trouvée effectivement atteinte. S'agissant d'une atteinte à la
sécurité d'un bien, le tribunal internationalement
compétent pour connaître de l'action, au titre du tribunal du lieu
de survenance du dommage, sera celui du lieu où le bien a
été endommagé.
S'agissant, en revanche, d'une atteinte à la
sécurité de personne, le tribunal du lieu où cette
personne est décédée ou a été blessée
sera compétent. À ce titre, s'il est aisé de
déterminer le lieu du décès de la victime, le lieu
où elle est blessée est, en revanche, plus difficile à
localiser, lorsque le dommage est cumulatif, c'est-à-dire qu'il se
déploie sur plusieurs États. Par exemple, la victime commence
à se sentir malade dans un pays X et tombe définitivement malade
dans un pays Y.
De plus, les difficultés suscitées par la
détermination du lieu du fait dommageable ne sont pas moins importantes.
La faute invoquée au soutien d'une action en responsabilité
délictuelle exercée au sein d'un groupe de contrats, peut en
effet correspondre, soit à la violation par le défendeur du
devoir général de ne pas fabriquer ou de ne pas commercialiser un
produit dangereux, soit à la méconnaissance de l'obligation
purement contractuelle de délivrer un produit conforme ou non
vicié.
On peut donc estimer que le lieu de la commission de faute ayant
entraîné le
dommage 3 est celui où le produit en cause a
été fabriqué. Le fait dommageable n'est pas, à
proprement parler, la fourniture d'un produit ou d'une absence d'information
(par exemple, le manquement d'information sur le mode d'utilisation).
D'ailleurs, elle s'avère délicate à mettre en oeuvre en
raison de l'internationalisation fréquente du processus de fabrication.
Si on reprend, par exemple, les faits ayant donné lieu à la
décision rendue par la première chambre civile de la Cour de
cassation le 21 juin 19 884, la vanne dont la
défectuosité a été à l'origine du dommage
subi par l'avion peut être composée de plusieurs
éléments, dont l'un est fabriqué dans un pays X et l'autre
dans un pays Y. Faudrait-il retenir, au titre de tribunal du lieu du fait
dommageable, le tribunal de l'Etat X et le tribunal de l'Etat Y? On
multiplierait de la sorte les juridictions compétentes. Mais à
l'inverse, la détermination de l'élément défectueux
qui se situe véritablement à l'origine du dommage, dont le lieu
de fabrication, indiquerait le tribunal du lieu du fait dommageable,
soulèvera des difficultés importantes, voire inextricables, de
preuve.
Sur le fondement de la formulation anglaise traditionnelle qui
se demande « où en substance, la cause de l'action
délictuelle se produit, ou quel est le lieu avec lequel le délit
est le plus étroitement lié », M. FANCETT a proposé
de retenir, du titre du fait dommageable, le lieu de la mise en circulation du
produit. Encore faut-il noter que ce lieu n'est pas toujours fait à
déterminer lorsque le produit litigieux ayant fait l'objet par
hypothèse, de plusieurs transactions avant de causer un dommage.
La juridiction compétente pour connaître l'action
directe en cause peut être différente de celle que l'on a
invoqué ci-dessus au cas où les parties contractantes
prévoient des clauses attributives de compétence pour
régir des litiges éventuels et potentiels qui naîtront de
leur contrat.
3Cass., 2 civ, 24 fév. 1982 : Gaz.
Pal. 1982.2.374 note J. VIATTE
ème
4 Cass., 1ère civ, 21 juin 1988 : D.
1989.5.5 note C. LARROUMET; JCP 1988. II. 21125 note P.
JOURDAIN
Lorsqu'il y a une clause attributive de compétence
insérée dans la chaîne de contrats, le juge saisi va
vérifier sa compétence sous l'empire de cette clause.
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